Le gouvernement d’Abdelilah Benkirane veut faire passer le plus rapidement son projet de réforme du code de la presse et de l’édition devant le parlement, au grand mépris des professionnels, qui ont dénoncé une »régression » de ce code.
Mercredi dernier, le ministre de la communication et porte parole du gouvernement, Mustapha El Khalfi, avait présenté le projet de code de la presse et de l’édition devant les députés de la Commission de l’enseignement de la Chambre des représentants, dernier jour de la session d’automne. Auparavant, les textes relatifs au Conseil national de la presse et au statut du journaliste professionnel ont été adoptés en deuxième lecture. Au sein de la corporation, c’est la grande levée de boucliers. Il y a d’abord cet avertissement de la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ), qui a rejeté catégoriquement »des régressions contenues dans le projet du code de la presse, concocté par Mustapha Khalfi. » En gros, les reproches de la corporation portent notamment sur les engagements non tenus du gouvernement sur les peines privatives de liberté. En outre, la fédération rejette plusieurs dispositions du projet de loi, dont une vingtaine d’articles qui »posent problème », selon un éditeur. »Ces régressions portent sur l’instauration de nouvelles sanctions dangereuses », comme « le retrait définitif de la carte de presse, la possibilité d’interdiction d’exercice de la profession pendant une période pouvant aller jusqu’à dix ans et l’interdiction de jouir des droits civiques et politiques, voire familiaux », estime la FMEJ. Il y a également cette »épée de Damoclès » qui porte sur la possibilité d’interdire des journaux avant même le début de leur procès, la qualification de certains délits de presse de crimes de droit commun et la non prise en compte du principe de bonne foi en cas de diffamation.
Les éditeurs de journaux dénoncent
La FMEJ a annoncé qu’elle va s’opposer au projet du Code de la presse « par tous les moyens possibles ». Le gouvernement avait introduit ce code de la presse dans la procédure législative sans avoir trouvé un accord avec les professionnels. De son côté, l’Association des radios et des télévisions indépendantes a demandé mercredi le retrait de toute référence à l’audiovisuel dans le projet du code de la presse et de l’édition. Elle considère que les médias audiovisuels ne sont pas concernés par ce code, sont traités par la HACA et une loi spécifique gère le secteur. «Le projet de loi est dangereux pour l’avenir de la presse et du secteur digital», estiment des professionnels de ce secteur. Pourtant, au lendemain de l’adoption le 12 octobre dernier du projet de loi portant Conseil national de la presse, le ministre de la communication avait déclaré au »HuffPost Maroc » que « toutes ces décisions ont été prises en concertation avec des syndicalistes, journalistes et organismes militant pour les droits de l’Homme ».
Un code pour emprisonner des journalistes
»Desk.ma » a, de son côté relevé une autre menace contre la corporation contenue dans le projet de loi N°73.15, déposé sur le bureau de la Chambre des représentants le 4 février, qui modifie certaines dispositions du Code pénal, se rapportant notamment aux outrages envers la religion et la monarchie, ainsi qu’aux incitations contre l’intégrité territoriale du Maroc. Ce projet de loi relève la peine privative de liberté à une durée comprise entre deux et cinq ans, et l’amende de 50.000 à 200.000 de dirhams, si le crime est commis par des discours (…) attentatoires aux constantes du Maroc, tenus dans des lieux publiques, ou lors de réunions publiques, ou en placardant affiches, tracts ou par d’autres moyens, dont des écrits dans la presse. »Si le Code de la presse sera expurgé des peines privatives de liberté, le Code pénal pourrait cependant intégrer des crimes potentiellement assimilés à l’exercice de la presse, via le projet de loi N°73.15, qui intègre les dispositions renvoyant vers la case prison que le Code de la presse n’inclut pas », commente »Desk.ma ».
»Desk.ma », un oeil vigilant
Mais, le ministre tente de calmer le jeu, et souligne que »26 mesures ont été muées en amendes ou peines alternatives », et que plusieurs propositions des professionnels faites lors d’une rencontre début décembre ont été intégrées. Selon l’Economiste, Il affirme avoir »accepté la suppression de l’interdiction d’exercer la profession de journaliste et de la déchéance des droits civiques » et »renoncé à l’interdiction des journaux avant la décision judiciaire, même en cas d’urgence ». Pour autant, la prison n’a pas été fermée pour les journalistes, au Maroc. Pour le président du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), et député de l’Istiqlal, Abdallah Bakkali, la nouvelle version comporte des acquis qu’il ne faudra pas nier, mais comporte plusieurs points négatifs qu’il faudra amender au niveau de la Chambre des représentants comme la suppression des dispositions relatives à la presse du code pénal. En fait, le SNPM, tout comme le portail »Desk.ma », dénonce le transfert de trois articles relatifs aux constantes du Royaume du code de la presse vers le code pénal, à travers le projet de loi 73.15. Enfin, le syndicat des journalistes marocains dénonce les lourdes amendes dont les entreprises de presse qui seront parfois obligées de fermer, et mener également les journalistes…en prison.