La Secrétaire générale de Businessmed (Union méditerranéenne des confédérations d’entreprises) estime que pour pallier l’instabilité à laquelle font face les pays du pourtour méditerranéen, il est impératif d’aller vers une intégration de cette zone et de converger vers des solutions complémentaires, le Sud comme le Nord de la Méditerranée ayant chacun profit à tirer de l’autre.
L’intégration économique interméditerranéenne figure parmi vos projets à moyen et long termew. Qu’est-ce qu’une telle perspective peut apporter aux pays de la région, notamment ceux du Sud ?
L’objectif ultime de BUSINESSMED est de réaliser l’intégration économique régionale qui consiste en l’abolition des entraves au libre échange entre les pays euro-méditerranéens, l’unification des politiques économiques des pays Méditerranéens d’une part, et la promotion de l’investissement inter-méditerranéen et l’échange du savoir-faire et des compétences sur un plan intra-régional, d’autre part. Dans une optique d’intégration économique, les pays du Sud tout comme les pays du Nord doivent promouvoir la diversité méditerranéenne et les ressources disponibles dans la région. Les pays du sud de la Méditerranée bénéficient d’une telle optique notamment pour se rattraper et limiter l’écart de développement par rapport aux pays du nord et de répliquer les bonnes pratiques issues du Nord.
Treize années après la création de BUSINESSMED, quel bilan faites-vous de ses activités en matière de promotion du dialogue et de l’intégration socio-économique interméditerranéenne ? Cette perspective représente-t-elle un enjeu pertinent pour tous les pays de la région?
Depuis sa création en 2002, BUSINESSMED a vécu une croissance exponentielle qui lui a permis d’acquérir une certaine notoriété auprès des principaux acteurs économiques de la région euro-méditerranéenne (représentants du secteur privé, ONG, gouvernements, etc.). Le développement de l’organisation durant 15 années d’activité se manifeste par sa représentativité significative dans la région grâce à l’intégration de 22 confédérations et plus de 600.000 entreprises affiliées issues de 19 pays de la rive Sud et Nord da la Méditerranée. En collaboration avec nos membres et partenaires, nous avons organisé plusieurs manifestations de grande envergure, à savoir les journées de compétitivité de BUSINESSMED: Forum Economique Méditerranéen «Crossing Mare Nostrum» en Italie (2006), MedEspaña en Espagne (2007), Med Business Days en France (2008), Forum d’Affaires d’Athènes « Bridging the Mediterrannean » en Grèce (2009), Forum MEDINVEST au Liban (2009), MEDA WOMEN à Tunis (2010) et le Forum Euro-Méditerranéen en Italie (2016). En outre, nous avons géré une panoplie de projets régionaux ayant pour vocation le renforcement du rôle des organisations patronales dans la promotion du commerce et de l’investissement (UNIMED) et l’amélioration du climat d’affaires (Invest In MED). BUSINESSMED est actuellement membre de plusieurs consortiums dans une optique de co-construction de projets: EUROMED Invest, un projet dédié au développement des investissements privés et- des relations économiques dans la zone euro-méditerranéenne ; le projet EDILE ayant pour vocation le renforcement du développement économique local ; le projet HOMERe visant à renforcer l’employabilité des jeunes de haut niveau ; le projet SOLiD visant à la promotion du dialogue social dans le voisinage sud de la Méditerranée. Le réseau de BUSINESSMED est impliqué dans ses différentes initiatives. Certaines activités et projets ont pour vocation le développement du réseau entre les pays euro-méditerranéen, d’autres ont plutôt un focus sur les pays de voisinage sud de la Méditerranée tel que le projet SOLiD. La prise de conscience de la nécessité d’intégration régionale pour certains pays a été marquée suite à la crise mondiale de 2008 et le printemps arabe qui a remis en cause le modèle économique existant.
Vraisemblablement, l’impact de vos actions n’est pas le même dans tous les pays, les politiques des gouvernements et les volontés des opérateurs économiques des pays membres n’étant pas les mêmes. Quels sont les principaux obstacles que vos rencontrez ? Et quels sont vos défis à court, à moyen et à long termes sachant que, à l’heure actuelle, les échanges inter-méditerranéens restent très disproportionnés?
