Il fut un temps où notre pays s’était doté d’un ministère de la planification et de l’aménagement du territoire, qui représentait une volonté politique de lutter contre les disparités régionales.
Je n’aborderai pas le premier volet de la planification bureaucratique et centralisée de cette administration centrale, concept à forte connotation idéologique et politique mais je me concentrerai sur le deuxième volet de l’aménagement du territoire qui, à mon avis, était plus pertinent, compte tenu des réalités géographiques et physiques de notre pays continent.
En effet, les éléments géographiques rudimentaires, de notre pays, nous indiquent que sur les 2,38 millions de Km2, la partie saharienne représente 2 millions de Km2 soit 80% du territoire national ! Ce découpage territorial, mis en œuvre par la France coloniale, va contraindre l’Algérie indépendante à une politique d’aménagement du territoire dictée par ses contingences géographiques et ethnosociologiques qui vont s’avérer par la suite, géopolitiques et sécuritaires. La « bande Nord » de notre pays n’occupe donc qu’environ 400.000 Km2 et s’inscrit dans un espace constitué de deux Atlas, tellien (1) et saharien(2) entre lesquels s’intercalent des plaines et des Hauts Plateaux.
Dans sa partie saharienne, les principales formes de relief sont les ergs au Nord (dunes), regs, à l’extrême Sud (étendues pierreuses) dont le massif du Hoggar et le plateau du Tassili (3). Les différents découpages (4) opérés dans notre pays, depuis l’indépendance, n’ont tenu compte que partiellement de cette situation géographique et notamment dans le sud du pays où les distances entre les différentes villes et villages se comptent par centaines de kilomètres.
Dans la bande Nord, des considérations politiques, sectaires, régionalistes et ethnosociologiques, ont été déterminantes dans les différents découpages, avant toutes autres considérations objectives (géographie, activités économiques, population, relief…) ! Mais la où le bas blesse, c’est certainement dans l’allocation de ressources budgétaires entre les différentes entités ainsi créées. Il est vrai que dans les années 60 et 70, des « plans spéciaux » (Tizi-Ouzou, Tlemcen, Titteri…) ont été mis en œuvre, pour parer aux disparités régionales et ont permis de rééquilibrer, un peu les différences criardes entre wilayas.
En outre, l’implantation des différents projets industriels, dans les Wilayas, étaient inscrits dans cette logique même si le choix n’a pas été tout le temps judicieux (5). C’est ainsi que vont naître des « pôles de développement » quasi artificiels (Arzew, Skikda, El Hadjar, Bel-Abbes…) et qui vont avoir un impact direct et indirect sur l’environnement de toute la région et qui finiront par imposer leur logique, à savoir des dysfonctionnements durables, sur les populations, sur l’activité économique, sur l’administration et surtout sur les ressources financières rares qui n’ont pas toujours suivi ou en tous cas d’une manière parcimonieuse.
Cette politique discriminatoire va s’amplifier dans des proportions inconsidérées, avec la désignation élective du président A. Bouteflika en 1999, ce qui va se traduire par l’apparition de véritables « poches de pauvretés » dans certaines wilayas, alors que d’autres vont connaître un décollage économique et social certain. L’analyse précise des budgets directs mais surtout indirects (6) alloués aux différentes wilayas est à cet endroit très explicite.
En effet, la comparaison des budgets directs et indirects entre les wilayas de Khenchela et celle de Tlemcen, par exemple, est plus que révélatrice de cette situation de déséquilibre structurel, alors que c’est une politique inverse qui eut été attendue pour pallier cette situation de fait ! Sur la durée (vingt ans), une telle politique va générer des plaies béantes et les rattrapages possibles deviennent quasiment irréversibles puisque les wilayas nanties vont profiter pleinement de cette dynamique et celles « oubliées » vont creuser leur sous-développement structurel.
