Le Forum des chefs d’Entreprise a reconduit sans suspense, hier, son président sortant Ali Haddad, pour un second mandat. Mais quelle est la séquence suivante ?
Ali Haddad a été réélu, sans rival, président du forum des chefs d’entreprise FCE, pour un 2e mandat. Porté à la tête du FCE par moins de 700 membres adhérents en novembre 2014, le nouveau président a changé l’association patronale en 4 ans, la transformant d’un club élitiste en organisation patronale implantée dans les régions, ouvertes au PME et revendiquant 7000 entreprises aujourd’hui.
Le patron de l’ETRHB, première entreprise algérienne de réalisation en travaux publics, s’est surtout appuyé sur ce « bilan organique » positif lors de sa campagne électorale. Les modifications dans le mode électoral introduites en janvier dernier ont fini de verrouiller son chemin pour un autre mandat de 4 ans, rendant improbable toute candidature rivale à cause de l’instauration d’un système de « grands électeurs » favorable à l’équipe sortante. Ali Haddad n’a pas eu de sérieux écueils à affronter sur le chemin de sa réélection hormis une grève implicite des cotisations des membres en désaccord avec le nouveau mode électoral, une désaffection qui n’a pas empêché le taux de recouvrement des cotisations de dépasser les 60% selon la cellule de communication de l’organisation.
La conséquence ultime de ce mouvement d’élargissement du FCE, la décision de le transformer en syndicat en voie d’être finaliser par un agrément « promis » par le ministre du travail ; Mourad Zemali ce samedi en marge de l’assemblée élective. Le changement de statut d’association à syndicat patronal a été revendiqué, et finalement obtenu, par les adhérents anciens et nouveaux au FCE dans les wilayas. « Actuellement, beaucoup de nos représentants nous disent que le statut de syndicat nous aiderait à être plus crédibles surtout au niveau des institutions », expliquait sur Radio M en octobre dernier Salaheddine Abdessemed vice-président du FCE.
Un agenda Doing Business en panne
Les réalisations organiques du mandat du président Haddad, porté de 2 ans à 4 ans renouvelable une fois, n’ont pas pour autant fait de lui un leader du FCE plus puissant qu’en novembre 2014 lors de son intronisation. Plusieurs raisons y concourent. D’abord la capacité du FCE à faire avancer son agenda. Elle ne s’est pas améliorée depuis 2014. A son arrivée à la tête de l’organisation, Ali Haddad était attendu prioritairement sur son pouvoir à ouvrir des portes et à lever les obstacles bureaucratiques devant les chefs d’entreprise, grâce notamment à sa proximité à la fois avec Saïd Bouteflika, le frère du président malade, et avec Abdelmalek Sellal, alors premier ministre, auteur épisodique de velléités de libérer l’action du privé algérien.
Sur ce front, le bilan est faible si l’on considère l’ensemble de l’écosystème et pas seulement l’entourage proche de Ali Haddad qui a pu bénéficier de quelques avantages de situation durant ces 4 dernières années marquées par le retour des licences d’importation et des agréments discrétionnaires pour l’assemblage automobile, en particulier. « Lorsqu’on relit le pacte de croissance du FCE incarné dans les 50 propositions de 2012, qui reste le document le plus précis de la feuille de route du patronat algérien, on voit bien combien il y a très peu de conquêtes sous l’ère de Ali Haddad sur cette route tracée pour diversifier l’économie algérienne. Il y a même des reculs par exemple dans la liberté de l’investissement », déplore un proche de Réda Hamiani prédécesseur de Ali Haddad à la tête du FCE. Cette faible capacité de la présidence Ali Haddad à faire avancer l’agenda stratégique du FCE a sans doute été aggravée par la soudaine fragilité de son statut apparu au grand public en deux situations.
La première a eu pour théâtre la séance inaugurale du forum africain d’Alger en décembre 2016 au CIC. Le président du FCE a du essuyer l’humiliation – extrêmement maladroite de la part du 1er ministre Sellal – de voir tout le gouvernement algérien quitter la salle devant des invités africains et internationaux médusés, au moment où il prenait la parole, à cause d’un conflit protocolaire sur l’ordre des interventions. La seconde situation viendra dans le courant de l’été 2017 lorsque Ali Haddad, et quelques autres membres de la direction du FCE, devront subir le courroux du nouveau premier ministre Abdelmadjid Tebboune, lancé dans une opération de relation publique dont le thème populaire, est « la séparation de l’argent et de la politique ».
De nombreux observateurs ont trop vite pensé venue l’heure de la chute du patron de l’ETRHB. Ali Haddad a été sommé par le gouvernement par voie de presse de solder des situations pré-contentieuses sur des contrats en cours d’exécution. Le départ rapide du bouillonnant, et finalement peu soutenu, premier ministre Tebboune a certes restauré Ali Haddad dans son statut de premier porte-parole du monde des affaires de l’ère Bouteflika. Mais la brèche ouverte par cet épisode hallucinant, et la panique déclenchée à ce moment par les mises en demeure du gouvernement, n’a jamais pu être colmatée tout à fait aux yeux de la population des chefs d’entreprise et de plus largement de l’opinion nationale.
