M A G H R E B

E M E R G E N T

Idées

Le voile, cette obsession bien française

Par Yacine Temlali
avril 17, 2016
Le voile, cette obsession bien française

Imaginons que demain les femmes voilées décident d’abandonner leur fichu : certains de leurs contempteurs s’estimeront satisfaits et en resteront là. Mais seront-ils nombreux ? Pas si sûr… Car, après le voile, ce sera au tour du prénom, de la binationalité, du hallal, du ramadan… 

 

« Le voile est une obsession française qui m’apparaît aussi irrationnelle que suspecte. » Il m’est souvent arrivé de dire ou d’écrire cette phrase destinée à interroger l’intensité et la passion qui caractérise tout débat autour de cette question. Ce fut le cas, il y a quelques années, lors d’une conférence dans une ville du sud-ouest de la France.

A peine prononcée, elle m’a valu une véritable bronca de la part d’une partie de l’assistance, réunie par des associations de gauche. Amusé, j’ai alors relevé que ces réactions confirmaient bien ce que je venais de dire et que s’il y a bien un sujet sur lequel il est difficile de faire entendre un avis plus ou moins original, c’était bien celui du foulard dit islamique.

J’ajoutai que j’avais conscience du caractère minoritaire de cette position et qu’il me serait bien plus facile – et rentable en termes de droits d’auteur et de visibilité -de joindre ma voix aux voix, présentées comme dissidentes au sein de la grande famille berbéro-arabo-musulmane, qui prônent une opposition non-négociable au voile.

Quelque temps plus tard, interviewé par un quotidien hexagonal, j’ai constaté, sans grande surprise, que la seule partie de mes propos qui n’avaient pas été reproduits concernait la mention de cette fameuse obsession. Il serait malhonnête, sur le plan intellectuel, de mettre tous les opposants au voile dans le même sac.

A force de discussions, y compris heurtées, je peux témoigner qu’il existe des convictions sincères basées sur une quête d’égalité et de défense des droits de la femme.

C’est au nom de luttes passées pour l’émancipation que certaines femmes et certains hommes disent non au voile. Ils y voient une régression et réfutent toute idée de racisme ou d’islamophobie. Mais l’une des erreurs de ces personnes est de ne pas élargir leur champ de vision et, surtout, de ne pas prendre conscience de ce que signifie vraiment l’interdiction de ce vêtement pour de nombreuses femmes qui revendiquent le droit et la liberté (c’est ainsi) de le porter.

J’ai souvent entendu cette phrase étrange selon laquelle le port du voile signifierait la défaite du combat féministe. Comme s’il n’y avait que cela comme « menace ». Comme s’il n’y avait pas d’autres combats – à commencer par l’égalité salariale – qui mériteraient autant de ferveur et de mobilisations.

 

Un étrange retour de bâton

 

Mais il ne faut pas être naïf. Le voile est le sujet idéal pour l’expression de nombre d’impensés ou pour la matérialisation d’inconscients collectifs. De jeunes Françaises qui se voilent, c’est, pour certains, une nouvelle défaite du colonialisme.

Oh, pas le colonialisme dont on s’accorde à dire qu’il fut un désastre et une terrible injustice. Non, c’est plutôt le colonialisme « romantique », celui de Jules Ferry, de l’émancipation de peuples arriérés que la France, flambeau des droits de la personne humaine, avait pour mission de mener à bien.

Quel étrange retour de bâton, n’est-ce pas ? A la fin des années 1950, la propagande coloniale a enjoint les femmes indigènes d’enlever leur haïk, autrement dit leur voile traditionnel. Quand on rappelle cet épisode, cela envenime la conversation, signe que l’on touche-là à un point des plus sensibles.

Soyons clairs. Je ne défends ni ne réclame le port du voile. Pour moi, c’est une question de choix individuel chez des personnes majeures (la question des adolescentes est plus compliquée à aborder qu’on ne le croit). On me rétorquera que ce n’est pas le cas. Que c’est la pression du père, du frère, de l’époux ou du quartier dans son ensemble.