L’étude fine, systématique et objective, des budgets directs et indirects, alloués durant les vingt dernières années, dans les différentes wilayas, est, à cet endroit, précieuse en information qui montre et démontre les dégâts causés par les disparités régionales et leurs impacts sur l’environnement politique, économique, social, culturel de notre pays, ainsi que la montée sournoise des mouvements régionalistes voire sécessionnistes, enregistrée ça et là et à diverses occasions.
Cette pente d’une extrême dangerosité, pour l’unité de la nation, pour sa défense et sa sécurité, si elle venait à accroître son inclinaison, va donner des arguments de poids à tous ceux qui caressent le rêve de la partition de notre pays, le territoire le plus grand d’Afrique.
Pourtant les solutions existent et ont été mises en œuvre, avec un certain succès, durant les premières années de l’indépendance, il suffirait donc de continuer dans cette « politique volontariste », sur le long terme, pour éradiquer ces poches de misère qui se sont constituées, dans notre pays, durant les vingt dernières années.
Il s’agit d’abord d’identifier, ces zones de paupérisation relative et de faire voter par le pouvoir législatif, des « programmes spéciaux » de développement économique et social, en dehors du cadre classique du budget de l’Etat (comptes spéciaux), consacrés entièrement aux « rattrapages » et à la mise à niveau de ces wilayas, par les différents instruments, que permet la législation en vigueur, en termes d’exonération, de privilèges et autres stimulants, de manière à combattre ce fléau porteur de graves dangers pour la cohésion nationale de notre pays.
Les meilleurs administrateurs de notre élite (7) devront être affectés à cette œuvre de rééquilibrage, avec de larges prérogatives (décentralisation et déconcentration), de manière à booster une dynamique de croissance qui portera ses fruits à moyen et long terme. Le « développement du sous-développement » (8) se creuse dans certaines wilayas de notre pays, tous secteurs confondus (santé, éducation, formation, infrastructure, industrie, commerce…) et l’exode interne et externe (haragas) est un signe qui ne trompe pas et qui nous indique clairement que notre pays se vide de ses forces vives et notamment de sa jeunesse, qualifiée ou non.
Il est donc urgent de prendre à bras le corps ce dossier brûlant et d’impulser une dynamique décisive, de manière à juguler cette tendance lourde et coordonner les efforts afin de rééquilibrer et de répartir équitablement les ressources rares de notre pays sur l’ensemble du territoire national et sur toutes ses populations, sans exclusif.
Repenser le développement local et l’adapter à son environnement (plaines, montagnes, Hauts plateaux, zones urbaines, balnéaires et sahariennes), est d’une vitalité impérative pour un développement harmonieux en direction de toutes les régions de notre pays, de manière à éradiquer toutes les poches de pauvreté qui se sont construites au fur et à mesure qu’elles ont été marginalisées et considérées comme des zones de second rang. Ceci d’autant que cette politique volontariste n’exige pas la mobilisation d’énormes ressources financières en cette période de disette (9) lorsqu’elle est bien pensée et peut mobiliser les populations elles-mêmes enracinées dans leur terroir, plutôt qu’alimenter l’exode et constituer des nouvelles générations de « bidonvilleois », qui vont ceinturer les grandes mégalopolis, avec toutes les conséquences sur le tissu social et les ruptures sociétales et qu’il faudra bien un jour « éradiquer », en engloutissant d’énormes ressources financières (10).
Les PCD (11) peuvent jouer un rôle très utile s’ils sont calés dans un programme pluriannuel qui réponde aux besoins les plus urgents des populations tout en atténuant les graves déséquilibres régionaux. A quand une véritable politique d’aménagement du territoire ?
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(1) D’ouest en est, l’Atlas tellien méridional englobe, les monts de Tlemcen, de Daïa, de Saïda, de Frenda, le massif de l’Ouarsenis, le massif du Titteri, les monts Bibans et les monts de Constantine.
