"Le retour aux quotas peu probable à la réunion de l'OPEP" - Maghreb Emergent

“Le retour aux quotas peu probable à la réunion de l’OPEP”

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La réunion de l’OPEP regroupant 12 pays membres : l’Algérie, l’Angola, l’Arabie Saoudite, l’Équateur, l’Iran, l’Irak, le Koweït, la Libye, le Nigéria, le Qatar, les Émirats arabes unis et le Venezuela se tiendra le 05 juin 2015 et sera caractérisée certainement par le maintien du quota actuel fixé à 30 millions de barils/jour. La stratégie de l’OPEP de ne pas réduire sa production afin de maintenir sa part de marché fonctionne, a affirmé lundi le ministre saoudien du Pétrole à l’AFP le 01 juin 2015. Ces discussions qui ont eu lieu à l’initiative algérienne, certes louable, entre des pays de l’OPEP et hors-OPEP, dans le but de tenter d’alléger le fardeau des coupes qui reposerait sur le cartel seul, ont peu de chance d’aboutir pour des raisons géostratégiques, selon JBC Energy , la volonté des pays hors-OPEP étant mitigée et souvent contradictoire.

 

1.-L’OPEP de plus en plus marginalisée

Une réunion importante du cartel de l’OPEP aura lieu le 5 juin 2015. Depuis l’été 2014, le prix du brut a chuté de plus de 40% pour se maintenir le 02 juin 2015 entre une fourchette de 60 à 65 dollars le Brent et 55 à 60 dollars pour le Wit, ces légères fluctuations étant dues en grande partie à la parité euro/dollar. Les membres du cartel (à ne pas confondre réserves plus importantes et part commercialisée) assuraient 55% de la commercialisation mondiale en 1970, 42,1% en 2013 et assurent actuellement seulement 33% en 2014/2015. Les pays membres de l’OPEP sont divisés face aux mesures qu’ils comptent prendre pour contrer la chute des cours du brut. Car, les effets d’une réduction seraient minimes sans une concertation avec les pays non-OPEP qui prendraient des parts de marché face à la crise d’endettement. Tous les pays producteurs connaissent une baisse de leurs revenus provenant de cette rente, mais certains s’en sortent mieux que les autres. Et à la grande surprise de tous, la Libye et l’Irak ont repris leurs exportations, bien que ces pays connaissent des situations internes politiques difficiles. Or, en moyenne annuelle une baisse d’un dollar par baril occasionne une perte de 600 à 700 millions de dollars. Selon les Echos.fr en date du 16/11/2014, une baisse de 35 dollars du cours du pétrole entraîne un transfert de 3 milliards de dollars par jour entre producteurs et consommateurs. C’est que le ralentissement économique mondial, qui pèse sur la demande d’or noir, le boom du pétrole de schiste américain et la forte hausse du dollar poussent le prix du brut à la baisse. Bien que certaines hypothèses aient évoqué le fait que le coût élevé de la production non conventionnelle de pétrole puisse déterminer un nouvel équilibre pour les cours du Brent , les équilibres entre l’offre et la demande indiquent que la dégringolade des cours n’est pas arrivée à son terme», selon l’AIE qui rappelle que les énergies fossiles sont lourdement subventionnées (550 milliards de dollars en 2013, plus de quatre fois les aides aux renouvelables – dont plus de la moitié pour le pétrole). Si la production du cartel pétrolier, qui pompe environ un tiers du brut mondial, s’est relâchée, elle est demeurée au-dessus de son objectif de production fixé à 30 mbj. L’OPEP dont l’influence est déclinante depuis des années, ne réduira pas sa production lors de sa prochaine réunion prévue le 5 juin 2015 à Vienne, où des désaccords existent entre ses 12 Etats membres. Pour sa part, le Fonds monétaire international (FMI) estime que la chute des prix pourrait “doper” l’économie mondiale. Mais l’AIE met en garde contre un effet boomerang: à plus long terme, la faiblesse des cours risquant aussi de peser sur la production, mais ne prévoyant pas éventuellement de pic avant 2025/2030.Encore qu’il faille se méfier de ce concept , au delà d’un cours de 100 dollars, les nouvelles technologies et le génie humain pouvant mettre en place de nouvelles sources d’énergie. Pour le moyen terme, bon nombre d’experts estiment que le coût marginal de production saoudien (c’est-à-dire le coût du puits le plus cher à exploiter) est compris entre 25 et 30 dollars contre 70-80 dollars du côté du pétrole de schiste pour les gisements marginaux mais à 50/60 dollars pour les grands gisements qui demeurent rentables, les nouvelles technologies réduisant fortement les coûts. Aux Etats Unis, selon bon nombre d’experts, le nombre de forages est devenu un indicateur obsolète pour suivre la production
: les puits de meilleure qualité (des puits moins nombreux mais beaucoup plus productifs), le recours au forage horizontal et les progrès technologiques sont des éléments qui ne sont pas reflétés par le nombre d’appareils de forage.

