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« l’Algérie entame un tournant historique  » (Benjamin Stora)

Par Lynda Abbou
novembre 20, 2019
« l’Algérie entame un tournant historique  » (Benjamin Stora)

Entretien réalisé par Lynda Abbou

Natif de Constantine, Benjamin Stora, est historien et président du conseil d’orientation de la Cité nationale de l’Histoire et de l’immigration en France. Dans cet entretien accordé exclusivement à Maghreb Emergent en octobre dernier, l’historien évoque la révolte du 22 février, en expliquant sa genèse et les issues possibles pour le soulèvement populaire en Algérie. 

Quel regard portez-vous sur la situation actuelle en Algérie ?

La situation que vit l’Algérie est cruciale au regard de la mobilisation massive, notamment chez les jeunes, au point de constituer un grand tournant dans l’Histoire algérienne.

Il y a eu en Algérie de grands mouvements populaires, notamment ceux de l’été 1962, le printemps berbère, octobre 88…et d’autres. Sauf que cette fois-ci, le mouvement touche tout le pays, avec une volonté du peuple de se réapproprier son histoire et conduire les affaires du pays. C’est une détermination que nous n’avons pas vu depuis longtemps et qui a surpris beaucoup d’observateurs.

Vous qui avez beaucoup travaillé sur l’histoire de l’Algérie, où se situe selon vous, la différence entre les précédents mouvements (1988-2001…) et la révolution du 22 février ?

Le mouvement du 22 février se distingue par la présence massive de la jeunesse, principalement les lycéens et les étudiants, ce qui est quand même très très fort comparativement aux années 1990 où les mouvements étaient menés par la jeunesse précaire.

Cette fois-ci, c’est une jeunesse issue de toutes les classes –jeunesse des stades, des universités, des lycées…etc-, cela est le premier aspect.

Ce qui est aussi frappant, c’est que cela touche l’ensemble du pays. La vague des manifestations est incroyable et on ne ressent aucune fragmentation. Nous ne sommes plus au degré d’une région contre une autre, ou une région plutôt qu’une autre, bien au contraire. Nous sommes au stade de comprendre que les Algériens ont décidé de construire une nouvelle nation, sur des bases démocratiques.

La révolution du 22 février se distingue aussi par son aspect pacifique, quel est votre point de vue sur ce point particulier ?

L’aspect pacifique est évident au point où lors de son début, la révolution s’est vue coller des qualificatifs –révolution du sourire- à l’image du printemps arabe.

Le côté pacifique est aussi très remarquable pour un pays qui a connu des années sanglantes. Ceci dit, la plupart des personnes qui sont descendues manifester dans la rue ne voulaient absolument pas qu’on revienne aux années de plomb, vu le traumatisme que cette période a causé.

Quelles sont selon vous, les issues possibles de ce mouvement ?

Je ne sais pas. C’est soit aller vers des élections prévues pour le 12 décembre, soit au contraire avoir un mouvement dans la rue qui vont s’approfondir avec la recherche de nouveaux interlocuteurs et essayer de trouver un mot d’ordre qui est celui de la constituante. Il y a deux solutions et moi je ne peux pas trancher entre les deux options.

La région connaît une ébullition à haute échelle, avec les événements au Soudan en Irak et au Liban, pouvons-nous parler d’un nouveau printemps arabe ?

Je pense plutôt à un renouveau citoyen dans la jeunesse. Lorsque nous regardons les manifestations dans l’ensemble de ces pays, et au Maroc aussi, nous constatons qu’il y a une nouvelle génération qui se met au-devant de la scène. Une génération très déterminée qui ne peut plus se contenter de discours. La patience des populations a atteint ses limites, et nous assistons aujourd’hui à une déferlante de citoyens qui ne veulent plus lâcher prise.

Des citoyens qui veulent désormais décider et non qu’on décide à leur place. Nous sommes rentrés dans une nouvelle ère, cela prendra du temps, avec des reculs et des difficultés prévisibles, mais ce dont nous sommes certains, c’est que le processus a commencé.

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