(2) L’Atlas saharien prolonge le Haut Atlas marocain par les monts des Ksour, le djebel Amour, les monts des Ouled Naïl, les monts du Zab, puis par les monts du Hodna. L’Atlas saharien se poursuit avec le massif de l’Aurès (mont Chélia), lui-même prolongé en Tunisie par les monts de Tébessa et bordé au sud-est par les monts des Nementcha. Au sud de l’Atlas saharien plusieurs oasis constituent ce qui est couramment appelé « la porte du désert ».
(3) Au sud de l’Atlas saharien se trouvent de grands plateaux rocheux, vers l’ouest le Grand Erg occident et à l’est le Grand Erg oriental. Le plateau de Tademaït est bordé au nord par le Grand Erg occidental et à l’ouest par le Grand Erg oriental. Au sud-ouest, s’étendent les ergs Iguidi et Chech et plus au sud-est, se situe le plateau du Tanezrouft, jusqu’au Mali. Dans le Sahara méridional, au sud-est du Tademaït, s’étend le massif du Hoggar, dont le point culminant est le mont Tahat (2 918 mètres). À l’est, se situe la chaine du Tassili n’Ajjer, au relief de paysage lunaire.
(4) De quinze (15) Wilayas à l’indépendance, nous sommes passés à trente et une (31) puis à quarante huit (48) et une dizaine (10) de plus tout dernièrement. L’érection au statut de Wilaya n’a pas toujours tenu compte des critères objectifs qu’une pareille entreprise doit respecter. A titre d’exemple, Oum-el-Bouaghi a été érigé en Wilaya et son ainée Ain El-Beida est resté Dira ou Boumerdès Wilaya et Bordj-Menaêl Daira !
(5) Beaucoup de projets industriels ont été implantés dans un environnement hostile voire contre nature, ce qui a eu pour conséquence des surcoûts désastreux pour des projets naissants (manque de main d’œuvre, d’infrastructures, d’équipements, de logistiques…) !
(6) Les budgets indirects sont ceux alloués discrétionnairement à certaines Wilayas, en vue d’abriter un certain nombre de manifestations nationales ou internationales (sportives, culturelles, économiques, religieuses…) en dehors des budgets classiques votés par le pouvoir exécutif. Ces opérations sont financées directement par des Fonds spéciaux (FCCL ou FRR) sur décisions du Président de la république, en dehors de toutes considérations objectives et sans que le pouvoir législatif ne puisse intervenir ni sur les montants ni sur les destinations.
(7) Il est pour le moins curieux de constater que dans la gestion des ressources humaines, les pouvoirs publics affectent les cadres les moins productifs voire les plus incompétents, dans les zones déshéritées, assimilant sans doute cela à une sanction, alors que c’est l’inverse qu’il faudrait instituer, comme cela se fait dans les autres pays.
(8) Phénomène bien connu des économistes, une région pauvre va générer très peu de ressources ou pas du tout, ce qui entrainera une paupérisation accrue. Cette spirale de pauvreté, va créer une dynamique de régression économique et sociale qui va s’autoalimenter si un facteur exogène ne vient pas casser cette tendance lourde.
(9) Dans son discours devant les Walis le Président de la république a décidé d’allouer 100 Milliards de DA aux collectivités locales.
(10) Qui ne se souvient pas des grandes opérations d’éradication des bidonvilles des grandes villes du pays et notamment dans la capitale et des énormes ressources mobilisées pour leur réalisation ? Quelques années après, le phénomène se reproduisait de nouveau et certaines personnes étaient réintroduites compte tenu du fait qu’elles travaillaient dans des administrations et des entreprises nécessaires pour les villes (voiries, ramassage des ordures, enseignants, policiers…).Actif sur le terrain, réagissant de manière rapide aux décisions du pouvoir, ce mouvement qui s’inscrit désormais dans la durée dispose d’un poids politique indéniable. S’il n’a pas réussi à déraciner complètement l’ancien système politique, il a réussi à réduire considérablement la marge de manœuvre du pouvoir en place.