De plus, de nombreux puits «inachevés» (qui doivent encore être fracturés ou abandonnés) brouillent la perception de la production américaine. Ils seraient au nombre de 2 500 aujourd’hui. Sur la base d’une production attendue de 400 barils par jour sur chaque puits, leur production totale pourrait atteindre un pic de 1 mbj. Près de 60% des coûts ont déjà été réalisés sur ces puits inachevés et leur mise en production semble donc inévitable. Cette mise en production viendra ainsi contrebalancer la baisse rapide du taux d’extraction des puits précédemment exploités. Mais la réalité est plus complexe et rentre dans la géostratégie. Une entente entre les USA , l’Arabie Saoudite ( les pays du Golfe suivront) entre les plus grandes firmes pour un prix en dessous de 70/80 dollars pendant quatre années, qui avec ce prix verront une grande restructuration afin de profiter des économies d’échelle comme cela a été le cas pour le système financier lors de la crise d’octobre 2008, afin de réduire leurs couts , mettra en difficulté la Russie et l’Iran , le Venezuela afin de négocier en rapport de forces, et par voie de conséquence, l’Algérie, ces pays étant les maillons faibles de l’OPEP . C’est que la Russie a besoin d’un baril à 110 dollars pour boucler son budget, le Venezuela de 120, l’Iran de 140 et l’Algérie pour les lois de finances ( le cours plancher de 37 dollars étant un artifice comptable irréaliste de peu de signification) 2014/2015 à 110/120 dollars selon le FMI.

2- Un cours inférieur à 80/90 dollars jusqu’en 2025 selon l’AIE ?



