Hakim Addad, l’un des fondateurs de l’association RAJ (Rassemblement, Actions jeunesse), actuellement poursuivi en justice pour ses activités au sein du Hirak, nous donne, dans cet entretien, son point de vue sur ce mouvement populaire. Il nous livre une analyse sous un angle particulier.
Maghreb Emergent : le Hirak algérien, au-delà de sa revendication principale, appelant à la disparition du système actuel, réagit régulièrement aux décisions du pouvoir et affiche, à chaque manifestation, sa position. Avez-vous l’impression que les autorités, en annonçant des décisions, prennent en considération la réaction du Hirak devenue désormais systématique pour certaines questions, du moins?
Hakim Addad : oui, évidemment. Le pouvoir, comme tout pouvoir dans le monde ne peut qu’avoir peur d’un mouvement populaire comme celui-là. Et même si les manifestations ont attiré un peu moins de monde ces dernières semaines, le pouvoir a toujours peur du Hirak. Il est désormais obligé de réfléchir plus d’une fois avant de prendre une décision ou avant de faire une annonce quelconque.
Bien plus qu’avec l’opposition classique ?
Oui, je le pense. Justement parce que, comme vous le dites, cette opposition est classique. Le pouvoir sait comment répondre face à des méthodes classiques, mais avec le Hirak, les choses sont différentes. Le Hirak est capable de donner rapidement des réponses assez radicales. Il occupe la rue et utilise les réseaux sociaux pour se faire entendre. C’est une agora nationale, plus qu’hebdomadaire et qui ne semble pas près de s’essouffler.
Sommes-nous témoins de la naissance d’une sorte de force politique, encore peu organisée, il est vrai, mais bien plus réactive que l’opposition classique ?
Le Hirak c’est d’abord une richesse formidable. Par sa pluralité et sa capacité à réunir des courants et des sensibilités différentes. C’est une réelle bénédiction pour l’Algérie. Je pense que c’est aussi une richesse pour l’opposition elle-même.
Aujourd’hui, certaines voix se revendiquant du Hirak veulent enterrer les partis politiques et rejettent tout ce qui peut venir de ces partis. Je ne suis pas en train de dire que ces partis n’ont apporté que du positif, loin de là, mais je considère qu’on ne peut pas les jeter aux gémonies. Je vous dit cela sans être moi-même adhérent d’aucun parti. A mon avis, le Hirak devrait travailler avec ces acteurs politiques pour construire une réelle démocratie.
Il existe un courant au sein du Hirak qui tente de faire taire les voix qui ne lui conviennent pas et pas seulement celles émanant des partis. Il peut aussi cibler des particuliers ou des écrivains-suivez mon regard- qui donnent des points de vue différents ou qui soulèvent des questionnements. Malheureusement, certaines personnes s’autoproclament porte-paroles du Hirak. Il ne faut pas oublier que le Hirak est une force de mobilisation et de proposition.
L’Emergence du Hirak ne peut-elle pas être considérée comme la preuve de l’échec de l’opposition dans sa forme classique ?
D’une certaine manière, oui, c’est une forme d’échec. Si la rue déborde depuis 11 mois, c’est parce que les partis politiques et les autres composantes de la société n’ont pas pu arriver à l’aboutissement de leurs programmes qui visaient le changement. Et je ne leur jette pas la pierre, il y a des raisons malheureusement qui ont fait qu’ils n’ont pas pu le faire.
L’émergence du Hirak est venue combler une certaine incapacité de ces partis à concrétiser le changement souhaité. Mais ces partis restent une composante de la démocratie et il faut les accepter même si on n’est pas d’accord avec eux.
Est-ce que vous pensez qu’à terme le Hirak sera lui-même en mesure de donner naissance à des partis politiques?
C’est l’une des richesses que ce mouvement peut apporter au pays. J’espère qu’il donnera naissance à de nouveaux partis politiques, mais également à de nouvelles associations, et à de nouvelles structures organisées qui feront l’Algérie politique, social, associative et syndicale de demain et d’après-demain. Le Hirak peut aussi donner une nouvelle génération de journalistes et de journaux. C’est une nouvelle Algérie qui est en train de naître et pour l’instant, les choses se font un peu de manière désordonnée, mais le changement se produira petit à petit.
Quels sont aujourd’hui les points forts du Hirak ?
Sa continuité, sa pluralité, la multitude de voix qui s’y expriment. Mais il faut que le Hirak franchisse une nouvelle étape en se rapprochant des autres acteurs de la vie politique algérienne. Nous devons organiser une sorte d’Etats généraux pour discuter des voix et moyens d’imposer les revendications du Hirak et d’esquisser les contours de cette nouvelle Algérie que nous voulons construire.