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Maghreb

Tunisie – Le Front populaire sera le principal arbitre entre Marzouki et Caïd Essebsi (Farida Ayari)

Par Yacine Temlali
novembre 24, 2014
Tunisie – Le Front populaire sera le principal arbitre entre Marzouki et Caïd Essebsi (Farida Ayari)

Ennahda, estime la journaliste et analyste politique tunisienne Farida Ayari, se tient à l’écart de ces présidentielles pour mieux préparer son retour politique mais en attendant il soutient Moncef Marzouki. Pour elle, le score de Moncef Marzouki au premier tour des présidentielles, quelque 30%, correspond au poids électoral du parti islamiste.

 

  

Maghreb Emergent : Les jeunes ont été la mèche de la révolution tunisienne de décembre 2010-janvier 2011. Pourtant, différents observateurs et médias parlent d’une absence relative des jeunes dans les bureaux de vote lors des élections présidentielles d’hier. Pourquoi ce désintérêt ?

 

Farida Ayari : Les jeunes ont le sentiment que leur révolution a été confisquée avec le retour des personnalités de l’ancien régime sur la scène politique. En l’espace de trois ans, nous avons assisté au retour des anciens bourguibistes et bénalistes. La classe politique tunisienne n’a, hélas, pas été renouvelée, et c’est ce qui leur a donné l’impression de statu quo ou de retour à l’ancien régime.

De même, les trois années de règne d’Ennahda ont été une grande déception pour eux. Ennahda a fonctionné, dès sa prise de pouvoir exactement comme le RCD (parti de Zine el Abidine Ben Ali, NDLR), dont il ne cessait de dénoncer les pratiques. Les dirigeants d’Ennahda ont, par exemple, placé 30.000 de leurs militants dans les administrations publiques. On a commencé ainsi à nommer les gens dans des postes non pour leur compétence mais plutôt parce qu’ils ont fait allégeance à ce parti, ce qui est inadmissible.

Ceci conjugué à une sévère crise économique. En l’espace de trois ans, le taux de chômage a doublé chez les jeunes.

 

Ennahda semble avoir une base populaire « forte » à en juger par les précédents scrutins. Pourquoi n’a-t-il pas présenté de candidat à ces élections présidentielles ?

 

Ennahdha a, effectivement, une base populaire forte. Son électorat est estimé entre 25 et 30% de l’électorat tunisien. L’absence de candidat de ce parti à ces présidentielles me semble être une tactique de sa part, une tactique que je juge très bonne. Ennahda a tiré les leçons des erreurs commises pendant deux ans. Il a su quitter le pouvoir pour mieux revenir en force prochainement. Nous observons un rajeunissement de ses militants et de ses candidats, qui sont de plus en plus compétents et modernes. Ennahda prépare ses militants pour les prochains rendez-vous électoraux. En plus, il ne faut oublier que c’est un parti qui s’est toujours battu pour un régime parlementaire. Il n’est pas, de ce fait, très intéressé par la présidence.

 

Moncef Marzouki a-t-il été porté au second tour par les voix des électeurs d’Ennahda?

 

C’est une chose certaine. Marzouki est l’allié d’Ennahda depuis le début. Les 30% des voix qu’aurait récoltées Moncef Marzouki correspondraient à l’électorat d’Ennahda.

 

La Constitution de février 2014 donne plus de prérogatives au Parlement qu’à la présidence de la république. Est-ce une raison de cette absence relative d’engouement populaire pour les présidentielles par rapport aux législatives ?

 

Je souhaiterais tout d’abord souligner que le taux de participation aux présidentielles qui a été donné (près de 65%, NDLR) n’est pas très loin de celui des législatives (68%, NDLR). En vertu de la Constitution du 27 février 2014, les prérogatives du chef de l’Etat sont réduites à la diplomatie, à garantir le respect de la Constitution, etc. Donc, elles ne concernent pas les questions les plus cruciales de la vie économique et politique. C’est peut-être pour cette raison que le plus important pour les électeurs tunisiens était les législatives.

 

Dès la fermeture des bureaux de vote hier, nous avons observé une reprise des attaques verbales entre candidats. On a même parlé d’affrontements devant certains QG de campagne. La campagne électorale reprend-elle déjà ?

 

Hier, au QG de Moncef Marzouki à Ariana (Tunis, NDLR), j’ai été surprise de voir le staff de sa campagne se livrer à une intox comme je n’en avais jamais vu en 40 ans de travail. Le staff a assuré que Marzouki devançait BCE de 4 ou 5%, et la rumeur s’est vite propagée. Les gens ont commencé à affluer de partout et les partisans de ce candidat ont commencé à scander à leur adresse : « Djebnak bela flous » (Tu es venu nous rejoindre mais pas pour de l’argent, NDLR). L’argent a, en effet, joué un grand rôle dans la campagne électorale. J’ai passé deux semaines à Al Kesserine, une ville qui a été le fief de la révolution, ce qui fait d’elle un point de passage obligé et privilégié pour tous les candidats. Nous y avons observé que tous les candidats, mis à part celui du Front Populaire, payaient 10 à 15 dinars les gens pour qu’ils assistent à leurs meetings. Je regrette que l’Instance supérieure indépendante pour les élections n’ait rien fait face à ces agissements.

 

Le candidat de la gauche radicale Hamma Hammami serait arrivé en troisième position selon des instituts de sondage. Comment expliquez-vous ce résultat?

 

La gauche radicale a toujours été présente. Elle était réprimée, bâillonnée sous les régimes autoritaires de Bourguiba et Ben Ali. Elle s’est étiolée avec l’apparition des islamistes après la révolution iranienne de 1979, quand toute l’attention s’est dirigée vers les islamistes, qui devenaient les principales menaces pour l’Etat. La gauche radicale, représentée aujourd’hui par le Front Populaire, n’a jamais disparu, bien au contraire. Elle a 15 sièges au Parlement, et pour la première fois de son histoire, elle fait un score à deux chiffres dans des élections.

Les différents meetings et réunions animés par Hamma Hammami, auxquels j’ai assisté me permettent de dire que la base de la gauche radicale chez les Tunisiens et, surtout, chez les jeunes, est plus forte qu’on ne le pense. J’ai observé dans tous les meetings que les salles étaient archicombles et que les jeunes se précipitaient pour prendre des photos avec M. Hammami. Nous avons observé également que l’électorat du Front Populaire est composé de gens de la classe moyenne et même supérieure ! Non, l’arrivée du candidat de la gauche radicale en troisième position Tunisie n’est point une surprise.

 

Hamma Hammami sera-t-il donc l’arbitre du deuxième tour ?

 

Bien entendu, ce sont les voix de ses partisans qui trancheront sur l’identité du prochain président. Tout se jouera par rapport au Front Populaire. Je compare M. Hammami à Jean- Luc Mélenchon (candidat de gauche aux dernières présidentielles françaises, NDLR), sauf qu’il traîne toujours la casserole de communiste, bien que son discours ait beaucoup changé sous plusieurs aspects.

 

Les électeurs du Front populaire donneront-ils leurs voix à Béji Caïd Essebsi ?

Le Front Populaire a été clair en disant, à plusieurs reprises, qu’il ne soutiendrait jamais ceux qui ont collaboré avec Ennahda. Là aussi, je vais faire une analogie avec Jean-Luc Mélenchon, qui a appelé à voter François Hollande juste pour ne pas voir Nicolas Sarkozy arriver au pouvoir. Je pense, et ce n’est qu’un feeling, que la plupart des électeurs de Hamma Hammami vont porter leur voix sur Béji Caid Essebsi.

 

Propos recueillis par Selma Kasmi

 

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