Il s ‘agit d’analyser les fondamentaux qui déterminément la fixation du cours du pétrole. Nous avons premièrement le niveau de croissance de l’économie mondiale, USA/Europe représentant plus de 40% du produit intérieur mondial pour une population ne dépassant pas 900 millions d’habitants sur un total de sept milliards, une Europe en hibernation, une croissance au ralenti aux USA, malgré une légère reprise, avec un endettement public inquiétant , le ralentissement des pays émergents, Argentine-Brésil, une légère reprise en Inde et surtout la Chine avec 7% de taux de croissance dû essentiellement au relèvement des taux d’intérêt, le BTPH contribuant à plus de 25% de son PIB et ce, afin d’éviter la bulle immobilière. Deuxièmement, de l’introduction du gaz/pétrole de schiste américain qui bouleverse toute la carte énergique mondiale, étant passé de 5 millions de barils/jour de pétrole à 8,5 actuellement,  9,5 millions de barils jour étant prévus en 2015. Dès lors, nous avons une surproduction par rapport à la demande. Troisièmement, les rivalités au niveau de l’OPEP dont certains ne respectent pas les quotas, de la rivalité Iran-Arabie Saoudite (plus de 35% de la production OPEP), qui ne veut pas perdre ses parts de marché. Ces derniers mois, l’Arabie saoudite a réduit à plusieurs reprises ses prix de vente en Europe et en Asie, et plus récemment aux États-Unis. Le ministre du Pétrole Ali al-Naimi a déclaré que l’Arabie saoudite avait produit environ 10,3 mbj de pétrole brut en mars, soit davantage que son précédent pic de production d’août 2013 (10,2 mbj), à un niveau avoisinant les records du début des années 1980. Ainsi, l’Arabie Saoudite est le seul pays producteur au monde actuellement qui est en mesure de peser sur l’offre mondiale, et donc sur les prix. Quatrièmement, la stratégie expansionniste de Gazprom, tant pour le pétrole que le gaz notamment à travers les nouvelles canalisations, le North et le South Stream, ce dernier provisoirement gelé approvisionnant l’Europe (125 milliards de mètres cubes gazeux), la Russie ayant besoin de financement, les tensions en Ukraine n’ayant en rien influé sur ses exportations en Europe où sa part de marché a été de 30% entre 2013/2014. L’expérience par le passé a monté que la Russie a comblé les parts de marché lorsque l’OPEP diminuait ses quotas. La résolution adaptée à Bruxelles fin octobre 2014 de continuer à approvisionner l’Ukraine malgré les tensions en est la démonstration. Cinquièmement, du retour sur le marché de la Libye avec 800.000 barils/jour actuellement et pouvant aller vers 2 millions de barils/jour, de l’Irak avec 3,7 millions de barils jour (deuxième réservoir mondial à un coût de production inférieur à 20% par rapport à ses concurrents) pouvant aller vers plus de 8/9 millions et de l’Iran, 2,7 millions de barils jour pouvant aller vers plus de 5/7 millions, devant être attentif à la levée des sanctions , l’embargo l’autorisant à exporter seulement un million de barils/jour. D’ailleurs avec les nouvelles découvertes dans le monde notamment en offshore notamment en Méditerranée orientale (20.000 milliards de mètres cubes gazeux expliquant en partie les tensions au niveau de cette région) et en Afrique dont le Mozambique qui pourrait être le troisième réservoir d’or noir en Afrique et les nouvelles technologies permettent la réduction des coûts des gisements marginaux. Sixièmement, l’efficacité énergétique dans la majorité des pays occidentaux avec une prévision de réduction de 30% (économie énergie-ciment-rond à béton) interpellant l’Algérie qui continue de construire deux millions de logements avec les anciennes méthodes de construction. Septièmement, les tendances sont à une nouvelle division et spécialisation internationale avec la concentration de l’industrie manufacturière forte consommatrice d’énergie en Asie qui absorbera 65% de la consommation mondiale horizon 2030, notamment l’Inde et la Chine (d’ailleurs parmi les deux premiers réservoirs mondiaux de gaz de schiste mais dont les importations ont dépassé celles des USA entre 2013/2014 ). Les relations clients –fournisseurs seront à leurs avantages, pour avoir des avantages comparatifs et pousseront à la baisse des prix comme le fait la Chine actuellement pour le Venezuela et l’Equateur. Huitièmement, la spéculation des traders au niveau des marchés boursiers et l’occupation par les terroristes de champs pétroliers et gaziers notamment en Irak avec des ventes au marché noir pour un baril entre 40/50 dollars. Neuvièmement des cotations du dollar et l’euro, toute hausse du dollar, bien qu’il n’existe pas de corrélation linéaire.

