Sérieuse polémique au CPP, le Café Presse Politique de Radio M : peut-on créer une télé privée sans un deal avec le DRS ? Et comment la corruption peut-elle toucher l’armée malgré une commission des marchés ?
Emporté par le vent des affaires, enivré par ce qui se dit autour du procès de l’affaire de l’autoroute est-ouest, le Café Presse Politique de Radio M, s’est encore laissé glisser dangereusement, ce jeudi 30 avril, au point d’évoquer la corruption sur les marchés militaires.
Pourquoi trouver des noms d’officiers supérieurs du DRS dans le procès, a demandé Souhila Benali, animatrice de l’émission ? « C’est l’inverse qui aurait été surprenant, dans un pays où l’armée a un pouvoir exorbitant », a répondu El Kadi Ihsane. « Dans un écosystème qui carbure autour de la corruption, pourquoi l’armée ne serait pas l’institution la plus corrompue, alors c’est elle qui a le plus de pouvoir, et c’est elle qui se situe le plus en dehors du droit ? Qui contrôle le budget de l’armée ? L’APN ne peut pas le contrôler. S’il y a un domaine d’impunité du contrat, c’est bien le domaine militaire », a affirmé El Kadi Ihsane.
Akram Kharief, animateur du site Secret Difa3, spécialisé dans les questions militaires et de défense, a rappelé que « la décision économique est parasitée par un système formel et informel », et que « des officiers supérieurs sont présents dans toutes les administrations, dans toutes les entreprises publiques ».
Connexion entre l’armée et la corruption
Ce qui se passe « tend à prouver qu’il y a une connexion entre l’armée et la corruption », à cause d’un « défaut de transparence dans la gestion des affaires de l’Etat », dit-il, ajoutant toutefois qu’au sein de l’armée, il existe une « commission des marchés dont le fonctionnement est très efficace ». L’armée algérienne « n’est pas une armée corrompue, ce n’est pas une armée bananière », et « la commission des marchés très bien organisée », avec des membres qui changent régulièrement.
Comment dès lors expliquer cette affaire de corruption concernant un marché d’hélicoptères Augusta auprès d’une firme italienne ? Il s’agit d’une centaine d’appareils commandés par l’Algérie, et à propos desquels une enquête est en cours en Italie. « Cela se passe en amont », lors de l’élaboration du cahier des charges, estime Akram Kharief. Selon lui, les hélicoptères commandés par l’Algérie ne sont, d’ailleurs, « pas adaptés à ses besoins ».
« Les hélicoptères Augusta sont d’excellente qualité, mais inadaptés », dit-il. « Ni la police ni l’armée ne les ont utilisés dans le désert ». Il rappelle aussi que l’ancien patron de la firme italienne, Giuseppe Ordi, purge une peine deux ans de prison dans une affaire de commission lors d’un contrat avec l’Inde.
Sortie du cadre institutionnel
Pour Abed Charef, le cadre commun à toutes ces affaires de corruption, qu’il s’agisse de l’autoroute est-ouest, de l’affaire Sonatrach ou du contrat d’achat des hélicoptères, c’est « quand la décision sort de son cadre institutionnel ». Saïd Djaafar va dans le même sens, mais relève que « c’était limité à des cercles restreints. Maintenant, ça s’est élargi, pour déboucher sur l’impotence du système et le sentiment que tout est pourri ».
Abdou Semmar, animateur du site Algérie Focus, se demande si le juge peut convoquer un officier cité dans une enquête. Il note aussi que le procès de l’affaire de l’autoroute pose une série de questions, parmi lesquelles l’usage de la torture dont des prévenus affirment en avoir été victimes. « Comment un procès peut se tenir sur la base d’aveux extorqués sous la torture », se demande-t-il.
Abed Charef fait deux remarques sur le procès de l’affaire de l’autoroute. Il rappelle qu’en Algérie, « il y a légalement une justice à deux vitesses ». « Les ministres ne sont pas poursuivis devant les juridictions normales. Ensuite, avec les seules informations rendues publics, lors du procès, n’importe quel service de renseignement étranger peut faire chanter la moitié du gouvernement algérien », note-t-il.
Monsieur l’officier traitant
Le CPP a aussi évoqué l’état de la presse algérienne, à la veille de journée de la liberté de la presse, célébrée le 3 mai. Abdou Semmar, qui participait à l’émission « Djazaïria week-end » suspendue la semaine dernière, a déploré que les patrons de la chaine El-Djazaïria aient affirmé que l’arrêt de l’émission a été décidé par l’équipe qui la réalise. « La chaine a le droit de se préserver, je comprends », mais l’attitude du patron de la chaine « n’est pas acceptable » dit-il. Abdou Semmar a, d’ailleurs, affirmé avoir « rencontré des problèmes surtout avec les patrons de presse » plutôt qu’avec les autorités.
Saïd Djaafar a demandé la permission de faire le rabat-joie à ce sujet. Pour lui, l’existence de ces chaines relève d’une « ingénierie de combine ». Il rappelle que « les patrons (de ces chaines, ndlr) étant officiellement des correspondants de chaines étrangères ». « L’Etat a contourné la loi avec un message implicite » adressé à ces patrons de chaînes : « vous êtes des nôtres ». Ce sont donc « des télés fragiles, n’importe quel responsable peut leur dire d’arrêter les frais ».
Abed Charef trouve difficile d’être solidaire avec une télé informelle. Ces chaines doivent devenir « des télé algériennes obéissant à la loi algérienne ». Autrement, la création d’une chaine est le résultat « d’un deal avec l’officier traitant du DRS ».
Une polémique s’ensuit avec El Kadi Ihsane. « Ce n’est pas vrai », dit-il. « Tous les gens qui ont décidé de créer une télé n’ont pas signé un deal avec le pouvoir ». Saïd Djaafar réplique : « on ne donne pas le statut de correspondant étranger à n’importe qui, on leur donne de l’avance sur les autres et sur la loi ».