Radio M et son émission « L’invité du direct » ont reçu Slim Othmani, Président de Care (Comité Algérien de Réflexion sur l’Entreprise) et P-DG de NCA Spa. L’occasion pour l’invité de revenir sur plusieurs sujets qui touchent le monde économique : la peur et le moral des entrepreneurs, la surfacturation, les entreprises en difficulté et enfin la relation stratégique de l’Algérie avec la Tunisie.
Arrestations et interpellations des chefs d’entreprise proches du pouvoir, ou pas…
Pour l’invité de Radio M, les chefs d’entreprise au temps de Bouteflika avaient peur quand ils ne soutenaient pas le pouvoir en place. Depuis, les interpellations et les arrestations ont touché les chefs d’entreprise considérés comme proches de Bouteflika et de son administration. Mais tous les chefs d’entreprise peuvent à n’importe quel moment être interpellés et interrogés sur leurs activités et leurs relations à l’administration.
Pour Slim Othmani, les chefs d’entreprise placés sous mandat de dépôt payent le prix de leur proximité avec le pouvoir en place. Avaient-ils d’autre choix que de « partager » leur réussite avec ceux qui leur faisaient gagner du temps et qui leur donnaient « les clés » pour pouvoir trouver des solutions aux problèmes qu’ils rencontraient face à un système bureaucratique? Oui, selon lui, on pouvait faire autrement et gagner en crédibilité vis-à-vis de cette même administration « arbitraire ». Mais on le payait en impact sur le fonctionnement et la performance de son entreprise car tout devenait compliqué. Comme si la machine bureaucratique, par la pression qu’elle exerçait sur le chef de l’entreprise, le poussait à la faute. La tentation, dit-il, était forte de payer ce « pot-de-vin », qui permettait l’accès au crédit, au foncier, à des agréments, à une accélération des procédures administratives, de dédouanement…
La surfacturation : ses raisons et ses justifications
L’autre phénomène évoqué par l’invité du direct, est celui de la surfacturation. Slim Othmani rappelle que c’est une pratique qui n’est pas particulière à l’Algérie. On accepte la surfacturation quand les coûts des produits surfacturés n’ont pas d’effet sur votre compétitivité.
La surfacturation est à l’origine de l’explosion du prix de revient du produit importé, en intrant ou en produit fini, mais qui est répercuté sur l’acheteur final. La surfacturation peut également répondre, selon l’invité, à des impératifs de opérationnels. Il cite tour à tour le besoin urgent d’acheter une pièce de rechange indispensable à votre outil de production, d’une expertise, quand le système bancaire algérien et ses procédures de transfert ne vous permettent pas de le faire ou de le faire avec la célérité souhaitée. L’autre justificatif de ce phénomène est de ne pas payer ses impôts.
Slim Othmani qualifie la fiscalité algérienne de confiscatoire. Les taxes et droits qui sont appliqués sont tous basés sur un pourcentage sans plafonnement. Ce qui donne des montants souvent exorbitants : de la Taxe sur l’Activité Professionnelle (TAP), à la Taxe sur la domiciliation, aux droits payés aux notaires à chaque changement de statut d’une entreprise. Et enfin la surfacturation trouve sa raison d’être dans l’écart entre le taux bancaire comparé au taux parallèle. L’occasion pour l’invité de rappeler que le rapprochement des deux taux pourrait être atteint en inscrivant la convertibilité du dinar comme objectif à atteindre. Comme il a été atteint chez nos deux voisins maghrébins. Cette convertibilité redonnerait selon l’intervenant de la confiance aux Algériens et surtout de la dignité. Il s’en remet aux experts pour fixer les modalités et les délais de la réalisation d’un tel objectif.
Entreprises en difficulté et mécanismes de leur sauvegarde
En sa qualité de Président du Conseil d’Administration de NCA, Slim Othmani a vécu la situation d’une entreprise en difficulté et en cessation de paiement. Face aux pressions exercées par les créanciers de l’entreprise, il découvre que la législation algérienne ne prévoit aucune procédure de sauvegarde et de protection de l’entreprise en difficulté. Partout dans le monde, et même chez nos voisins, selon lui, la loi protège l’entreprise qui peut justifier à travers un plan d’action rationnel, que ses difficultés sont passagères et qu’elle possède les moyens de redresser sa situation. Pour bénéficier d’une protection pendant une durée déterminée, elle présente son plan au tribunal qui la met à l’abri de ses créanciers et même du fisc. Un administrateur expert est désigné pour le suivi de la mise en œuvre de son plan de redressement. En Algérie, aucune procédure de ce genre n’a été prévue et n’a jamais été demandée par les associations patronales elles-mêmes. Selon l’orateur, de tels mécanismes rassureraient aussi bien l’entrepreneur local que l’investisseur étranger tout en permettant la préservation des outils de production et des postes d’emploi.
Elles sont nombreuses les entreprises algériennes à vivre une situation compliquée qui peut mettre en danger leur existence avec les conséquences désastreuses sur le tissu industriel et de service du pays et surtout sur l’emploi et la vie de milliers de familles, car aucune d’entre elles n’aura la chance qu’a eu NCA qui a été sauvée grâce à l’entrée dans son capital social du groupe Castel, un géant mondial de la boisson.
Un statut de partenaire privilégié à la Tunisie
Slim Othmani a tenu enfin à évoquer le séminaire organisé récemment par le Ministère du commerce et consacré aux zones de libre-échange. Il a pris part à l’atelier consacré spécialement aux échanges avec la Tunisie et il s’en est réjoui. L’occasion pour lui de militer en faveur du développement des échanges entre les deux pays du Maghreb, de rappeler que les deux économies ne peuvent qu’être que complémentaires. L’Algérie et la Tunisie devraient selon Mr Othmani devraient s’accorder mutuellement le statut de partenaire privilégié, aussi bien dans l’industrie que dans les services. L’orateur rappelle que les deux voisins ont besoin de vision et de concertation, en interne et avec leurs voisins. L’Algérie a des atouts aussi bien en ressources humaines, que naturelles, qu’en position stratégique. L’invité du direct de Radio M conclut en souhaitant que les questions sécuritaires cessent de prendre le pas sur les questions économiques et sociales, pour que le potentiel entrepreneurial algérien puisse s’exprimer.