Supprimer le 51/49 et le droit de préemption n’aura qu’un effet marginal tant que l’économie algérienne ne sera pas régie par les règles du droit.
Les verrous sautent, l’un après l’autre. Après des mois d’atermoiements, le gouvernement algérien a décidé de supprimer les dispositions et obstacles qui entravaient l’essor de l’économie, espérant endiguer ainsi la grave crise budgétaire qui se profile. Acculé, l’exécutif, qui n’avait ni anticipé, ni pris les mesures nécessaires pour amortir le choc, se trouve contraint d’agir dans la précipitation.
Le grand virage a été pris avec le départ du gouverneur de la Banque d’Algérie Mohamed Laksaci, et poursuivi avec le limogeage du ministre des finances Abderrahmane Benkhalfa. M. Laksaci, malgré ses positions très conciliantes, maintenait quelques règles de base qui permettaient de maintenir un minimum de règles, et préserver un seuil de dialogue acceptable avec les institutions financières internationales. Mais le déficit budgétaire était tel qu’il fallait choisir : faire des coupes sombres et les assumer, ou laisser filer, en faisant fonctionner la planche à billets, avec la menace inflationniste qui l’accompagne. Ce qui passait par le départ de M. Laksaci.
Quant à M. Benkhalfa, il avait vendu au gouvernement des recettes illusoires. L’échec de la mise en conformité fiscale, et celui, prévisible, de l’emprunt obligataire, ont montré le côté farfelu de sa démarche. Son départ, comme celui de M. Laksaci, devenait urgent, pour faire autre chose : lancer le nouveau dispositif économique dont parlait le premier ministre Abdelmalek Sellal.
Ouverture tous azimuts
Ce modèle a désormais un contenu. Il s’agit d’une ouverture tous azimuts, débridée, sans limites et sans balises. Les mesures de type bureaucratique jusque-là en vigueur vont sauter l’une après l’autre. Il est probable que même leurs auteurs seront écartés. Ainsi, il est fortement question d’une mise à l’écart de M. Ahmed Ouyahia, principal artisan des verrous mis en place pour accompagner l’option du « patriotisme économique » devenue à la mode lorsque les recettes du pays en devises avaient explosé.
Le ministre de l’industrie, Abdessalam Bouchouareb, se présente comme le porte-flambeau de la nouvelle tendance. Son projet de code des investissements, présenté lundi à l’Assemblée Nationale, prévoit d’« exfiltrer » la fameuse règle du 51/49 et du droit de préemption. Dans un premier temps, M. Bouchouareb suggère que ces mesures devraient être transférées dans d’autres textes. Mais l’opération s’avère très complexe. Il faudra en effet attendre les textes d’application du nouveau code d’investissement, avant de réviser d’autres lois pour réintroduire ces règles. Si, dans l’intervalle, des opérations auront été réalisées en dehors du cadre de la règle 51/49, cela constituera un imbroglio juridique insurmontable.
En fait, la suppression du 51/49 et du droit de préemption s’impose au gouvernement, car c’est une demande à la fois interne et externe. Fragilisé, le gouvernement n’est plus en mesure de la refuser.
Echec de la bureaucratie
Cette option vers une ouverture débridée s’est imposée comme une fatalité. Trois raisons l’ont favorisé : l’échec de la bureaucratie traditionnelle, l’absence d’une vision économique, et la pression des forces de l’argent. Solidement assise sur la rente, la bureaucratie pensait qu’elle pouvait régenter l’économie du pays, sans se rendre compte de la puissance acquise par les milieux d’affaires, et de l’archaïsme de ses propres méthodes. Défendable sur certains principes, son attitude était devenue suicidaire quand elle a refusé d’ouvrir les yeux sur les mutations de l’économie mondiale. En devenant un frein à l’investissement et à la croissance, elle a objectivement fait le jeu des milieux d’affaires les plus prédateurs.
Fait aggravant, le gouvernement n’a pas une vision économique cohérente. Si certains ministres sont clairement liés à des réseaux d’affaires corrompus, d’autres, qui tenaient encore un discours acceptable, n’étaient pas en mesure d’élaborer une démarche et de la mettre à exécution. Le vide de la pensée économique au sein des partis du gouvernement a accéléré le mouvement.
Un champ politique favorable au délitement
Entretemps, les milieux d’affaires ont investi les rouages de l’Etat et du gouvernement, ainsi que les partis. Ils ont réussi à grignoter du terrain, de manière méthodique, même si le gouvernement fait preuve de quelques velléités, comme ce fut le cas sur les importations de véhicules automobiles.
Mais c’est sur le terrain politique que les choses sont particulièrement alarmantes. Le champ politique a été laminé. Seules les forces de l’argent réussissent à s’exprimer et à imposer leur vision. Les partis populaires n’existent plus. Le premier syndicat du pays est passé dans l’autre camp, pour devenir un allié du pouvoir.
Dans un pays qui fonctionne largement en dehors de la loi, il est difficile de trouver ses repères. Mais le gouvernement ne s’en rend pas compte : la suppression du 51/49 et du droit de préemption n’aura qu’un effet marginal sur l’économie du pays tant que celle-ci ne sera pas régie par les règles du droit.