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Maghreb

La Tunisie attend un nouveau Farhat Hached (contribution)

Par Yacine Temlali
décembre 8, 2016
La Tunisie attend un nouveau Farhat Hached (contribution)

C’est d’humilité que l’on a le plus besoin et d’un enracinement qui soit dynamisme, une organicité et une authenticité. C’est lui que je nomme Hached Ibn Affèn, une sorte d’humain légion, un homme peuple et un peuple fait homme. C’est dans cette image archétypale que nos politiques doivent se mirer pour jauger leurs capacités à être utiles au pays. 

 

  

Le 5 décembre est une date historique pour les vrais patriotes de Tunisie, et non seulement les syndicalistes. C’est la date anniversaire de l’assassinat du leader nationaliste et syndicaliste de renommée mondiale Farhat Hached.

Quand on voit, d’une part, à quel point est tombé le syndicalisme dans le pays avec surtout la dernière déplorable manifestation des enseignants qui se sont montrés scandaleusement indignes des valeurs qu’ils incarnent et que, d’autre part, on mesure les dérives de l’esprit nationaliste, on ne peut que se demander où va la Tunisie sans la venue imminente d’un leader charismatique ?

Pour une Tunisie qui est désormais tel un bateau ivre, un chef charismatique est indispensable; il doit posséder l’aura d’un messie. Aussi doit-il avoir, pour le moins, la trempe d’un Bourguiba mais aussi et surtout les valeurs organiques, enracinées dans la Tunisie réellement profonde qui furent celles de Farhat Hached.

Pour rendre hommage à ce monument incontournable du patriotisme d’une Tunisie qui est, plus que jamais, une exception et se devant d’assumer sa destinée, car son peuple le vaut bien, voici un extrait du tome 1 de la trilogie qui lui est consacrée à la veille du sixième anniversaire de sa révolution. Il sort en ce début de décembre à Tunis et est intitulé justement: l’exception Tunisie avec, en exergue, le fameux cri du cœur de Hached : Que je t’aime, ô peuple !

En exclusivité, nous livrons tout d’abord un extrait légèrement modifié de la postface du livre, intitulée : Quelle Tunisie demain? Il s’agit d’un passage de la section titrée : Quelles élites futures ? Par commodité, l’extrait dont on a gardé le titre originel est délesté de ses notes. 

Il est suivi de l’avant-propos du livre, ayant pour titre : Le Boléro de Tunisie, et se termine par la quatrième de couverture de ce tome premier du triptyque dont les deux suivants paraîtront d’ici l’anniversaire du coup du peuple tunisien.

 

Dans l’attente de Hached Ibn Affèn

 

La Tunisie est donc dans l’attente d’un chef charismatique qui soit bien plus un Farhat Hached qu’un Bourguiba qui n’a pas su honorer la démocratie alors qu’il le pouvait. Son culte de la personnalité à fait avorter son œuvre au demeurant grandiose.

C’est d’humilité que l’on a le plus besoin et d’un enracinement qui soit dynamisme, une organicité et une authenticité. C’est lui que je nomme Hached Ibn Affèn, une sorte d’humain légion, un homme peuple et un peuple fait homme. C’est dans cette image archétypale que nos politiques doivent se mirer pour jauger leurs capacités à être utiles au pays. 

Quitte à paraître, pour certains islamistes, mais pas seulement, un Lucifer — qui est, rappelons-le, le porteur de lumière — il doit être porteur d’un projet pour ce peuple faute d’avoir vu le faire par ses élites. Or, la situation dans notre pays et dans le monde aussi commande l’action de tout un chacun, une telle situation étant antinomique avec l’inaction. 

Je résume ce projet protéiforme dans sa dimension spirituelle par l’expression d’islam postmoderne et, dans sa dimension idéologique, par l’Alzheimer politique dont souffre l’élite du pays, comme déjà spécifié. Pour cela, ayant longtemps pratiqué de près l’Alzheimer qui est véritablement un mythe imposé par l’empire de l’industrie pharmaceutique, connaissant parfaitement cette soi-disant maladie, j’ai proposé comme meilleure thérapie pour guérir ce qui n’est, répétons-le encore, qu’un vieillissement cérébral problématique, ma méthode reposant sur la science du cœur et la culture des sentiments nommée bécothérapie

Bien évidemment, cette thérapie des bécots politiques ne fait rien d’autre que rejoindre celle du grand Farhat, l’amant du peuple, et qu’il a résumée par son magnifique cri du cœur : Je t’aime, ô peuple! C’est bien l’ordo amoris, cet ordre amoureux chanté de la plus belle manière par les soufis longtemps avant Max Sheller et les chrétiens. 

