Emmanuel Macron a remporté la présidentielle française au premier tour. Le second tour se jouera en juin, lors des législatives. Mais d’ores et déjà, droite et gauche ont été ringardisées.
Se boucher le nez et voter Macron, voter blanc, s’abstenir, ne pas donner de consignes de vote au risque de voir des franges d’électeurs basculer vers Marin Le Pen : la gauche française s’est montrée particulièrement agressive envers le probable vainqueur de la présidentielle française de ce dimanche 7 mai 2017. Les choix, quand il y en a, comme les formules utilisées en cas de consigne claire, révèlent une volonté délibérée de réduire l’ampleur de la victoire du leader d’En Marche, dans la perspective d’un après 7 mai aux contours incertains.
Si la « gauche de gouvernement », à genoux, avec un petit 6% obtenu par Benoît Hamon s’est ralliée en y mettant la forme, la gauche radicale de la « France insoumise » ou celle de l’ultra-gauche a multiplié les croche-pieds pour éviter un raz-de-marée Macron. « Se boucher le nez et voter » est une formule si répugnante qu’elle parait plus dégradante qu’un appel à ne pas voter. Mettre Emmanuel Macron et Marine Le Pen sur un pied d’égalité, en affirmant que l’un prépare l’avènement de l’autre, n’a pas de sens au regard de l’histoire.
L’attention s’est cristallisée sur Jean-Luc Mélenchon et ses 19% de voix. Mauvais joueur, mégalomane, insensible aux périls qui se présentent, tout a été dit sur le leader de la « France insoumise ».
Contrôler la gauche
Même si ces critiques contre Mélenchon peuvent être parfois justifiées, celui-ci s’est en fait installé dans une autre logique. Dans son optique à lui, la présidentielle s’est déjà jouée au premier tour, et le véritable second tour aura lieu lors des législatives de juin. C’est à ce moment-là que les forces de gauche qu’il pense représenter, pourront faire contrepoids au virage social-libéral incarné par Macron.
Pour devenir le patron de l’espace politique jadis incarné par les communistes et les socialistes, et qui a pesé près de 26% au premier tour de la présidentielle, Mélenchon a pris le pari risqué de ne pas se dissoudre dans une alliance anti-Front National dirigée par Emmanuel Macron. Cela provoque des tiraillements dans le camp de la gauche, mais le risque est secondaire par rapport aux enjeux du prochain mandat de Macron. Car objectivement, Mélenchon et Macron se retrouvent sur un objectif commun : dynamiter l’ancienne structuration politique de la France. Cela permettrait à Mélenchon de doubler le Parti socialiste pour faire main basse sur la gauche, et à Macron de casser les barrières politiques traditionnelles pour imposer son mouvement En Marche.
Macron sous-estime l’effet Fillon
La volonté de concrétiser son projet pousse naturellement Jean-Luc Mélenchon à s’arcbouter à sa citadelle de gauche. Le juger sur la base d’une morale ou d’une éthique politique n’a pas d’effet, car pour lui, le véritable objectif est d’imposer un nouveau rapport de forces politique précisément pour qu’une nouvelle éthique politique s’impose.
Mais le leader de la « France insoumise » commet deux grandes erreurs. D’une part, il minimise la volonté de renouveau de la société française, qui a déjà mis sur la touche François Hollande, Nicolas Sarkozy, François Fillon et nombre de ténors de la vie politique française. Ce grand coup de balai ne se fera pas à son profit, mais au profit d’Emmanuel Macron, qui symbolise ce renouveau politique.
D’autre part, les législatives organisées dans la foulée de la présidentielle risquent fort de donner une prime au gagnant de la présidentielle, non le sanctionner. Les électeurs vont tenter de garder un minimum de cohérence : ils ne vont pas élire un président et le ligoter dès le lendemain en désignant un parlement qui lui serait hostile. Ce qui jouera évidemment en faveur de Macron.
Si cela se confirme, Mélenchon risque de perdre sur tous les plans : non seulement il n’aura pas su utiliser le formidable capital amassé lors du premier tour de la présidentielle, mais il risque de se retrouver confiné à un rôle d’opposant impuissant. Et quand sonnera l’heure de la recomposition de la gauche, il apparaitra lui aussi comme un homme défait, en fin de carrière, après avoir gâché une carte majeure qu’il détenait il y a peu. La vie politique française se fera autour des idées et des projets de Macron, et Mélenchon apparaitra comme un simple empêcheur de tourner en rond, une sorte de bagarreur de quartier qui veut s’accrocher à un monde dépassé.
La droite inaudible
Sa posture risque d’être aussi délicate que celle de la droite. Pourtant, celle-ci a réussi à perdre une élection qui paraissait gagnée d’avance. Comme elle a tout perdu, la droite sera soulagée. Elle ne peut faire pire. Elle commencera par couper les branches pourries : Fillon et Sarkozy sont déjà passés à la trappe. Alain Juppé tentera de sortir par le haut, même s’il a raté l’ultime marche de sa carrière politique.
Les nouveaux ténors de la droite auront cinq ans pour reconstruire leur espace politique. Entre une extrême-droite qui continue de pousser, un centre qui va se remodeler en profondeur avec l’effet Macron, et des rivalités exacerbées, la partie s’annonce serrée. Avec les affaires Fillon et la défaite du premier tour, la voix de la droite risque d’être inaudible pour un moment.
Mais tout ceci risque de paraitre dépassé dans quelques mois. Car si Macron gagne son pari de la transformation de la France, avec notamment l’appui de l’Allemagne, les thèmes politiques traditionnels risquent de disparaitre. Ceux qui vont s’y accrocher vont mener des combats d’arrière-garde, ringards et inutiles. C’est tout l’enjeu du scrutin de ce dimanche 7 mai 2017.