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Le rapport RSF 2016 sonne comme une oraison funèbre du journalisme indépendant en Algérie

Par Yacine Temlali
décembre 22, 2016
Le rapport RSF 2016 sonne comme une oraison funèbre du journalisme indépendant en Algérie

L’ONG dédiée à la liberté de la presse a présenté le rapport Algérie ce matin lors d’une conférence de presse à Paris. Tableau sombre, obscurci davantage par le décès en détention de Mohamed Tamalt.

 

  

L’année 2016 a été mortelle pour le journalisme indépendant en Algérie. Le mot n’est pas ainsi utilisé mais tout ce qui découle du rapport de 26 pages de Reporter Sans Frontière conduit à ce constat. « Presse écrite asphyxiée », directeur et staff de chaîne de télévision embastillés (Nesprod), journalistes et bloggeurs emprisonnés, édition de presse électronique « précarisée par un brouillard juridique ». Le récit des atteintes létales à l’exercice du journalisme indépendant occupe l’essentiel du rapport et paraît finalement proche de la réalité de la scène médiatique algérienne durant cette année. La mort du journaliste et blogueur Mohamed Tamalt en détention, le 11 décembre dernier, est survenue antérieurement à la rédaction du rapport. Ponctuant une année cauchemardesque pour la presse algérienne, elle a justifié la tenue d’une conférence de presse de l’ONG à Paris aujourd’hui.

 

Vestige en péril

 

Le tableau de la situation qui ressort du rapport RSF 2016 – basé sur une vingtaine d’entretiens in situ – est celui de la fin accélérée d’un modèle éditorial ancien que n’arrive pas à supplanter une nouvelle dynamique de médias et de journalisme indépendants. La presse écrite, vestige en péril de l’ouverture des années 1988-92 est, selon le rapport de RSF, « exsangue » et « peine à survivre ». Le rapport rappelle les pressions du gouvernement pour priver de revenus publicitaires les principaux journaux dont la ligne éditoriale « est opposée au quatrième mandat du président Bouteflika ». Omar Belhouchet, directeur co-fondateur d’El Watan, dresse un constat froid de la situation à laquelle ce rouleau compresseur est parvenu : « Chaque acquis obtenu par la presse indépendante pendant les années 1990, au prix de très lourds sacrifices, est en train d’être perdu dans un contexte de déréglementation où, sous couvert de pluralisme, des fonds occultes sont en train de s’emparer peu à peu des médias. »

En 2011-2012, les premiers lendemains du printemps arabe ont laissé croire que l’expérience des médias indépendants allait s’étendre à l’audiovisuel en Algérie. Le rapport 2016 de RSF pointe une « zone juridique grise » persistante où évoluent les chaînes de télévision algériennes, maintenues, pour cinq parmi elles, depuis avril 2013 dans une précarité totale avec un agrément de « bureaux de médias étrangers » à Alger. L’agrément n’a d’ailleurs pas été renouvelé en 2016. La majorité des chaînes TV algériennes, près d’une cinquantaine, diffusent par satellite à partir de l’étranger sans aucun statut reconnu. Le rapport RSF déplore que le régulateur du secteur, l’Autorité de régulation de l’audio-visuel (ARAV), subisse l’intrusion du gouvernement. Quant à « l’ouverture » des fréquences radio aux acteurs privés, elle n’est toujours pas à l’ordre du jour.

 

Les médias digitaux une alternative fragile

 

Dans un tel contexte, les nouveaux médias digitaux qui ont émergé ces cinq dernières années n’arrivent pas à renouveler suffisamment l’offre médiatique dans un pays où, déplore le rapport de RSF, « le nombre d’utilisateur d’internet demeure assez faible » (seulement 38,2 personnes sur 100 en 2015, selon l’UIT).

Le rapport évoque la combativité de la presse en ligne mais pour souligner aussitôt sa fragilité. « La précarité juridique dans laquelle nous exerçons nous fait vivre dans la peur constante d’une perquisition, notamment lorsqu’on traite de sujets sensibles tels que le retour en Algérie de Chakib Khelil, ancien ministre de l’énergie, très proche de Bouteflika et accusé de graves faits de corruption », affirme Ihsane El Kadi, directeur de Maghreb Emergent.

« Nos journalistes ne disposent pas d’accréditations puisque nous n’avons pas de statut clair. Cette situation rend difficile la couverture médiatique et encourage un système de faveurs et de petits arrangements nuisible à la liberté de la presse », déplore, de son côté, Hamid Guemache, directeur de Tout sur l’Algérie (TSA).

Le rapport RSF 2016 met en exergue, dans ce paysage naissant et fragile de la presse électronique, le cas de « l’innovante Radio M » éditée par Interface Médias (qui édite aussi Maghreb Emergent). Les retards pris par le e.paiement ont également empêché la consolidation du modèle économique de la presse électronique obligée de ne s’appuyer que sur les revenus publicitaires.

 

La lutte contre la répression toujours en tête

 

Les premières recommandations du rapport RSF 2016 sur l’Etat de la liberté de la presse traite de la répression des journalistes. Si la recommandation pour libérer Mohamed Tamalt sonne comme un rappel vain et cruel du caractère extrême des situations que peuvent vivre les journalistes en Algérie, les autres recommandations montrent bien combien l’état de l’exercice du journalisme n’a cessé de se dégrader ces dernières années, subissant une très inquiétante accélération en 2016.

« Cesser de recourir à la détention arbitraire et à des procédures administratives abusives pour interdire et criminaliser la liberté d’information et le journalisme indépendant » arrive en deuxième position des recommandations. La révision du Code pénal pour supprimer les peines d’emprisonnement pour les délits de presse est l’autre recommandation qui conforte le sentiment que le contexte algérien répressif de l’expression journalistique reste le point d’entrée de toute approche de la situation des médias en Algérie. Appeler ensuite L’ARAV à jouer son rôle afin de promouvoir l’ouverture de la diffusion des télévisions algériennes et des radios paraît quelque peu dérisoire compte tenu de la prééminence des « pressions politiques » sur le monde des médias. Un monde où apparaissent les fortunes algériennes, autre menace à l’indépendance du journalisme que souligne, avec beaucoup de clairvoyance, le rapport RSF 2016. 

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