J’ai eu le grand honneur d’être choisi, le 3 mai courant, lauréat pour 2019 du prix Omar Ourtilane de la liberté de la presse décerné par son journal El Khabar. Ce prix a un sens précis pour moi. Le voici.
Les reproches nous viennent de partout. Les journalistes sont à la traine de la Révolution du 22 février. Dans la rue, les vendredis, ils sont assimilés par les jeunes aux chaines tv du cachir. Dans le mouvement de l’auto-organisation de la société civile, ils sont en retrait. La vérité, est bien celle là. La presse a subit sans doute plus que d’autres secteurs, la décrépitude morale des années Bouteflika. Elle ne s’est pas suffisamment renouvelée. Elle n’a pas fait corps. Elle a laissé son âme lui échapper.
Les mouvements des syndicats indépendants ont maintenu une stature civique à de nombreuses corporations : médecins, enseignants… Les associations des droits de l’homme ont permis à de nombreux avocats de porter la voix du droit et de la justice. Les étudiants, tout feu tout flamme, ont rattrapé en 03 mois plus d’une décennie d’hibernation politique.
Les journalistes, eux, suffoquent toujours sous les décombres intangibles d’une filière fracassée : presse papier en crise et sans recours, télévisions privées combinaison de caserne militaire et d’atelier clandestin de travail au noir, médias électroniques pauvres et inconsistants, secteur public poussiéreux et propagandiste. Le tableau est désastreux. Bien sûr, il existe toujours des îlots de résistance. Comme celui, parmi d’autres, qui me permet d’étrenner aujourd’hui ce prestigieux prix Omar Ourtilane de la liberté de la presse. Le fait est que le journalisme s’est pernicieusement déprécié durant ces longues années d’apnée autocratique sans gloire. Il arrive abîmé sur les rivages de ce grand sursaut national pour la dignité. Abîmé mais pas mort.
Essentiel
Le sens que je veux donner à ce prix est donc celui là. Je veux qu’il nous rappelle combien un journalisme éthique, indépendant, audacieux face aux puissants, proche de la société et de ses pulsions est le plus bel exercice de liberté. Combien il est nécessaire à l’éducation civique, à l’arbitrage politique des citoyens.
Il l’est encore plus à l’ère ou chacun peut avec les réseaux sociaux être émetteur d’information, une prodigieuse avancée démocratique qui va inventer sa régulation. Par les journalistes aussi. Dans le débat qui se profile en Algérie sur la séparation des pouvoirs constitutionnels, le statut du pouvoir d’informer est essentiel. Il est l’ultime marqueur de la possibilité de dire, de voir, de révéler, de se faire une opinion. La possibilité de rester, pour les citoyens bien informés, aux commandes de leur destinée, quand vient l’heure du suffrage.
Testament
Omar Ourtilane est tombé en résistant. Informer, informer. Le prix qui porte son nom est un testament. Ne pas renoncer à cette liberté, face aux censeurs d’aujourd’hui, aux assassins d’hier. L’industrie des médias, ses journalistes et ses travailleurs ont végété sous l’archaïsme de l’autocratie et le cynisme des nouveaux entrants privés. Ils peuvent prendre un nouvel envol aujourd’hui. En retrouvant le doux goût de ce qui, partout encore et encore, donne un si flamboyant sens à ce métier. Le goût de la liberté.