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Idées

Le Plan national de développement agricole: autopsie d’un échec annoncé (contribution)

Par Yacine Temlali
mars 15, 2018
Le Plan national de développement agricole: autopsie d’un échec annoncé (contribution)

Pour les défendeurs du PNDA, la valeur de la production agricole actuellement est beaucoup plus importante que celle réalisée avant l’application de ce programme, et l’autosuffisance a été atteinte en plusieurs produits agricoles, notamment maraîchers. Il est primordial de leur rappeler que ces cultures n’ont jamais été soutenues à l’exception de la production de semence de pomme de terre et quelques produits industriels. Qu’en est- il des produits fortement soutenus et largement subventionnés à l’instar de l’arboriculture, de l’oléiculture, des céréales et de l’apiculture ?

Notre secteur agricole a connu, depuis les premières années de l’indépendance, une multitude de modes de gestion mais aucun n’a pu atteindre les objectifs principaux qui lui avaient été fixés, entre autres l’autosuffisance alimentaire.

Au cours des années 1970, le marasme du secteur n’a pu être senti : les recettes d’exportation des hydrocarbures, du fait de la hausse des prix du pétrole, couvraient largement les dépenses relatives à l’importation des produits alimentaires. Ce n’est qu’au début des années 1980, après la chute des recettes des exportations, conséquence de la chute des prix du pétrole, qu’on s’est rendu compte du marasme dans lequel se trouvait le secteur agricole. Dans l’intervalle, l’importation massive des produits de large consommation, en plus des subventions à la consommation, avaient exercé une pression négative sur la production agricole du pays

A partir de l’an 2000, le Fonds national de régulation et de développement agricole (FNRDA) entre en application. C’est un fonds de financement inédit dont a bénéficié le secteur agricole. Géré initialement par la Caisse nationale de la mutualité agricole (CNMA), à travers le Crédit mutuel agricole, puis par la Banque algérienne de développement rural (BADR), toutes les branches ont été touchées et dans les détails les plus élémentaires. Cela s’est traduit, sur le terrain, par l’application de programmes de soutien direct aux agriculteurs, soutien qui avait pour but principal la mise à niveau des exploitations agricoles par :

– l’adaptation des systèmes de production ;

– le développement des productions agricoles ;

– l’amélioration de la productivité ;

– la valorisation de la production agricole.

Encouragé par le financement assuré par ce fonds, les agriculteurs et autres investisseurs dans le secteur ont adhéré en force au PNDA qui, à première vue, répondait à leurs attentes et leur offrait tous les moyens nécessaires pour mettre en marche leurs exploitations qui se trouvaient dans des situations dramatiques sinon d’abandon.

Après presque deux décennies, le PNDA n’a pas atteint les objectifs tracés ; notre agriculture baigne toujours dans d’innombrables problèmes et peine à réaliser son essor. L’échec n’a jamais été assumé. Ses raisons n’ont jamais été annoncées. Néanmoins, quelques unes peuvent être avancées.

Des programmes appliqués dans une précipitation inexpliquée et avec une légèreté incompréhensible !

Les différents programmes du soutien ont été « jetés » sur terrain, sans étude préalable, et les agents de l’administration, qui sont censés accompagner les agriculteurs, les conseiller et contrôler la réalisation des différents projets, n’ont reçu aucune formation. Ces agents qui, jusque-là, accomplissaient des tâches purement administratives et n’avaient aucune idée des techniques agricoles, ont été contraints de réceptionner des opérations qui leurs étaient totalement étrangères, à l’instar de la réalisation de forages, la construction de bassins, l’installation de réseaux d’irrigation et, encore plus, d’entrepôts frigorifiques, de mini laiteries et d’unités de conditionnement !

Cette situation a causé un préjudice énorme quant à la qualité des projets réalisés du fait que même que les prestataires de services et autres entrepreneurs n’avaient aucune notion des prestations qu’ils fournissaient, car eux-mêmes avaient été « générés » à l’occasion de la dynamique qui régnait dans le secteur. Du jour au lendemain, tout le monde était devenu spécialiste dans l’installation des réseaux d’irrigation, l’implantation des vergers, la fertilisation. Du commerce taillé à l’occasion sans aucune connaissance ni maitrise en la matière

