Lafarge : les actionnaires de Holcim plus habiles que le droit de préemption algérien - Maghreb Emergent

Lafarge : les actionnaires de Holcim plus habiles que le droit de préemption algérien

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La semaine économique commentée par El Kadi Ihsane

Lafarge, le grand cimentier est-il un marqueur de l’histoire économique des années Bouteflika ? L’enseigne française des matériaux de construction a sauvé vendredi son mariage, sur le point d’avorter, avec le suisse Holcim. Au prix de deux concessions. L’action Lafarge ne vaudra plus que 0,93 d’une action Holcim dans «la fusion entre égaux» et la gouvernance exécutive n’est plus laissée, comme prévu, entre les mains de Bruno Laffont, l’actuel PDG de Lafarge. Les actionnaires du suisse Holcim ont contesté il y a quelques semaines un accord de rapprochement signé en avril 2014 à cause d’un différentiel de performance entre les deux groupes qui, depuis, s’est creusé. La nouvelle entité qui va en naître sera le leader mondial du ciment et de ses dérivés. Le lien avec l’histoire économique des années Bouteflika ? La dernière opération de fusion-acquisition de Lafarge en décembre 2007 à la Bourse du Caire avait provoqué un changement de cap algérien dans la politique des investissements directs étrangers. Lafarge avait racheté la branche matériaux de construction de Orascom et était, du coup, devenu propriétaire de deux usines en Algérie.

Sans avoir à boire le thé avec Abdelhamid Temmar, ministre en charge de l’Investissement. Le président Bouteflika annonçait, dans un violent discours contre «les étrangers qui ne jouent pas le jeu», dès juillet 2008, les changements de règles à venir. Le déclenchement de la crise de Wall Street au mois de septembre suivant donnait à la promesse de «représailles» un contenu préventif. Le 51-49 était mis en route et le droit de préemption avec lui.

Près de sept années plus tard, Lafarge et sa jurisprudence, reviennent presque dans les mêmes termes dans le champ économique algérien. Cette fusion Lafarge-Holcim ne pose pourtant a priori aucun problème de respect de la concurrence sur le marché algérien du ciment. C’est le cas dans d’autres pays où le nouveau groupe devra céder des actifs pour abandonner une position de quasi monopole. Elle arrive cependant dans un contexte qui ressemble beaucoup à celui de 2008-2009.

Celui d’une dépression dans les revenus extérieurs de l’Algérie. Une situation qui rend particulièrement nerveux l’Exécutif à Alger. Le ministère de l’Industrie ne peut pas ne pas avoir en tête le scénario précédent, celui de la fusion de Mittal avec Arcelor, dont l’optimisation à l’échelle internationale, couplée à la baisse de la demande régionale en produits sidérurgiques, a provoqué un désastreux désinvestissement sur la plateforme de Annaba.

 

La tentation existe de faire symboliquement porter à nouveau le chapeau à Lafarge de l’échec – relatif – de la politique des IDE en Algérie. Elle pourrait prendre un autre contenu que celui du droit de préemption difficile à opposer dans le cas d’une fusion entre égaux. L’ancien ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou, dont on ne peut pas dire qu’il a été hostile à l’ouverture du marché algérien aux capitaux étrangers, a été le premier à porter l’estocade.

«Pourquoi l’Algérie affiche-t-elle le prix du ciment le plus élevé en Méditerranée alors qu’elle a l’acteur n° 1 du ciment chez elle ?», a-t-il déclaré il y a un mois en marge d’une émission sur RadioM. Réda Amrani, consultant en économie industrielle, enfonçait le clou, sur la même antenne, la semaine suivante, en évoquant un problème de régulation. L’écart entre le prix de revient et le prix de vente du sac de ciment est, selon lui, «trop élevé».

Pour le professeur Benachenhou, c’est au leader mondial de ce métier de faire profiter le marché algérien de sa capacité opérationnelle à produire à moindre coût. Avec 40% du marché, Lafarge Algérie se serait aligné sur les coûts de production de l’autre acteur – peu performant -, le groupe public GICA, et donc sur son prix de vente pour dégager des marges bénéficiaires considérables.

Au détriment de l’économie du bâtiment. Lafarge Algérie s’est bien sûr défendu d’une telle accusation en rappelant sa priorité de, entre autres, hisser l’offre de produits à la hauteur de la demande et d’éviter à l’Algérie d’avoir à importer de 3 à 5 millions de tonnes de ciment pour faire face à ses différents programmes.

Il n’en reste pas moins que la question est lâchée. A quoi bon «héberger» un acteur majeur, entré en Algérie sans y être invité, qui va peut-être modifier sa chaîne de valeur, comme Mittal après la fusion avec Arcelor, si les prix du ciment doivent rester plus élevés qu’ailleurs dans la région. L’histoire économique des années Bouteflika risque cependant de surprendre son monde. Elle peut repartir en sens inverse avec cette nouvelle crispation Lafarge qui se dessine entre sa fusion avec Holcim et le procès qui est fait aux tarifs domestiques de son ciment. La politique des IDE en deviendrait, à rebours du réflexe protectionniste, plus souple.

Plus de capitaux étrangers, plus de concurrence et surtout plus de régulation. Un cimentier sud-africain s’est lancé avec un acteur algérien, Sacace, dans la construction d’une cimenterie à M’sila. D’autres projets d’investissement dans le ciment sont sur «le tapis roulant», y compris celui de Lafarge Algérie avec un privé national à Biskra. L’enjeu de la régulation restera en suspens. Il faudra alors juste, pour le gouvernement algérien, aller regarder du côté des principaux actionnaires de Holcim pour voir comment ils ont réussi à «convaincre» Bruno Laffont et son conseil d’administration de changer l’accord de 2014 au risque de divorcer et de faire fondre les capitalisations boursières des deux groupes.

 

La semaine économique a été dominée par une thématique politiquement «incorrecte» : corruption et suspicion d’évasion fiscale. Il existe un lien entre les procès en corruption de ce printemps 2015 et les comptes HSBC Suisse dévoilés par Maghreb Emergent, mardi dernier. Il s’appelle Tajjedine Addou et il est en détention préventive dans l’affaire de l’autoroute Est-Ouest, dont le procès s’ouvre ce mercredi à la cour criminelle d’Alger. Juste une manière de répondre à cette partie de l’opinion qui ne croit plus à la possibilité de la manifestation de la vérité dans les enquêtes sur les délits économiques.

Le procès Sonatrach 1 a avorté d’entrée. Le listing algérien de HSBC Suisse a déçu les attentes. Mais dans un cas comme dans l’autre, le chemin vers une vie publique plus morale passe par l’effritement du secret bancaire à chaque fois que la suspicion de l’évasion fiscale ou du versement de pots-de-vin le justifie, puis par l’instruction d’une procédure judiciaire indépendante pour établir les faits et les préjudices. Une évidence : grâce aux réseaux de lanceurs d’alerte, les progrès sont plus notables avec SwissLeaks qu’avec les juges algériens. Patience.

 

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