Étant donné que plusieurs projets et manifestations sont réalisés en partenariat avec certaines confédérations membres, l’impact de nos activités s’étend à tout les pays partenaires. A travers ses opérations, BUSINESSMED implique tout son réseau encourageant ainsi l’effet de synergie afin de garantir une meilleure intégration régionale. Notre défi à moyen et long terme est le développement économique inclusif des confédérations membres qui ont des préoccupations souvent divergentes compte tenu des considérations nationales. L’enjeu majeur réside dans la garantie de la complémentarité des deux rives de la Méditerranée sur divers plans à savoir : Favoriser la mobilité inter-méditerranéenne, notamment Sud-Nord, afin de combler le déficit de main-d’œuvre au nord de la Méditerranée estimé à 40 millions en 2030 d’une part, et la réduction substantielle des taux de chômage dans les pays du sud de la Méditerranée compte tenu des taux de création d’emploi (2 % insuffisant en 2030) d’autre part. Il s’agit aussi de valoriser les avantages comparatifs entre les pays riverains : pays du nord procurant des services à haute valeur ajoutée et des pays du sud spécialisés dans les services supports (tourisme, transport, télécommunications, etc.). Il est, par ailleurs, question de capitaliser sur les ressources naturelles et énergétiques disponibles dans la région comme les dotations des uns répondent aux besoins des autres comme, par exemple, l’abondance des ressources renouvelables des pays sud, et les ressources en eau au nord de la Méditerranée.
Il existe bien d’autres organisations et organismes qui œuvrent à peu près pour les même objectifs que Businessmed, telles que l’Union pour la Méditerranée, l’Ipemed, la Zone de libre-échange euro-méditerranéenne, l’Euroméditérannean Arab Association, etc. Comment se mène votre travail par rapport à tous ces acteurs ? Dans la complémentarité ou dans la concurrence ?
Bien que BUSINESSMED soit le principal représentant régional du secteur privé rassemblant les confédérations d’employeurs issus du nord et de sud de la méditerranée, elle coexiste et œuvre dans une optique de coopération et de complémentarité avec d’autres organisations régionales représentant le secteur privé et ayant les mêmes objectifs, à savoir le développement régional inclusif, la durabilité et la viabilité des économies méditerranéennes, la promotion de la paix, de stabilité et de prospérité dans la zone méditerranéenne grâce au renforcement du dialogue social, politique et sécuritaire et la coopération économique et sociale. La coopération entre BUSINESSMED et les organisations à vocation économique de la région se manifeste par l’implication dans des consortiums de projets notamment la coopération UNICE (BUSINESSEUROPE) – UMCE (BUSINESSMED) dans le cadre du projet UNIMED 1 et 2, la Médalliance composée de BUSINESSMED, ASCAME, ANIMA et EUROCHAMBRES lancée depuis 2008 dans le cadre des projets Invest In Med et EUROMED Invest, etc. Par ailleurs, BUSINESSMED participe activement aux différentes initiatives lancées par l’UpM, notamment les working groups sur l’employabilité, les réunions ministérielles, etc. D’ailleurs, nous co-organisons une conférence de haut niveau sur le dialogue social EU-Med qui aura lieu en octobre 2017. Il est judicieux de mentionner que le lancement de l’Union pour la Méditerranée est le résultat d’une initiative conjointe entre l’UMCE et l’UNICE soutenue par une véritable volonté politique de 28 Etats de l’UE et 15 pays partenaires méditerranéens dans la lignée du processus de Barcelone, ayant pour vocation la réponse aux défis communs auxquels fait face la région euro-méditerranéenne.
Les activités de Businnesmed visent à soutenir le développement du secteur privé dans le bassin méditerranéen. Aujourd’hui, on constate que de larges décalages existent entre le secteur privé dans les pays du nord de la Méditerranée et ceux du Sud. Qu’est- ce qui empêche le décollage des économies du Sud ?