Sa seule ambition est que les efforts de tous les enfants sincères de cette terre s’unissent pour dire, comme il est dit dans la Bible : Fiat lux ! Qu’on y permette que s’épiphanise le meilleur de ce dont est porteuse notre religion, une foi ouverte et tolérante, confiante en ce que l’homme a de meilleur. Car l’homme reste la plus belle créature divine ; pour cela, il est sur terre, unifié en sa masse populaire par les sublimes principes d’une religion redevenue celle des Lumières, la voix de Dieu : Vox populi, vox dei, disaient les Latins. 

La Tunisie, à la veille l’an VI du coup du peuple, est une société postmoderne en quête de son âme, pour paraphraser le titre d’une œuvre de Jung. Pour cela, sa classe politique, outre de faire entrer l’imagination dans les allées du pouvoir et s’adonner à une politique compréhensive et magnétique, doit se retremper dans l’atmosphère populaire, retrouver ses masses, y fusionner. Exactement comme cela se passe entre un magnétiseur et son somnambule, un médium et l’esprit qui vient l’habiter. 

Terminons, en citant un grand philosophe et grand politique, Jean Jaurès. Pour lui, les phénomènes de la lucidité somnambulique indiquent une extension virtuelle de la pensée insoupçonnée jusque-là ; le moi serait, en droit, coextensif à l’univers : « Notre cerveau est donc à la lettre un foyer de pensée ; et, de même qu’il serait puéril de réduire le soleil à n’être que le globe d’où sa lumière émane, le cerveau a l’ampleur de la sphère inconnue de nous où peut s’étendre l’action de sa pensée. »

 

Le Boléro de Tunisie

 

Qui n’a jamais écouté le Boléro de Ravel ne saurait comprendre ce que pareille musique, si elle avait une quelconque onction sacrée, aurait eu comme grâce divine. Cela ne saurait étonner quand on sait que ce rythme ensorcelant, car accentué et ternaire, est d’origine espagnole, soit à racine arabe. 

Or, aujourd’hui, en cette exception Tunisie qui redécouvre son être à la faveur de son coup du peuple, un air divin commence à se danser enchantant la vue et l’ouïe ; c’est le Boléro de Tunisie. 

Bien loin de sa virtuosité, cet ouvrage ne se veut pas moins être sa traduction discursive en trois mouvements de vérités inlassablement rappelées à la manière de l’œuvre magique de l’artiste basque, dans une sorte de postmoderne trajet anthropologique. 

 

Une musique du peuple

 

Il faut dire qu’au fin fond du peuple de Tunisie, au creux de la conscience de ses humbles hères, à la base de leur être, il est comme une onde initiale que la Révolution leur a permis de s’appliquer à la retrouver. 

Dans les rêves intimes des Tunisiens, ce serait pour en chevaucher la houle, tel un surfeur sur les vagues océanes, en maîtriser les ondulations jusqu’à faire de l’eau, matrice de leurs humeurs, une surface paisible, belle à voir, une sorte de microclimat à l’abri de toutes intempéries. Alors, du rêve de marcher sur l’eau, le Tunisien fera réalité à force de foi !

En attendant, le peuple, ses élites y compris, danse le Boléro. Mais si le premier la danse à merveille, les seconds, habitués à la danse du ventre, n’en donnent qu’une piètre représentation. C’est que le Boléro, populaire comme politique, est de même nature que l’illustre pièce de musique, les acteurs dansants enivrés par l’objet de leur désir féroce, cet orgasme appelé pouvoir. Pouvoir de vivre, pour le peuple ; pouvoir de dominer, pour les politiques. 

On sait que dans la version originale, Ravel avait posé l’action dans une taverne andalouse où une gitane dansait, s’appliquant à ensorceler les hommes. Dans celle de Béjart, on est dans le cadre d’un ballet, un cercle d’hommes ou de femmes entourant un homme ou une femme qui danse jusqu’à l’épuisement sur la musique si rythmique au son des tambours, si mélodique à l’air des flûtes et des bassons. Dans les deux cas, on a affaire au même crescendo irrésistible finissant en explosion, un quasi orgasme. 

