Le Café Presse Politique de Radio M est une émission bien algérienne. La preuve : le CPP parle du CPP, et des problèmes de la presse.
Elle apporte un peu de grâce dans une émission politique rébarbative, où on parle de scandales, de corruption, d’impasse politique et de blocage institutionnel. Elle offre son sourire désarmant pour atténuer l’air grave affiché par Saïd Djaafer et le ton sérieux de El Kadi Ihsane. Elle se perd dans de longues phrases pour faire oublier le rythme à la mitraillette de Khaled Drareni. Elle supporte les commentaires de Abed Charef. Souhila Benali, animatrice du CPP, le café presse politique de Radio M depuis son lancement, début 2014, réunissait tous ces talents. Mais elle ne peut rien contre la bureaucratie et la bêtise. Jeudi 14 mai 2015, elle a raté l’émission, pour la première fois. Elle a été sommée par la chaine 3 de la radio algérienne de ne plus animer le CPP, sous peine d’être licenciée.
Pourtant, Souhila Benali participe à l’émission comme bénévole. Elle en assure l’animation « de manière gracieuse et bénévole ». Tout comme Khaled Drareni. El Kadi Ihsane, patron de Interface Medias, qui a lancé Radio M, l’a précisé lors de l’émission de jeudi. Le CPP permet à la journaliste de s’éclater, de faire ce qu’elle ne peut faire à la radio publique, et ce que ne peuvent faire les journalistes du secteur public de manière générale, a-t-il dit.
Un secteur public étouffant
Souhila Benali a déjà eu des problèmes similaires quand elle présentait le journal de Canal Algérie. Bien avant elle, El Kadi Ihsane avait été licencié de la radio, et Abed Charef licencié de l’ENTV. Ce qui confirme que dans ce monde des médias publics, on en reste au même fonctionnement. Le secteur public constitue une part essentielle dans le système médiatique algérien. Mais ce secteur public est dans l’absurdité. Il est décalé dans le temps. « Il a un siècle de retard sur les médias modernes », estime Abed Charef.
Tranché, Saïd Djaafer relève que « le service public est interdit dans les radios publiques ». C’est une règle qui s’appuie sur un « barbarisme » qui veut que le service public obéisse à « la ligne éditoriale de l’Etat ». La situation s’est aggravée avec Hamid Grine, l’actuel ministre de la Communication, qui « fait dans le zèle », ajoute-t-il. M. Grine « met un excès de zèle » dans ses relations avec « des anciens confrères ». « Il le fait de manière hargneuse. Ça dépasse l’entendement ».
Dans le même sens, Hacène Ouali a noté que M. Grine « passe son temps à régler des comptes avec des journalistes qui ne sont pas dans la maison de l’obéissance ». Il se demande « pourquoi d’autres journalistes, pendant des campagnes électorales, ont pu travailler dans des chaines privées tout en étant payés par des médias publics, comme s’ils y étaient affectés ». Khaled Drareni, qui a brillamment suppléé à l’absence de Souhila Benali en animant l’émission de jeudi 14 mai, a cité la chaine Wiam (Concorde), favorable au président Bouteflika, où officiaient des journalistes salariés de la télévision publique. « Pourquoi certains journalistes du secteur public sont autorisés à collaborer ailleurs et d’autres non », s’est-il demandé ? « Ceux qui sont autorisés passent un deal au préalable », répond Abed Charef. « Ils savent ce qu’ils peuvent dire et ce qu’ils doivent éviter de dire. Ils sont dans la précarité, comme les chaines privées, officiellement des sociétés étrangères, mais qui négocient un deal avant de commencer à émettre », dit-il. El Kadi Ihsane conteste cette vision. Pour lui, « il n’y a pas de deal ».
Avec cette polémique, le CPP était enfin revenu à sa routine. Avec, toutefois, le sourire de Souhila Benali en moins.
Extraits vidéo : http://bit.ly/1Hl6Rfi