Aucune étude, aucun contrôle ou suivi des projets initiés

L’éligibilité au soutien se fait par le renseignement d’une simple demande d’adhésion au programme qui comprend les différentes opérations à réaliser, sans aucune étude de faisabilité ou étude technico-économique. Les demandes, déposées auprès des subdivisions agricoles, sont transmises au soi-disant « comité technique de wilaya » qui approuve le financement du projet. Aucun rejet n’a été enregistré tout au long de l’application des programmes : tout est accepté, tout est financé selon la nomenclature élaborée par les services du ministère de l’Agriculture. Le dossier passe comme une lettre à la poste, le bénéficiaire réalise son projet comme bon lui semble et avec le moindre coût afin d’encaisser « la monnaie » que doivent lui rendre le fournisseur et autres prestataires de services. La qualité des réalisations s’en ressent : elle laisse à désirer. A titre d’exemple, un réseau d’irrigation au goutte-à-goutte, qui s’amortit normalement au terme d’au moins 20 ans, se voit complètement endommagé en l’espace de quelque mois parce qu’il a été réalisé avec des équipements médiocres et installé par des personnes qui n’ont aucune notion de l’irrigation agricole. Et c’est tout pareil pour toutes les composantes des projets

Des prix de soutien plus élevés que ceux appliqués sur le terrain

Les prix de référence fixés par l’administration pour la réalisation des différentes opérations étaient beaucoup plus élevés que ceux pratiqués réellement sur le terrain. Cette situation « alléchante » a attiré les pseudo-investisseurs rentiers, qui ont violé ce secteur pour en tirer profit sans que leurs projets ne soient finalisés et n’ont créé aucun emploi. Une fois le « butin » encaissé, ils ont tout abandonné laissant les terres exposées à l’érosion ! Le malheur est que ces projets ont été classés comme étant réalisés (mise en valeur des terres, création d’emplois,..) !

Des agriculteurs devenus rentiers

Cette fièvre a même affecté les agriculteurs de profession qui se sont perdus entre l’administration agricole et les banques afin de régler leurs dossiers de soutien et encaisser les plus-values ! Leurs exploitations étaient totalement abandonnées ou alors gérées à mi-temps ! Ils ne pensaient qu’au soutien et aux opérations qui leur confèreraient plus de gains sans se soucier d’améliorer leurs conditions de travail et, par conséquent, les rendements de leurs cultures.

Des faux investisseurs devenus propriétaires d’exploitations agricoles « clé en main »

Encouragés par le fort soutien des investissements agricoles, des gens qui n’ont aucun lien avec l’agriculture se sont surtout dirigés vers les régions de l’intérieur du pays, où le foncier agricole s’acquiert à un prix très bas comparativement aux régions du Nord. Devenus des propriétaires terriens, ils ont bénéficié du soutien étatique et ont créé des exploitations agricoles « clé en main » sans débourser le moindre sou, tout ayant été financé par le fonds de soutien : le défoncement de la parcelle, l’acquisition des intrants, la réalisation et l’équipement des forages, la construction des bassins d’accumulation, l’acquisition des équipements d’irrigation et même la réalisation des unités de stockage sous froid… Une fois le soutien de l’Etat a pris fin, la majorité d’être eux n’ont pas pu faire face aux diverses charges d’exploitation. Ils ont trouvé même des difficultés à payer les factures d’électricité. En réalisant leur projet gratuitement, ils n’avaient pas pensé aux frais qu’engendrent leurs investissements tout au long de l’année jusqu’à l’entrée en production. Cette situation difficile et inattendue les a poussés à tout abandonner et se contenter des gains obtenus au cours de réalisation de leurs projets en dépensant beaucoup moins que les sommes qui leurs avaient été offertes en guise de soutien. De nombreux vergers ont été carrément abandonnés faisant la joie des éleveurs qui laissaient leurs troupeaux s’y mouvoir broutant les feuilles vertes dorées des oliviers!

Succès foudroyant sur papier, échec retentissant sur terrain

Pour les défendeurs du PNDA, la valeur de la production agricole actuellement est beaucoup plus importante que celle réalisée avant l’application de ce programme, et l’autosuffisance a été atteinte en plusieurs produits agricoles, notamment maraîchers. Il est primordial de leur rappeler que ces cultures n’ont jamais été soutenues à l’exception de la production de semence de pomme de terre et quelques produits industriels. Qu’en est- il des produits fortement soutenus et largement subventionnés à l’instar de l’arboriculture, de l’oléiculture, des céréales et de l’apiculture ? On aurait bien voulu savoir le nombre de projets financés et ceux réalisés réellement sur le terrain !

Il faut le dire : on a manqué une occasion en or de développer notre agriculture. L’essor supposé atteint ne reflète aucunement l’effort financier consenti ! Aurons-nous encore une occasion de soutenir notre agriculture après la crise financière engendrée par l’effondrement des prix du pétrole ? L’embellie financière qu’a connue notre pays ne peut être « revue » de sitôt …

(*) Aïssa Manseur, agronome, spécialiste en questions agricoles.

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