Le discours sur la « rationalisation » de l’économie algérienne n’arrive plus à cacher la stagnation, voire la régression. Entrepreneurs et économistes s’en inquiètent.
Le gouvernement algérien persiste et signe. Malgré quelques concessions de formes, essentiellement sur les mots, l’Algérie ne changera pas de cap économique. La chute des prix du pétrole, et la baisse sensible des recettes extérieures qui en découle, n’auront pas d’effet. Le premier ministre Abdelmalek Sellal a balayé d’un revers de la main toutes les propositions, y compris celles qui visent à lutter contre le symbole du gaspillage et de la gabegie, alors que les appels se multiplient pour inviter à un changement de cap.
Certes, le président Bouteflika a appelé, dans un message adressé aux Algériens à l’occasion de la fête de l’indépendance, le 5 juillet, à une « rationalisation accrue » dans la gestion des finances publiques. Il avait affirmé que « l’Algérie est confrontée à un effondrement des cours des hydrocarbures. Cela affecte les revenus extérieurs de l’Etat et nécessitera une rationalisation accrue dans la gestion des finances publiques pour traverser cette perturbation économiques mondiale ».
Mais son message a été aussitôt rectifié par M. Abdelmalek Sellal, qui a affirmé, au cours d’une tournée opportune effectuée dans la wilaya d’Alger, que tous les dispositifs mis en place resteraient en vigueur, malgré la chute des prix du pétrole. « L’Etat ne renoncera pas aux acquis sociaux réalisés durant les dernières années et ce, malgré la chute des prix du pétrole », a déclaré M. Sellal.
« Se parler sans s’écouter »
Le premier ministre a précisé que cela concernerait aussi bien les subventions que les différents mécanismes d’emploi et d’aides sociales. Refusant de parler d’austérité, M. Sellal a préféré parler d’une « politique de rationalisation des dépenses ». Mais rien dans son discours ne laissait entendre une quelconque disposition à écouter les appels de la sphère économique, dont il rencontre régulièrement des représentants. « C’est comme s’ils parlaient sans s’écouter », observe un ancien haut responsable.
Seule concession de forme, M. Sellal a sacrifié à la nécessité de produire plus. Il affirmé que les efforts consentis par l’Etat à travers différentes aides seront poursuivis, tout en déclarant qu’il était temps d’aller vers une économie bâtie sur la production et la création des richesses. Mais il n’pas remis en cause non l’abrogation de l’article 87 bis du code du travail. Cette mesure, promise l’an dernier par le président Bouteflika, introduite dans la loi de finances 2015, devrait être appliquée à partir du mois d’aout. « Avec effet rétroactif au 1er janvier », selon M. Abdelmadjid Sidi-Saïd, secrétaire général du premier syndicat du pays, l’UGTA.
« Personne n’ose »
Ce discours est en décalage total avec ce que soutiennent la plupart des spécialistes, ainsi que certains hauts responsables en privé. Quelques cercles indépendants résument bien le paradoxe entre ce qui est fait sur le terrain et ce qui est prôné par une partie de l’opposition et par les institutions financières internationales. Le Cercle d’action et de réflexion sur l’entreprise « Care » a ainsi brutalement rappelé, mardi, les urgences de l’économie algérienne, ainsi que « les paradoxes » qu’elle continue de véhiculer. « Il y a un consensus sur ce qui doit être fait au plus haut niveau mais personne n’ose le faire », ainsi déclaré M. Slim Othmani.
Abordant sans tabou la question délicate des subventions, il a jugé « insoutenable que 30% du PIB soit de la subvention ». « Au nom de quoi l’Etat continue à soutenir le prix du carburant? A ce prix-là, cela pourrait même être gratuit! », s’est-il demandé, ajoutant qu’il «est anormal que nous subventionnions les produits importés alors que c’est la production nationale qui devrait en profiter », a-t-il ajouté.
Pas de vision économique
Alors que le discours sur la réforme du système bancaire algérien est toujours de rigueur, un spécialiste financier a estimé que « le système bancaire algérien équivaut au système bancaire marocain des années 50 ». Le ministre des finances, Abderrahmane Benkhalfa, reconnait l’ampleur de ce retard, et les mesures qu’il annoncées concernent d’ailleurs ce secteur, avec l’obligation d’utiliser le chèque pour certaines transactions.
Mais cela n’est pas suffisant. M. Slim Othmani a bien résumé les incohérences de l’action gouvernementale. Revenant sur le projet des licences d’importation que le gouvernement veut instaurer pour l’automobile, il a déclaré qu’il « faut savoir ce qu’on veut », ajoutant : « on ne peut pas faire une chose et son contraire, démanteler tout en instaurant les licences ». Mais au final, cela revient à dire, en fait, que « nous n’avons pas de vision économique ».