Les décalages au niveau du secteur privé entre les deux rives de la Méditerranée s’expliquent par une disparité Nord-sud sur plusieurs volets. Sur le plan démographique par exemple, l’espérance de vie est bien élevée au nord (77.8 en 2017) et le taux de croissance de la population européenne est l’un des plus faibles du monde estimé à 0.4% en 2017 contre 24.5% dans les pays du sud. Ceci dévoile un vieillissement de la population menaçant ainsi la croissance économique au nord à long terme, compte tenu de la dégradation de la population active. Sur le plan économique, la compétitivité des pays dénote une divergence considérable entre ceux du sud et ceux du nord de la méditerranée. Selon le classement du World Economic Forum, la Belgique, le pays le plus compétitif au niveau de la rive nord, est classée 19ème au niveau mondial. Selon l’Index mondial « Compétitivité et talents 2017 (GTCI) », la Tunisie classée première dans la région de l’Afrique du Nord, en matière d’attractivité et de compétitivité, occupe la 77ème place mondiale sur un échantillon de 118 pays. Sur le plan social, la crise économique de 2008 a affecté le niveau de vie et la stabilité sociale mondiale. La pauvreté a affecté aussi bien les pays du sud que ceux du nord considérant l’exemple de l’Allemagne dont le taux de pauvreté est alarmant, estimé à 15.7% par l’Office Fédéral des Statistiques en 2017. Sur le plan sécuritaire, nous observons, selon le classement du World Economic Forum, un rapprochement nord-sud. Quant aux pays les plus sécurisés dans le monde: L’Espagne, premier pays du nord dans le classement, est le 18ème pays les plus sûrs dans le monde ; le Maroc, premier pays du sud dans ce classement, occupe la 20ème place au niveau mondial.
Votre organisation œuvre aussi à augmenter le flux des investissements directs étrangers dans l’espace euro-méditerranéen. Or, les pays de la rive sud en attirent toujours très peu et pas souvent les meilleurs. Fatalité ou mauvaises négociations ?
Effectivement, l’une des principales missions de BUSINESSMED est de promouvoir l’investissement direct étranger au sein de la zone euro-méditerranéenne en mettant en réseau les investisseurs, organisations de support aux entreprises et institutions financières issus de la région. Les flux d’IDE ont été affectés considérablement par le déficit sécuritaire partout dans le monde, ayant reculé de 13% en 2016. Les pays méditerranéens n’ont pas échappé à cette vague. L’UE a subi une chute de 18% tant dis que les pays du sud ont enregistré une baisse de 20% de leurs flux IDE au cours de la même année. Dans cette perspective, nous avons saisi toutes les opportunités pour inviter toutes les parties prenantes méditerranéennes à joindre leurs forces afin de rétablir un climat propice à l’investissement (déblocage des avantages fiscaux et financiers, stabilité politique, accès au financement, infrastructure, etc.) et palier aux anomalies vécus cette dernière décennie. Nous continuons à œuvrer dans le même sens. C’est un travail permanent.
Les économies des pays du bassin méditerranéen sont loin de se valoir. Le Nord voit toujours le Sud davantage comme marché que comme destination pour ses investissements. Concrètement, existe-t-il une possibilité de partenariat gagnant-gagnant dans ces conditions entre les deux rives?
Nul ne peut nier que les pays du nord de la Méditerranée sont en moyenne plus développés que les pays du sud. Ce décalage au niveau du développement économique nord / sud remonte à la révolution industrielle du 19ème siècle. La perception de sud en tant que marché plutôt qu’une destination propice à l’investissement se manifeste d’ailleurs par la chute de l’investissement européen dans les pays sud-méditerranéens (baisse de 40% depuis 2008). Néanmoins, les bouleversements géopolitiques qu’ont vécus certains pays du sud de la Méditerranée depuis 2011 ont généré de nouveaux défis économiques, sociaux et politiques auxquels toute la région doit faire face. Le nouvel enjeu est de rétablir la sécurité et la stabilité, confronter l’hémorragie des réfugiés fuyant les conflits au Moyen-Orient (plus de 5.5 millions de réfugiés syriens selon the UN Refugee Agency UNHCR) et la vague de migration, sachant que l’Europe a accueilli 17% des déracinés à travers le monde. Compte tenu de ces chiffres alarmants et de la stagnation de l’économie européenne, nous avons constaté une tendance au changement de la perception préétablie à l’égard des pays de sud dans une optique de partenariat win-win qui se manifeste par l’abondance des initiatives et des projets financés par l’UE ainsi que des consultations sur la politique européenne de voisinage dédiés au rapprochement entre les deux rives, la réalisation de l’intégration socio-économique, la pérennité et la sécurité de la région dans son intégralité.