En l’absence d’une justice indépendante, un procès se transforme en évènement politique. C’est le cas avec le procès Khalifa, estime le CPP, le Café Presse Politique de Radio M, toujours animé par Khaled Drareni.
La montagne a accouché d’une souris. Le procès Khalifa est une grosse déception, constate le CPP de jeudi 4 juin 2015. Pas d’éléments nouveaux apportés. Abdelmoumène Khalifa n’a pas fait de révélations fracassantes. Les témoins les plus attendus, comme Mourad Medelci, président du conseil constitutionnel, ministre des finances au moment des faits, et Abdelmadjid Sidi Saïd, patron de l’UGTA, lors du premier procès et comme dans celui en cours, n’ont pas fait le déplacement, ont constaté les participants au Café Presse Politique de Radio M, auxquels s’était joint Amine Khène, économiste, et Selma Kasmi, journaliste de Maghreb Emergent, qui suit le procès depuis le premier jour.
Mais quel procès, au fait ? Selma Kasmi a été frappée par « l’air décontracté des accusés », malgré « les lourdes charges qui pèsent sur eux ». Elle a relevé l’attitude ambiguë du juge, qui demandait à un accusé s’il avait vérifié la situation de Khalifa Bank avant d’y déposer l’argent de son entreprise. Cela revient à demander à un pilote qu’il présente aux passagers le carnet d’entretien d’un avion qu’on va prendre, a ironisé El Kadi Ihsane. Un prévenu a d’ailleurs répliqué au juge que cela revient à vérifier les diplômes du juge avant d’aller au procès.
Selma Kasmi a aussi noté que le juge a plutôt ménagé Bouguerra Soltani, ancien patron du MSP, ministre du travail et des affaires sociales à l’époque des faits. Le juge n’a pas posé de question à Bouguerra Soltani sur son fils, qui travaillait à Khalifa Airways, alors qu’il a posé des questions similaires à d’autres accusés, a-t-elle noté.
Un choc : la banalisation de la corruption
Mais pour El Kadi Ihsane, le choc est venu d’ailleurs. En premier lieu du fait que Abdelmadjid Sidi-Saïd, patron de l’UGTA, n’est toujours pas poursuivi alors qu’il a reconnu, lors du premier procès, en pleine audience, avoir établi un faux document, provoquant une perte de 12 milliards de dinars aux caisses sociales.
Second choc pour El Kadi Ihsane, l’incroyable banalisation de la corruption en Algérie. Il s’est dit « choqué par le fait qu’on s’est complètement adapté à des faits de corruption ». Dans le procès Khalifa, on parlait de « carte Visa, ce qui est totalement dérisoire » face aux accusations dans l’affaire Sonatrach ou dans l’affaire de l’autoroute est-ouest ». Il a relevé « le caractère anodin de certaines accusations » au procès Khalifa. « Dans le contexte d’aujourd’hui, cela apparait presque comme des mesures d’accompagnement qu’on pourrait tolérer », dit-il.
Un deal au procès Khalifa ? L’hypothèse revient souvent, relève Selma Kasmi. Abed Charef note que le public attendait de Abdelmoumène Khalifa qu’il quitte la scène « à la palestinienne », « avec panache », en balançant tout. Mais le principal accusé du procès a choisi la voie qui l’arrange, pas celle que souhaitaient les Algériens.
Une grande opération de vol de l’argent public
La banalisation de la corruption est une marque de l’ère Bouteflika, insiste El Kadi Ihsane. Mais cela ne doit pas empêcher de rappeler l’ampleur de ce qui s’est passé, souligne de son côté Amine Khène, économiste et invité du CPP. L’affaire Khalifa a été « une grande opération de vol de l’argent public », c’est de « la prédation de l’argent du peuple », dit-il. Pour lui, à cause de « l’incompétence » mais aussi de « la complicité d’agents de l’Etat et d’acteurs privés, le peuple algérien a été dépouillé d’une partie de ses richesses ». C’est évident, mais ça va encore mieux en le disant, souligne Abed Charef, qui se demande à quoi aura finalement servi le procès Khalifa. « A pas grand-chose », dit-il.
Ce qui montre, ajoute Abed Charef, c’est qu’on n’est pas dans un procès Khalifa, mais « dans les procès du printemps 2015 », avec l’affaire de l’autoroute, de la CNAN, de la DGSN et de Sonatrach. « On n’est pas dans le judiciaire, on est totalement dans le politique », dit-il, ajoutant que cela coïncide avec un changement de gouvernement, et avec une normalisation du FLN et du RND, le premier organisant son congrès pour confirmer Amar Saadani, le second enregistrant, sans surprise, le retour d’Ahmed Ouyahia.
Tout ceci a donné « une nouvelle configuration politique » » dans le pays, dit-il. Pour gérer le quatrième mandat ou pour organiser la succession ? Abed Charef franchit le pas, et affirme qu’il va y voir un premier pas dans l’organisation de la succession du président Bouteflika, car la situation est devenue ingérable, « le gouvernement n’a plus de prise sur rien », et la situation peut déraper à tout moment.
Quel rôle pour Noureddine Boukrouh ?
Cette hypothèse de changement ravit El Kadi Ihsane. Cela suppose que, pour la première fois depuis longtemps, « il se passe quelque chose ». Il se réjouit de cette « possibilité d’une évolution politique ». Khaled Drareni, qui trône toujours au CPP, en attendant le retour de Souhila Benali, rappelle que Noureddine Boukrouh, ancien ministre et ancien chef de parti, a lancé une sévère mise en garde contre le maintien du statuquo. Cela risque de mener non pas à 200.000 morts, mais à deux millions de morts, selon M. Boukrouh. Amine Khène s’élève contre ces propos. Il rejette « ce discours alarmiste », et ces propos qui évoquent « des bains de sang » et « des millions de morts », balancés avec une légèreté déconcertante.
Abed Charef rappelle que Noureddine Boukrouh a joué un rôle de premier plan dans la chute du duo Liamine Zeroual – Mohamed Betchine à la fin des années 1990. Il se demande si Noureddine Boukrouh n’est pas dans le même rôle aujourd’hui, avec, cette fois-ci, le président Bouteflika comme cible. Pour le conforter ou pour le dégommer ? Là est la question. Le CPP n’a pas toutes les réponses, mais cela confirme qu’un procès et un congrès du FLN peuvent parfaitement se compléter.
Extraits vidéo : http://bit.ly/1GcFy52