Le premier ministre tunisien Mehdi Jomaa a quitté Alger, dimanche, avec un chèque de « sursis » de 250 millions de dollars dont 100 millions de dollars sous forme de placement à la banque centrale tunisienne. La transition tunisienne méritait mieux.
C’est un effort un peu plus conséquent que le prêt de 100 millions de dollars accordé par Alger en 2011 à la Tunisie. Mais les besoins pressants en financements, de l’économie tunisienne, auraient pu être atténués par son richissime voisin algérien qui croule sous des liquidités abondantes, à ne plus quoi en faire. A l’issue de ses entretiens avec son homologue algérien Abdelmalek Sellal, le premier ministre tunisien Mehdi Jomaa, a bien fait l’effort d’afficher le sourire des grands jours. Mais des officiels tunisiens ne cachent pas, en aparté, leur « déception » devant le manque d’enthousiasme d’Alger à aider son voisin à éviter d’un douloureux passage par la case FMI et des restrictions budgétaires qui feraient monter d’avantage la pression sur le front social. « On ne cesse de lire que l’Algérie possède 200 milliards de dollars de réserves de change, » relève un ancien ministre « technocrate » de Ben Ali. « Récemment, elle a effacé une partie de la dette des pays africains et elle a même prêté trois milliards de dollars au FMI. Peut-être, est-ce pour lui permettre d’accorder un crédit à la Tunisie…,» ajoute-t-il sur un ton ironique.
Vieilles rancunes ?
Même si du coté algérien, l’on déplore aussi ce manque de générosité vis-à-vis d’un voisin dont la stabilité est d’une extrême importance pour l’Algérie, un ancien ministre évoque « une vieille rancune », qui explique en partie les réticences algériennes. «Dans les années 1980, c’est l’Algérie qui a aidé la Tunisie à échapper à la cessation de paiement, » se rappelle-t-il. « Pourtant, en retour, les Tunisiens ne nous ont guère aidés lorsque l’Algérie a essayé d’éviter le rééchelonnement de sa dette. Il y a encore des gens pour s’en souvenir au sein du pouvoir algérien… », a-t-il ajouté.
Mais ces « vielles rancunes » n’expliquent pas à elles seules les hésitations d’Alger. Les protestations répétées des opérateurs économiques algériens devant la quasi-fermeture du marché tunisien sur leurs produits, par le truchement de « nouvelles normes » imposées par Tunis, a fini par agacer les algériens. Car ces restrictions tunisiennes ne sont pas nouvelles. Sous l’ère Ben Ali, elles ont atteint la caricature jusqu’à interdire aux algériens « d’introduire » une boite de dates Deglet Nour en territoire tunisien sous prétexte de prolifération du «Bayoudh» (une mouche qui s’attaque aux dattiers), alors que des tonnes de ce même produit traversent allègrement la frontière vers la Tunisie, via des circuits informels bien huilés, pour être emballés, puis exportés sous un label tunisien !
A propos de « trabendo » aux frontières, un rapport de la Banque mondiale, présenté le 5 février, à l’occasion d’une journée sur la contrebande et le commerce parallèle organisé par l’UTICA (Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA), estime le commerce informel entre la Tunisie et ses deux voisins, la Libye et l’Algérie à 1,8 milliards de dinars tunisiens (1 euros = 2,1 dinars). Ainsi, on y apprend que 3000 camionnettes font quotidiennement le va-et-vient entre l’Algérie et la Tunisie. Et que 25% du carburant consommé en Tunisie vient des réseaux d’importation informels depuis l’Algérie, où il ne coûte qu’un dixième du prix en vigueur en Tunisie.
Investir au lieu de «donner»
Pour autant, une aide financière de l’Algérie, avec ses propres conditionnalités, notamment en termes d’ouverture du marché tunisien aux entreprises publiques et privées algériennes, ferait sens d’autant plus que cela contrebalancerait l’influence économique d’autres pays comme le Qatar, qui lorgne sur les joyaux économiques tunisiens.
Pour l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Abderahmane Hadj Nacer, l’Algérie ne doit pas oublier « ses intérêts » dans ses plans d’aide à la Tunisie. Lors de son passage à Radio M, Hadj Nacer a révélé que le secrétaire d’Etat américain, John Kerry avait suggéré aux autorités algériennes lors de sa récente visite à Alger, d’aider financièrement la Tunisie, la France également en difficulté, ne pouvant remplir cette tâche. Mais Hadj Nacer considère que cette aide algérienne ne doit pas se faire sous forme de « dons et n’importe comment ». «Il faut injecter cet argent dans l’économie tunisienne pour assurer la traçabilité des financements algériens demain, » a-t-il suggéré.
Retour à la case FMI
Fin janvier 2014, le Fonds Monétaire International a débloqué un prêt de 506 millions de dollars à la Tunisie, après plusieurs mois d’hésitation. Ce premier versement entre dans le cadre d’un plan d’aide de 1,7 milliard de dollars accordé en juin 2013 au pays pour accompagner sa transition politique. Mais la contrepartie de ce déblocage est accompagnée d’une série de conditions « structurelles » auxquelles Tunis est appelée à se soumettre. L’une de ces mesures est la réduction des subventions aux produits de large consommation, accompagnée d’une réforme – voire de la disparition – de la Caisse de compensation tunisienne.