La situation économique de l’Algérie, à l’ombre de la chute des prix du pétrole, suscite à l’extérieur des analyses de sombres scénarios sur le proche avenir. L’Algérie n’est pas au bord de l’effondrement mais la situation est grave et pourrait s’aggraver sans un changement sérieux dans le système de gouvernance, répond A.Mebtoul. Pour lui, le pays a les moyens d’éviter le pire. Il explique comment.
Les différentes analyses internationales dont les derniers en date étant l’hebdomadaire français le Point.fr, le New York Times, de Pierre Defraigne, directeur Exécutif du Centre Madariaga-Collège d’Europe et directeur Général honoraire à la Commission européenne, qui lui a valu une réponse de l’ambassadeur d’Algérie à Bruxelles (décembre 2016), prévoient un scénario inquiétant pour l’Algérie horizon 2017/2019.
Sans verser dans la sinistrose, l’on ne devra pas oublier la réalité amère avec à la fois un cours du pétrole relativement bas et l’arrivée des terroristes de Syrie et d’Irak à nos frontières, sans oublier la Libye. Aussi je partage les analyses récentes d’un grand diplomate algérien Lakhdar Brahimi pour une entente maghrébine, le terrorisme étant une menace planétaire qui déstabiliserait toute la région (1).
L’heure est au réalisme afin d‘éviter l’expérience malheureuse vénézuélienne, la plus grande réserve pétrolière mondiale, un pays à fortes potentialités que j’ai eu l’honneur de visiter, mais un pays en faillite, un taux d’inflation de plus de 500% en 2016 et en 2017 selon le Wall Street Journal plus de 1500%.
Fini le cours entre 80/90/100 dollars et même avec un cours de 50/60 dollars au vu de la dépense publique (l’Algérie a fonctionné en 2016 sur un cours de 88 dollars selon le FMI) et le déclin du tissu productif avec une économie bureaucratisée, décourageant les initiatives créatrices, il faut s’attendre à des tensions budgétaires.
D’où l’importance comme je l’ai suggéré devant le premier ministre et les membres du gouvernement le 04 novembre 2014, dont certains alors vivaient de l’illusion de la rente éternelle, à la fois d’un renouveau culturel et d’un gouvernement de crise, composé de femmes et d’hommes compétents, ayant une grande moralité pour mobiliser la population, car les années charnières seront entre 2017/2020.
L’Algérie n’est pas au bord de l’effondrement, elle a un problème de gouvernance
1.- L’Algérie n’est pas au bord de l’effondrement économique contrairement aux affirmations de certains. Pour un économiste français largement médiatisé, dans une contribution au point.fr (début 2016), les années 2017/2018 pourraient marquer le début du délitement de l’Etat algérien à la fois politique et économique et met en garde le gouvernement français à ce que des milliers d’Algériens débarquent en France.
Privilégions les intérêts supérieurs de l’Algérie, l’efficacité couplée avec une profonde justice sociale et non la distribution de postes de ministres s’assimilant à des récompenses au moyen de la distribution de rente. Un ministre est avant tout responsable de la politique générale de son ministère, et selon la déontologie politique, il est responsable de toute action de ses collaborateurs, positive ou négative.
Force est de constater une confusion des rôles, personne ne se sentant responsable, certains ignorant ou faisant semblant d’ignorer le fonctionnement de leur secteur. Et en cas de mauvaise gestion ou de scandales financiers relatés par la presse (renvoyant à une justice indépendante), ils font retomber toute la responsabilité sur leurs collaborateurs, expliquant d’ailleurs la démotivation de la majorité des cadres. Or, la responsabilité est collective.
Combien d’expériences montrent qu’un gouvernement n’est pas fait pour être obligatoirement populaire. Il doit avoir une vision stratégique d’optimalisation de la fonction objective stratégique horizon 2020/2030 avec la nouvelle révolution économique qui s ‘annonce avec d’importants bouleversements géostratégiques, afin de réaliser la transition d’une économie totalement rentière à une production et exportation hors hydrocarbures de segments productifs au sein des valeurs internationales.
Certes, on doit concilier efficacité économique et une profonde justice sociale, mais sans populisme, une nation ne partageant en principe que ce qui a été préalablement produit, la rente des hydrocarbures donnant des taux de croissance, de chômage et d’inflation biaisés.
Pour un gouvernement de crise
Il y a urgence de grands départements au niveau de la Présidence de la république traçant les axes stratégiques, ainsi que le regroupement de ministères avec des secrétariats d’Etat techniques, deux ministères devant impulser les réformes, supposant un grand ministère de l’éducation nationale et un grand ministère de l’économie.
Afin de rapprocher l’Etat du citoyen, il s’agit de s’orienter vers une nouvelle organisation locale autour de pôles régionaux autour de quatre ou cinq grandes wilayas avec des wilayas délégués, ces derniers devant être un manager et non un administratif.
Une centralisation à outrance, favorise un mode opératoire de gestion autoritaire des affaires publiques, une gouvernance par décrets, c’est-à-dire une gouvernance qui s’impose par la force et l’autorité loin des besoins réels des populations et produit le blocage de la société.
L’aménagement du territoire devra répondre aux besoins des populations en quelque lieu qu’elles se trouvent et assurer la mise en valeur de chaque portion de l’espace où elles sont installées.
