Dans cette interview accordée à Maghreb Emergent, l’ex-ministre du Budget estime que « la surévaluation flagrante du dinar s’apparentant à une subvention déguisée, un réajustement monétaire pourrait donc être une solution alternative ». Selon lui, il permettrait d’engranger de grosses recettes fiscales et d’éponger le déficit budgétaire.
Maghreb Emergent : Le président de la République recommande le recours au « financement non-conventionnel » de l’économie. Qu’est-ce que, au juste, le financement con-conventionnel?
Ali Benouari : Appliqué à l’endettement de l’Etat, ce type de financement renvoie clairement à un endettement qui n’est ni l’endettement extérieur ni l’endettement classique par voie d’émission de bons du Trésor, ni au découvert autorisé auprès de la Banque d’Algérie, tel que régi par l’article 46 de la loi sur la monnaie et le crédit qui stipule que la banque d’Algérie peut accorder au Trésor public un découvert en compte courant qui ne peut dépasser 10% des recettes ordinaires de l’Etat. Soit, pour 2017, un montant de 343 millions de DA qui ne couvrira pas le déficit global projeté qui est de 1.247 milliard de dinars. Encore que ce dernier chiffre est sujet à caution car il est établi sur des recettes fiscales pétrolières prévues en augmentation de 30% par rapport à 2016, des recettes fiscales ordinaires en augmentation de 13% et une baisse du budget d’équipement de 28%. On est en droit de s’interroger sur la fiabilité de ces prévisions budgétaires pour 2017.
Pour ce qui me concerne, je penche plutôt pour un déficit plus proche de 2.500 milliards de dinars (en 2016, il était de 3200 milliards), en tenant compte d’une légère amélioration du prix du pétrole et d’une dévaluation de 10%.
Dans ces conditions, le financement non conventionnel renvoie immanquablement au seul financement disponible, non visible et non avouable, qui est la création monétaire. Pour les profanes, il s’agit de la fabrication de dinars sans contrepartie productive, extrêmement inflationniste. Et il est bon d’expliquer, toujours aux non-initiés, que ce financement pervers ne donne lieu à aucune formalité particulière. Il suffit d’ordonner à la Banque d’Algérie d’honorer tous les chèques émis par le Trésor Public, dont le seul compte est à la Banque d’Algérie, même si le compte n’abrite pas d’argent. La Banque d’Algérie paie et le découvert du Trésor se creuse chaque jour davantage. On peut imaginer qu’au moment où je parle, ce compte est déjà au rouge, les recettes ne couvrant qu’environ 7 à 8 mois de dépenses au maximum.
Le Premier ministre Ahmed Ouyahia a annoncé lundi à Alger l’élaboration d’un projet de loi amendant la loi actuelle sur la monnaie et le crédit et qui ouvre la voie au financement non conventionnel de l’économie nationale. C’est imminent. L’économie algérienne est-elle prête structurellement pour ce type de financement?
Pour pouvoir financer le déficit budgétaire par la planche à billets, il faut faire sauter un verrou légal, celui de l’article 46 de la loi sur la monnaie et du crédit, qui limite le découvert du Trésor public à 10% des recettes fiscales ordinaires, qui sont budgétées à 3.435 milliards de dinars (les recettes fiscales pétrolières, qui sont estimées à 2.200 milliards, n’en faisant pas partie). Ces 10% sont, en effet, loin de pouvoir couvrir le déficit projeté de 1.247 milliards de dinars, qui est encore, selon moi largement, sous-estimé.
Notre pays est, bien entendu, loin d’être prêt à assumer les risques qui découlent d’une telle politique pour le moins hasardeuse. Ce qui est recherché témoigne du refus d’assumer les réformes structurelles à entreprendre. Des réformes nécessairement douloureuses et qui demandent le courage que seuls des responsables élus peuvent assumer. Une politique hasardeuse car elle aggravera l’inflation, en laissant intacts les déséquilibres structurels de notre économie. Une politique faite de gaspillage de ressources et d’un manque flagrant de clairvoyance. Elle se substitue aussi à la volonté d’admettre que du fait même des déséquilibres de notre économie, nous maintenons un taux de change qui favorise le gaspillage de ressources.
Y a-t-il une alternative à ce type de financement ?
La surévaluation flagrante du dinar s’apparentant à une subvention déguisée, un réajustement monétaire pourrait donc être une solution alternative au financement par la planche à billets, en ce qu’il permettrait d’engranger de grosses recettes fiscales et d’éponger le déficit budgétaire. Mais il serait politiquement assumé et conduirait à mieux gérer nos ressources en devises. Si les deux solutions traduisent l’échec de la gouvernance et conduisent à faire baisser la demande globale du pays, la dévaluation est en revanche une solution de type économique dont on connaît les effets négatifs et positifs (comme l’encouragement aux exportations).
Le recours à la planche à billets ne possède, par contre que des inconvénients. Outre son impact inflationniste, il provoquera une cascade d’autres effets négatifs, comme une flambée du chômage. Sa principale tare est de prendre les Algériens par derrière, à leur insu, tout en permettant aux autorités d’accuser qui bon leur semble. Les spéculateurs, par exemple…
Enfin, l’hypothèse d’une modification de l’article 45 de la loi sur la monnaie et le crédit n’est pas à écarter. Cet article interdit à la Banque d’Algérie d’acheter des bons du Trésor ou de consentir à des avances aux banques contre nantissement de Bons du Trésor déjà émis quand ces opérations sont traitées au profit du Trésor public. La conséquence de telles opérations est la même, à savoir l’émission monétaire sans contrepartie.
Certains experts disent que le financement non conventionnel va entraîner un processus inflationniste qui peut rééditer le scénario chaotique du Venezuela en Algérie. Quels sont les risques que coure le pays en adopter une telle mesure?
La réponse à cette question est en partie dans la réponse aux questions précédentes. La référence au Venezuela est pertinente au vu des modèles de gouvernance économique semblables (largement centrés sur la dépense publique et les subventions) et à leur dépendance du pétrole et du gaz. Alors, oui, un processus inflationniste, accompagné d’une régression économique (état dit de « stagflation ») est très envisageable dans notre pays, comparable à ce qui prévaut au Venezuela. Les mêmes causes ne peuvent engendrer que les mêmes effets.
Interview réalisée par Amar Ingrachen