Inévitablement rattrapé par « les affaires »
En plus de ne pas avoir réussi à consolider durant ces 4 ans l’image d’un patron des patrons omnipotent, intouchable, et fort de son appui politique auprès du clan Bouteflika, Ali Haddad a été rattrapé par les scandales d’argent. Ce qui a accéléré sa précarisation institutionnelle. En mai 2017, le quotidien Le Monde rendait public une de ses enquêtes sur la base du fonds documentaire des « panama papers ». On y apprend que Ali Haddad était le bénéficiaire d’une compagnie enregistrée par Mossack Fonseca en novembre 2004 aux îles Vierges britanniques. Nommée « Kingston Overseas Group Corporation (KOGC) », cette société offshore était administrée par son fondé de pouvoir, un certain Guy Feite.
Ce Français établi au Luxembourg gérait la société offshore du ministre de l’Industrie, Abdeslem Bouchouareb, déchu depuis et accusé de trafic d’influence par un industriel algérien. Selon Le Monde, le P-DG du groupe de travaux publics ETRHB a également surfacturé des tubes en acier fournis par des partenaires turcs, destinés à la réalisation de projets en Algérie. Le Groupe ETRHB que dirige Ali Haddad n’est pas censé, par l’activité de ses filières, détenir des revenus connus à l’étranger. Dans le courant de l’été 2018 et dans le sillage de l’opération main propre consécutive à l’affaire de la cocaïne d’Oran, le nom de Ali Haddad a été cité plusieurs fois dans des suspicions d’évasion fiscale et surfacturation à l’importation. Il y est à nouveau question de l’acquisition de l’hôtel Ritz de Barcelone pour 68 millions d’euros en 2012. Le président du FCE a nié systématiquement des accusations « réchauffées », répondu stoïquement à chaque fois qu’il n’a rien à cacher à l’administration, « je respecte les lois de mon pays ».
Bouteflika, un vieil atout qui peut virer au fardeau
L’étoile – auparavant scintillante aux yeux de ses proches – de Ali Haddad ne s’est pas complètement éteinte dans l’adversité de ces deux années pénibles inaugurée sans doute par le spectaculaire incident protocolaire de décembre 2016 au CIC. Les préjudices sont cependant importants. Aujourd’hui, l’image de ETRHB auprès du grand public est celle d’un groupe qui livre ses projets avec un grand retard, beaucoup de surcoûts et énormément de malfaçons : un groupe pistonné politiquement, sans quoi il ne pourrait pas obtenir autant de plan de charge avec un résidu de contentieux colossal avec les maîtres d’ouvrages que sont les institutions de l’Etat, comme l’a révélé le gouvernement Tebboune.
L’entrée, sur décision politique, de ETRHB comme partenaire des Chinois dans le futur port centre en BOT à Hamdania symbolise cette rente de situation sur laquelle a continué à surfer le patron du FCE en dépit de ses difficultés croissantes que la baisse des moyens de paiement de l’Etat a accentué depuis 2014. ETRHB n’arrive toujours pas en 2018 à ressembler au champion algérien des travaux publics que le groupe devrait légitimement être en allant gagner des marchés à l’extérieur après avoir bénéficié d’un tel plan de charge depuis plus de 25 ans dans son pays.
Le sort de ETRHB et du président réélu du FCE dépend-il pour autant de sa seule proximité avec le clan Bouteflika durant de longues années ? Ali Haddad, de plus en plus impliqué financièrement dans les campagnes de réélection de Bouteflika a déjà fait appeler l’organisation qu’il dirige, le président, malade et absent, à se présenter pour un 5e mandat. Le doute est cette fois là. Ce qui a dopé son influence encore en 2014 à son intronisation au FCE, pourrait bien précipiter son déclin s’il ne réussissait pas à bien négocier le scénario de moins en moins improbable, d’une fin de règne de Bouteflika en avril prochain.
Ali Haddad et son équipe était souvent cité par les think-tank comme la partie business montante qui aurait son mot à dire dans l’organisation de la succession politique à Abdelaziz Bouteflika. Ce pronostic a reculé considérablement en 2018. Aujourd’hui il est plus question de préserver son périmètre d’affaire dans l’après Bouteflika que de participer de manière décisive à en faire le casting. Élu seul sans rival ce samedi à la tête d’une organisation qu’il a transformée en potentiel machine syndicale, Ali Haddad restera encore un acteur qui compte grâce à son mandat à la présidence du FCE. Mais pour combien de temps ? Le risque du vertige du vide le guette. Il le sait.