Selon l’économiste Samir Bellal « le recours au financement monétaire exprime l’incapacité de l’Etat à arbitrer les conflits de partage de la rente entre ses différentes clientèles ».
Maghreb Emergent : Pour les experts du FMI, « les nouvelles mesures risquent d’aggraver les déséquilibres, accentuer les tensions inflationnistes et accélérer la perte de réserves de changes ». Ces risques commencent déjà à pointer avec l’inflation et la diminution grandissante des réserves de changes. A quoi doit-on s’attendre à court, à moyen et à long termes si les choses restent en l’état ?
Samir Bellal : Le recours à la planche à billets, si c’est à cela que vous faites allusion, est effectivement porteur de risques majeurs. Les experts du FMI ne font que confirmer ce que nombre d’observateurs et analystes nationaux ont déjà annoncé. En réalité, il n’est nul besoin d’être un expert en économie pour comprendre que, dans le contexte économique qui est le nôtre où les structures de l’offre sont très rigides, la création ex nihilo de la monnaie pour faire face au déficit budgétaire aura pour effet immédiat de donner lieu à un surcroît de demande qui ne peut être satisfait par la production locale.
La rigidité des structures locales de l’offre fera que l’équilibre ne se rétablira que par un recours massif à l’importation, d’où le risque, réel, de l’accélération de l’épuisement des réserves de change, et par une hausse générale des prix. Le FMI considère que la dette publique et extérieure étant faibles, il est possible d’aller vers une consolidation budgétaire sans recours au financement monétaire par la Banque d’Algérie. Cette recommandation a été faite par nombre d’experts avant même le recours à cette mesure. Un retour en arrière est-il possible en ce moment ?
Le FMI préconise de « recourir à un large éventail d’instruments de financement, notamment l’émission de titres de dette publique au taux du marché, des partenariats public-privé, des ventes d’actifs et, idéalement, d’emprunts extérieurs pour financer des projets d’investissements bien choisis ». Qu’en pensez-vous ?
Le FMI, institution internationale, est dans son rôle lorsqu’il préconise des recettes pour faire face à nos difficultés financières présentes ou futures. Il ne s’agit pas, comme il est de coutume chez nous, de le diaboliser, mais de comprendre que ses ordonnances obéissent à une rationalité globale qui, souvent, est en contradiction manifeste avec notre intérêt national. Le FMI n’a pas pour vocation de se substituer aux Etats pour concevoir, encore moins mettre en œuvre, des politiques de développement. Il a pour mission de veiller à ce que les difficultés des uns n’influent pas négativement sur la croissance des autres, et, à contrario, il veille à ce que la « rente » des uns profite aussi aux autres. Pour un pays rentier comme le notre, le souci du FMI est de faire en sorte qu’il soit en mesure de continuer à importer.
Encore une fois, et au risque de nous répéter, le problème est loin de se réduire à une question de choix entre instruments ou recettes de financement. Les déficits budgétaires auxquels le pays fait face actuellement sont révélateurs d’une crise structurelle. La crise à laquelle nous assistons aujourd’hui est fondamentalement celle du mode de régulation de l’économie dans son ensemble. Ce mode de régulation, expression de choix politiques, n’a pas permis à notre économie de se doter de sources de croissance en dehors du secteur des hydrocarbures. Pire encore, en vingt ans d’embellie financière, les choix politiques en matière économique ont eu pour effet d’enfoncer encore davantage notre pays dans sa dépendance vis-à-vis de la rente pétrolière. La crise actuelle révèle que notre pays n’a manifestement pas su trouver un antidote à l’intoxication pétrolière dont il est victime depuis des décennies. « Chaque économie a la crise de sa structure.
Et il ne faut pas confondre, par ailleurs, les facteurs qui déclenchent une crise avec la crise elle-même », a écrit Carlos Ominami, célèbre économiste, dans son œuvre pionnière « Le Tiers-monde dans la crise ». Ceci est particulièrement vrai concernant l’économie algérienne depuis le début des années 2000. Alors que les revenus tirés de l’exportation du pétrole et du gaz ont enregistré des niveaux jamais égalés, l’économie algérienne peine à émerger. Pire encore, nous assistons depuis plusieurs années à un déclin continu et inéluctable des activités productives (et de l’industrie en particulier) et une aggravation du problème du chômage. Ce paradoxe a constamment alimenté le débat économique en Algérie ces dernières années et d’aucuns ne s’expliquent toujours pas qu’une telle situation ait pu survenir et durer.
« Si le choix est fait de continuer de monétiser le déficit, il conviendrait de mettre en place des sauvegardes robustes, notamment en plafonnant strictement le financement monétaire en volume et en durée, tout en lui appliquant un taux de marché, » estiment les experts du FMI alors que le Gouvernement n’a pas limité le recours à la planche à billet ni en volume ni en durée. Quelles pourraient en être les conséquences ?
La monétisation du déficit n’est pas une pratique nouvelle chez nous. Elle est même un élément constitutif fondamental du mode de gestion de la contrainte monétaire en Algérie. Depuis l’indépendance, les autorités politiques du pays se sont constamment arrogés un pouvoir monétaire sans limites. Quelques chiffres permettent d’illustrer cette situation : sur l’ensemble des années 70, le rythme d’évolution de la masse monétaire est sept fois plus rapide que celui de la production tandis que, durant les années 80, le taux d’évolution annuel moyen de la masse monétaire était supérieur à 20% ! Si depuis la fin des années 90 l’Etat n’a pas eu recours à la planche à billet, c’est tout simplement parce que le pays disposait de suffisamment de ressources pour faire face à ses besoins.
Le boom des années 2000 va même donner lieu à une situation inédite : une surliquidité monétaire, qui nécessitera une politique de stérilisation des surplus (FRR, Reprise des liquidités…). Dans un régime rentier comme le nôtre, le financement monétaire du déficit, traduction d’un mode de gestion de la contrainte monétaire que les économistes désignent souvent par le terme de « structuralisme », correspond à un mode de résolution politique du conflit de répartition de la rente : le clientélisme. Le clientélisme est une modalité qui privilégie un règlement ex post du conflit de répartition, en fonction du jeu de la clientèle, impliquant un processus de redistribution inflationniste qui nécessite la manipulation permanente de la variable monétaire. De ce point de vue, le recours au financement monétaire exprime l’incapacité de l’Etat (ou du pouvoir politique) à arbitrer les conflits de partage de la rente entre ses différentes clientèles.