S’il en va de même aujourd’hui en Tunisie qu’avec la géniale musique du natif de Ciboure, c’est que le morceau de musique classique, envoûtante avec sa rythmique des roulements de tambours, y rappelle les affres striant encore la mémoire d’une noire époque pas encore oubliée après la fin de la dictature. Et dans la subtilité de la mélodie des flûtes et bassons invitant aux rêves de paix et de sérénité, elle réussit à en sublimer l’horreur dans la tête et le cœur des Tunisiennes et Tunisiens. 

C’est donc un pareil morceau d’éternité que le peuple de Tunisie cherche à monter en un ballet géant, grandeur nature. Hélas, pour l’instant, la danse de ses politiciens n’est rien comparable à la sienne, prétendant se vouloir populaire et nationale, quand elle n’est que de la politique à l’antique ! Car le peuple rêve d’horizons nouveaux, d’un Boléro inédit, une danse dans un temps indéterminé, car infini, où le futur est encore plus riche que le passé, et en un espace informe, car élargi, sans frontières, où le crescendo des émotions féroces dans leurs puretés finit par exploser comme se fait orgasme le plaisir fou de l’utopie finissant en concrète réalité. 

 

Une musique politique

 

On sait bien le peuple tunisien mélomane ; de quelle musique politique s’agit-il ici donc ? C’est de la démocratisation de la Tunisie qui n’est qu’une note de musique publique qui se décline à peu de chose près en danse lorsque l’air qui l’accompagne en magnifie le tempo ternaire si accentué. 

Composition quasiment musicale, c’est celle du pouvoir de la rue dont le rythme de vie est aujourd’hui à la cadence du peuple, plus que jamais attaché à sa souveraineté vraie, et non pas ainsi qu’on en se fait l’idée selon la pratique actuelle dégénérée, mais une souveraineté ternaire. 

Cela veut dire que la pratique politique unitaire que résument les élections a épuisé ses vertus, car elle ne doit plus être verticale, entre des électeurs informes et un élu omnipotent, mais désormais horizontale, entre un électeur maître et un élu servant. Cette horizontalité ternaire suppose un contrat à assumer, le devoir d’en respecter les obligations et le droit d’être démis dans le cas contraire et à tout instant. 

En effet, on ne peut plus désormais se suffire des échéances électorales qui donnent le pouvoir au peuple un jour pour le lui retirer le restant d’une période où le souverain véritable n’a plus le moindre droit au chapitre, même s’il est censé être représenté, gouverné par ses représentants. Cette imposture marchait du temps de l’illusion du contrat social ; mais elle n’a plus de sens en un temps où le contrat s’efface devant le pacte sociétal. 

On ne réalise pas assez que notre époque postmoderne impose une communion émotionnelle, et celle-ci s’étend à l’exercice du pouvoir en un monde où la coupure et flagrante entre les élus et le peuple souverain. Cela implique que l’élu doive avoir à rendre compte de son mandat en tout temps. Il ne peut plus prendre de blanc-seing afin d’agir en petit dictateur, soigner ses intérêts et sa carrière, agissant au mieux en star aux caprices saugrenus à n’en pas finir. 

Qu’est-ce à dire sinon que le scrutin inévitable en démocratie est appelé impérativement à être uninominal pour que la relation entre l’électeur et son élu soit personnalisée, personnelle même ! C’est qu’il est plus facile de demander des comptes à quelqu’un qu’on connaît et de le rappeler à ses engagements. Et c’est ce qu’on doit commencer par faire en prévoyant en plus, dans la loi électorale, l’obligation pour l’élu d’avoir un contrat de mission à proposer à ses électeurs afin d’être jugé et démis s’il viole ses obligations. 

À ceux qui crieraient à la porte ouverte à l’instabilité, les plus sages de notre peuple rétorquent qu’il n’en serait rien, l’élu démis devant être aussitôt remplacé par un premier de deux suppléants choisis avec lui, et qui devrait, s’il encourt le même sort, céder sa place au second suppléant. Ainsi, le risque d’élections anticipées ne serait patent qu’après une triple succession de violations d’engagements électoraux qui, de la sorte, ne devrait pas être fréquente. 