3.- Eviter pour l’Algérie le scénario dramatique des impacts de la crise de 1986

La chute des hydrocarbures a eu lieu en 1986, mais les impacts ne se font sentir qu’en 1989/1990. L’Algérie après plus de 50 années d’indépendance politique reste toujours une économie rentière 95% des exportations relevant des hydrocarbures et ajoutant les dérivés on en arrive à 97/98%, le prix de cession du gaz étant actuellement déconnecté de celui du pétrole, donc à un niveau de prix bas alors que l’investissement est hautement capitalistique. Pour l’Algérie le seuil de rentabilité doit être au minimum 10 dollars le MBU pour les canalisations et plus de 15 dollars pour le GNL. On peut découvrir des centaines de gisements mais non rentables, les réserves étant en fonction du taux de récupération, du vecteur prix international, des différentes sources d’énergie concurrentes et des couts. Cette baisse des cours accroîtra les tensions budgétaires de bon nombre de pays pétroliers et risque d’éponger une grande fraction de leurs réserves de change à l’horizon 2020. Ces pays ne peuvent continuer à dépenser sans compter. Pour l’Algérie les recettes de Sonatrach (les exportations hors hydrocarbures étant marginales entre 1 et 2 milliards de dollars/an durant cette période) ) selon la Banque mondiale correspondant à celles de la Banque d’Algérie pour la période 2000-2014, ont été de 760 milliards de dollars et les importations en devises ont été de 582 milliards. La différence entre les recettes et les importations donne 178 milliards de dollars de réserves de change, non compris les 173 tonnes d’or, y compris les DTS et le prêt de 5 milliards de dollars accordés au FMI. Si on enlève le remboursement anticipé de la dette, on retombe sur le chiffre des réserves actuelles de 178 milliards de dollars au 31/12/2014, qui, rappelons-le, ont baissé de 15,2 milliards de dollars entre juillet et décembre 2014. L’Algérie produit peu et importe presque tout, le taux d’intégration des unités privées et publiques ne dépassant pas 15%, et uniquement les importations de matières premières pour 2014 a dépassé 17 milliards de dollars. Plus précisément les recettes de Sonatrach ont été de 73 milliards de dollars entre 2010 et 2011, 63 milliards de dollars en 2013 et 59 milliards de dollars en 2014 avec un cours moyen de 85 à 90 dollars entre le premier et le second semestre 2014. Avec un cours moyen de 70 dollars les recettes de Sonatrach seront inférieures à 50 milliards de dollars et à 60 dollars environ 40 milliards de dollars de chiffre d’affaires , 30 milliards de dollars restant comme profit net après déduction des charges et des profits des firmes étrangères d’environ 25%. Le cas serait encore plus dramatique en dessous de 60 dollars. Entre les subventions et les transferts sociaux, le gouvernement algérien consacre 60 milliards de dollars par an, soit plus de 26% de son produit intérieur brut du fait de la forte consommation intérieure où pour le gaz traditionnel, du fait du faible prix, qui pourrait dépasser les exportations actuelles qui peinent à dépasser les 55 milliards de mètres cubes gazeux. Le défi est de réfléchir aux voies et moyens nécessaires de dynamiser le tissu productif, entreprises publiques et privées locales et internationales créatrices de valeur ajoutée interne , devant se fonder sur l’entreprise créatrice de richesses et l’économie de la connaissance dans le cadre des valeurs internationales. Comme je l’ai annoncé depuis près de trois années et devant le premier ministre algérien récemment lors de la conférence organisée par le Ministère de l’Industrie à Alger( 05 novembre 2014) , les ajustements économiques et sociaux à venir seront douloureux. L’Algérie qui doit d’ores déjà à penser la création d‘un comité de crise composé d’experts indépendants et non de fonctionnaires aux ordres afin d‘éviter l’expérience douloureuse de la crise de 1986 qui a eu un impact désastreux en 1994 (rééchelonnement). L’Algérie doit donc profiter de sa relative aisance financière (dette extérieure très faible) et de ses 178 milliards de dollars de réserves de change y compris les 173 tonnes d’or, ayant épuisé dans ses réserves 15,2 milliards de dollars entre juillet et septembre 2014, sinon ces réserves s’épuiseront à l’horizon 2020.Idem pour le fonds de régulation des recettes (FRR) , qui au rythme de la dépense publique de 2014 risque de s’épuiser courant 2016. Il s’agit de transformer cette richesse virtuelle en richesses réelles, et donc de réaliser la transition difficile vers une économie hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales, afin d’atténuer les chocs sociaux. .Cela nécessite un langage de la vérité loin du populisme dévastateur et donc une grande moralité de ceux qui dirigent la Cité si l’on veut rétablir la confiance brisée entre l’Etat et les citoyens.

 

ademmebtoul@gmail.com

Professeur des Universités Expert International Dr Abderrahmane MEBTOUL-Directeur d’Etudes Ministère Energie /Sonatrach- 

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