L’Algérie, comme tous les pays du monde, est désormais contrainte de vivre avec le Covid-19 et se tourner vers d’autres méthodes que le semi- confinement pour lutter contre sa propagation. La remise en marche de sa machine économique devient alors un second impératif de survie.
Déconfinement ou poursuite de l’arrêt de l’économie ? Le difficile dilemme auquel sont confrontés les autorités algériennes a été l’objet du Café des Experts Economiques (CEE) de Radio M, avec Reda Amrani (Expert en Industrie), Ali Harbi (Expert du développement durable) et Slim Othmani (Président du Think Tank CARE).
Les invités du CEE sont unanimes : il faut remettre les algériens au travail si on ne veut pas que la situation dans laquelle se trouve l’économie s’aggrave. Selon eux, le pays ne peut plus se permettre l’arrêt total ou presque de ses usines, de ses chantiers et de ses services. Même l’Agriculture, avec la fermeture des lieux de restauration et des hôtels a perdu une partie de son marché.
Reda Hamrani souligne que les prix des produits agricoles ont reculé même en plein de mois de Ramadhan comparés à ceux de 2019. Pour Harbi, le semi-confinement n’a pas atteint les résultats escomptés puisque les chiffres évoluent en dents de scie et ne sont pas dans une tendance baissière, comme c’est les cas dans beaucoup de pays touchés par la pandémie. Le déconfinement serait la seule solution qui s’offre aux responsables en charge de la gestion du pays. Slim Othmani rappelle tout de même qu’il doit être mené en parallèle avec une vaste campagne de sensibilisation sur les dangers de la contamination par le coronavirus, pour sensibiliser les citoyens algériens sur la nécessité de respecter les gestes barrières. Pour le président de Care, on doit absolument sortir « de cette spirale médiatique » liée à la peur de la contamination.
Des pays durement touchés par la pandémie ont décidé de déconfiner et de relancer leur machine économique alors leurs chiffres de contamination sont plusieurs fois supérieurs à ceux de l’Algérie. Ils réalisent, et ils l’expliquent à leurs populations, que ce virus est là pour une période encore indéterminée et qu’on ne peut laisser les gens éternellement confinés et sans ressources. Surtout qu’en Algérie, le Covid19 est la crise qui est venue s’ajouter à une situation économique difficile depuis 2014 et la chute des prix de pétrole. Une situation qui s’est aggravée avec la crise politique qu’a vécu le pays en 2019. Si les experts scientifiques, soutenus par le ministre de la santé conseillent de ne pas déconfiner, avant que le chiffre quotidien des contaminations ne baisse en dessous des 50, les responsables politiques doivent avoir d’autres impératifs.
Il y va de la survie de pans entiers de la société. L’impact de la prolongation du confinement risque d’avoir des effets catastrophiques en termes de précarité sociale. Des centaines de milliers de familles sont sans revenus depuis des mois et ne peuvent demeurer ainsi plus longtemps. Le redémarrage va être dur, même si le déconfinement est décidé aujourd’hui. Personne n’a encore estimé le nombre de chômeurs et d’entreprises définitivement fermées que cette pandémie laissera derrière elle. Le reporter ne fera qu’empirer une situation déjà difficile. Alors qu’aucune décision en faveur de la sauvegarde de l’entreprise n’a été prise. Même les mesures édictées par la Banque d’Algérie, telles que les différés de paiement, l’annulation des intérêts qui sont rattachés à ces report ont été soumises à l’appréciation des banques, après étude de dossiers. Aucun établissement, surtout public, ne prendra ce type décisions sans une garantie souveraine de l’Etat. C’est ce qu’ont fait les pouvoirs publics pour soutenir leurs entreprises et leurs populations dans la majeure partie des pays touchés par la crise sanitaire.
Un plan triennal de relance, et pas une LFC obsolète avant même son adoption
Les experts invités du CEE sont là aussi unanimes. Le déconfinement doit s’accompagner d’un plan triennal sérieux et ambitieux. Reda Amrani plaide pour le retour du Conseil National de Planification, pérenne et à l’abri des changements de gouvernement. Sa tâche serait de préparer et de veiller à la mise en œuvre de plans de développement.
Cette crise sanitaire offre l’opportunité d’une relocalisation de certains intrants des industries de transformation, jusque-là importés. Même si des mesures telles que l’abandon de la règle 51/49 et l’obligation du recours au seul financement local des investisseurs étrangers, ou la suppression du droit de préemption ont été parmi les points positifs introduits par le PLFC, leurs effets vont être limités par la liste des secteurs non concernés par l’abandon de la règle ou de l’autorisation à laquelle reste soumis le non exercice du droit de préemption.
le président de CARE souligne qu’une LFC comme une LF doivent être des moyens de mise en œuvre d’une « trajectoire », d’une « vision », dont il déplore l’existence.Les trois invités s’accordent à dire que cette LFC a été élaborée sur fond d’austérité, dans un contexte post crise sanitaire. Ce n’est certainement pas le moment de procéder à des coupes sombres dans les budgets d’équipement, et partant de la demande publique qui a toujours supporté la croissance ces dernières années. C’est tout à fait inopportun.
A la question de savoir comment financer ce plan de relance, la réponse selon les invités, doit dépasser les tabous de l’endettement et du financement non conventionnel. L’endettement de l’Etat algérien ne dépasse pas les 50% de son PIB avec presque pas d’endettement extérieur. Quand des pays dont l’endettement dépasse les 100% de leur PIB ont recours dans cette situation post Covid à l’endettement extérieur et à la planche à billet. Ali Harbi, dit militer en faveur d’un pack de méthodes de financement, au lieu de tout faire dépendre du baril de pétrole.
L’endettement quand il cible le financement de grands projets structurants et rentables, doit être choisi sans aucune crainte, car les amortissements sont plus rapides. Les invités citent l’exemple du port du centre (projet du port d’El Hamdania dans la wilaya de Tipaza) qui doit être relancé, si on veut encourager l’exportation. Enfin les invités du CEE déplorent l’absence de dialogue avec les acteurs pour des solutions collectives consensuelles.