Je pense que la structure la plus appropriée pour le dynamisme tant du développement national que local, ce sont les Chambres de commerce régionales qui regrouperaient l’Etat, les entreprises publiques/privées, les banques, les centres de formation professionnelle, et les universités/centres de recherche.
Eviter le scénario dramatique de 1986
2.-Afin de démentir les sombres prévisions internationales, dont le dernier en date étant le New York Times (décembre 2016) qui prévoient un scénario inquiétant pour l’Algérie horizon 2017/2019 et d’éviter le scénario dramatique des impacts de 1986, comme je l’ai suggéré devant le premier ministre et les membres du gouvernement le 04 novembre 2014, qui alors vivaient de l’illusion de la rente éternelle, il y a urgence d’un gouvernement de crise.
La pleine réussite des réformes, processus complexe éminemment politique, implique de dépasser les positons partisanes étroites et de poser le rôle de l’Etat régulateur stratégique et son articulation avec le marché ce qui renvoie au mode de gouvernance tant local que national interconnectés aux turbulences de l’économie mondiale, l’Algérie étant un mono- exportateur d’hydrocarbures.
L’Algérie doit s’adapter aux enjeux de la mondialisation, l’espace euro-méditerranéen et africain étant son espace naturel, surtout que la crise mondiale actuelle préfigure d’un bouleversement géostratégique et économique important.
Cette adaptation est inséparable d’un Etat de droit et de la démocratie tenant compte de notre anthropologie culturelle, de l’économie de marché concurrentielle humanisée, loin de tout monopole, du respect du droit de l’homme, de la promotion de la condition féminine.
Il est admis tant par les observateurs internationaux que nationaux sérieux que le développement de l’Algérie est possible sous réserve d’une bonne gouvernance et d’une réorientation de l’actuelle politique socio-économique axée essentiellement sur les infrastructures alors que la dynamique du développement repose sur des institutions centrales et locales crédibles, débureaucratisées, l’entreprise et son fondement l’économie de la connaissance.
Ignorer cette situation afin de garder son poste de ministre par des bilans déconnectés des réalités c’est faire preuve d’antinationalisme, d’un « après moi le déluge ». Le temps en économie ne se rattrape jamais.
Nous devons éviter l’activisme et des discours contradictoires entre plusieurs membres du gouvernement et mobiliser toutes les algériennes et algériens sans exclusive. La visibilité et la cohérence au sein d’une planification stratégique face tant aux nouvelles mutations locales et mondiales devient un impératif un gouvernement, qui doit être avant tout moral, sortie de crise afin de démentir les scénarios catastrophes.
Aussi, j’invite le pouvoir algérien et l’opposition d’oublier leurs différends afin de démentir les sombres scénarios, qu’il y a lieu de ne pas prendre à la légère, pour ne pas aller droit au FMI horizon 2019/2020.
Contrairement à certaines discours déconnectés des réalités locales et internationales, la situation est grave et une réaction à la mesure de la gravité de la situation est urgente L’immobilisme et l’activisme ministériel sans impacts donneraient alors raison à ceux qui espèrent la désintégration de l’Algérie, ce qu’aucun patriote algérien ne souhaite. Il y va de la sécurité nationale.
Un sacrifice partagé
3.-En cette nouvelle année 2017, je souhaite à notre chère patrie la sécurité et le développement et face aux tensions budgétaires à venir un sacrifice partagé. Gloire à nos valeureux martyrs qui ont montré une moralité sans faille, faisant passer les intérêts supérieurs de l’Algérie sur les intérêts partisans étroits, et qui nous ont permis de vivre dans une Algérie libre.
Gloire à notre armée et forces de sécurité pour l’important travail réalisé en ces moments de tensions stratégiques à nos frontières. Il y a un lien dialectique entre sécurité et développement, un non développement accroissant l’insécurité et les tensions sociales qui ont un coût.
Je suis convaincu que l’Algérie, a toutes les potentialités pour surpasser la crise multidimensionnelle à laquelle elle est confrontée. Cela doit passer par de nouveaux modes de régulation politiques, économiques et sociales, fondés sur un Etat de Droit d’autant que notre monde connait une crise morale qui implique une profonde mutation des relations internationales pour un univers plus solidaire, fondée sur une meilleure gouvernance locale et mondiale.
Pour relever les défis futurs, se projeter sur l’avenir, loin de tout populisme dévastateur, par un langage de vérité des gouvernants. L’Algérie a besoin d’un retour à la CONFIANCE pour sécuriser son avenir, de s’éloigner des aléas de la mentalité rentière; de réhabiliter le travail et l’intelligence , de rassembler tous ses enfants et toutes les forces politiques, économiques et sociales, évitant la division sur des sujets secondaires, d’apprendre à respecter nos différentes sensibilités et donc les opinions d’autrui, par la culture de la tolérance.
C’est ainsi que l’Algérie éternelle, réalisera le serment du 01 novembre 1954, un développement durable conciliant efficacité économique et une profonde justice sociale à laquelle je suis profondément attachée.
(1)Deux ouvrages collectifs d’une brulante actualité, sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul et du Docteur Camille Sari de la Sorbonne (deux tomes 1080 pages) sur le Maghreb face aux enjeux géostratégiques ont été édités entre 2014/2015 en France (éditions Le Harmattan).
(*) Dr Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités, expert international