C’est un aspect détaillé de la sagesse populaire dont il sera plus question dans le troisième opus de cette trilogie. On y apprendra aussi que le peuple, éveillé à la politique comme libre gestion de sa cité et participation active à sa vie, appelle à privilégier les élections locales, municipales et régionales, aux élections nationales. Et, dans l’élan de son esprit bien révolutionnaire, conseille d’oser faire élire les représentants de l’État, les gouverneurs notamment, parmi les élus régionaux. 

Prolixe en idées novatrices issus de sa sagesse immémoriale incorporée, il affirme mordicus que si on veut relever véritablement de l’esprit du temps, on devrait étendre ce principe en faisant dépendre la représentation nationale de la représentation régionale et locale, les élus de l’assemblée du peuple étant issus du corps des élus régionaux et locaux, soit parmi eux soit par eux dans ce qui serait une sorte de système à paliers à l’américaine. Ainsi, dans les rêves populaires, seul le président de la République resterait élu directement par le peuple, ce qui compenserait ses pouvoirs limités en renforçant sa représentativité. 

Voilà par de concrets exemples, issus de parleries populaires, cette tchatche qui est l’âme postmoderne de la politique, en quoi pourrait consister une partie de l’innovation politique tunisienne dont il sera question dans cet ouvrage ternaire. Elle se rajouterait à une pratique de la chose publique nouvelle, transfigurée, tenant compte des valeurs islamiques d’honnêteté et de sincérité, bannissant la langue de bois et la ruse que résume aujourd’hui la pratique de nos politiciens obnubilés par le pouvoir. 

C’est cela le Boléro de Tunisie, une merveilleuse musique politique postmoderne. A-t-on des politiciens assez mélomanes pour incarner une telle virtuosité politique alternative, nous donner un nouveau chef-d’œuvre de cet art qui est dans son esthétique et sa mélodie, lorsqu’il s’élève au pinacle, quasiment musicologique ?

Écrit en 1928, le Boléro de Ravel est toujours gagnant au hit-parade des morceaux classiques, paraît-il. Il en sera de même demain du Boléro de Tunisie, dont l’écriture a commencé à la fin de 2010, à l’orée de 2011. 

Aussi y entendons-nous forcément de faux roulements de tambours, étrangement militaires dans leur subtilité même, à l’image de l’âme tunisienne dont la douceur apparente n’est qu’une farouche volonté indomptable à faire réalité de ce qui semble relever de l’illusion. 

 

L’exception Tunisie

 

La Tunisie, petit pays, petit peuple, a toujours constitué une exception, en ses riches ou sombres heures. Déjà Carthage, surgie de rien, s’est érigée en puissance avant de disparaître avant de renaître différente, mais toujours géniale, ouverte à l’altérité, imposant respect, ambitionnant l’originalité.

Terre aujourd’hui arabe musulmane, elle est aussi celles des Hommes Libres, amazighe, et elle est aussi un carrefour de cultures, un creuset de civilisation. 

S’il est une caractéristique du peuple paisible qui y vit, c’est son désir de vivre érigé en une volonté, jouissive et voluptueuse qui sait être sage.

 

Depuis le 11 janvier 2011, date de sa bascule en postmodernité par un coup du peuple appelé révolution du jasmin, la Tunisie est devenue un enjeu capital en Méditerranée, s’attelant à la mise ne place d’un modèle politique sui generis, le modèle tunisien manifestant une faim d’un monde nouveau signant la fin du monde antique de la modernité.

C’est cet imaginaire que décortique ce premier tome d’une trilogie consacrée à la naissance du paradigme nouveau en Méditerranée et dans le monde, celui auquel l’exception Tunisie donnera naissance. La plus grave difficulté à sa naissance se trouve être la psychologie ludique du Tunisien, son jeu de soi, ce je enjeu géostratégique majeur qui le dépasse parfois.

Aussi ce premier tome a-t-il pour ambition d’ancrer cette vérité dans la tête des Tunisiens : que son exception est réelle et qu’elle illuminera le monde pour peu qu’on cesse d’en douter et qu’on parachève la transfiguration en cours de la politique au diapason de l’imaginaire populaire et de l’évolution de la société. 

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