C’est certainement vrai mais en partie et cela ne peut justifier que l’on limite les choix individuels. Une société où l’on décide de ce qui est bien ou non pour une partie des citoyens – sans jamais leur demander leur avis – ne peut être cohérente avec l’idée que l’on se fait de la liberté et des droits de la personne humaine.

Valls, le voile de la diversion politique

 

Il convient aussi de ne pas ignorer que le voile est instrumentalisé y compris à gauche ou, plus exactement, chez la pseudo-gauche, celle qui affirme qu’elle n’est ni raciste ni islamophobe parce que, justement, elle est « la » gauche (et qu’elle aime le couscous…).

Ainsi de Manuel Valls, ce Premier ministre qui a piteusement échoué dans sa mission principale, faire baisser le chômage (première préoccupation des Français). On ne s’étonnera donc pas de voir ce matamore agiter les questions identitaires dans l’optique de l’élection présidentielle de 2017.

On ne s’étonnera certainement pas de le voir relancer le débat de l’interdiction du voile à l’université, histoire de faire naître quelques polémiques et d’éviter de devoir rendre des comptes sur son bilan pitoyable. Voile : synonyme de diversion politique…

Lancé sur les réseaux sociaux par le journaliste Nadir Dendoune, le mouvement « Tous voilés » a signifié le ras-le-bol de cette instrumentalisation quasi-permanente. Un ras-le-bol qui, jusque-là n’était que très peu relayé par les médias influents.

Le succès de cette initiative, y compris et surtout auprès de personnes n’ayant rien à voir avec l’islam, montre que la question est bien plus complexe que ne veut le faire croire la « féministe » Elisabeth Badinter, dont le discours anti-voile cache mal sa détestation de tout ce qui peut provenir du sud et de l’est Méditerranée et qui n’entend pas se plier à ses injonctions identitaires et politiques.

Terminons cette chronique par ce pari. Imaginons que demain les femmes voilées décident d’abandonner leur fichu : certains de leurs contempteurs s’estimeront satisfaits et en resteront là. Mais seront-ils nombreux ? Pas si sûr…Car, après le voile, ce sera au tour du prénom, de la binationalité, du hallal, du ramadan ou de que sais-je encore ? Car le voile ne cache pas uniquement les cheveux de celles qui le portent…

ARTICLES SIMILAIRES

Actualités Idées

« Ihsane, privé de ta liberté, tu restes un homme libre » (Saïd Djaafer)

Cher Ihsane, Notre complicité humaine et professionnelle qui remonte à loin ne nous a pas mis devant la question délicate de savoir s’il faut souhaiter un “joyeux anniversaire” à quelqu’un… Lire Plus

Actualités Idées

Cinq pistes économiques sur lesquelles devraient réfléchir le futur gouvernement légitime (Contribution)

L’ébullition politique, que suscite la situation politique actuelle, dans notre pays, est normale à plus d’un titre, après des décennies de silence forcé ou plutôt, qu’à la seule source du… Lire Plus

Idées

Avec Gaïd Salah, le régime décrépit ne marche plus que sur un pied, le sécuritaire

Le dispositif répressif a connu une escalade de plus dans la capitale pour ce 19e vendredi, alors que la semaine a prolongé le désert politique du côté du régime. Impasse intégrale ?… Lire Plus

Contributions Idées

Crise politique en Algérie : urgence de dépasser l’entropie actuelle par le dialogue productif

Comme  je l’ai souligné dans plusieurs contributions parues au   niveau  national/ international, une longue période de transition ne peut que conduire le pays à l’impasse économique et politique, d’où l’urgence d’un… Lire Plus

Actualités Idées

Nabni lance un chantier autour de la liberté de manifester et de s’exprimer en Algérie

« La liberté de rassemblement et de manifestation : Se réapproprier l’espace public reconquis le 22 février 2019 », est le troisième « Chantier de refondation » du Think-Tank NABNI.