Maghreb Émergent s’est rapproché d’un expert pour tenter de comprendre les dernières mesures prises par la Banque d’Algérie, à travers les instructions 07 et 08, et rendues publiques le 30 avril 2020.
Ces mesures, baisse du taux directeur et du coefficient de liquidité, visent en fait la baisse des ratios de solvabilité ou ratios de fonds propres par rapport aux dépôts des banques. Leur objectif est de libérer des capitaux aux institutions financières pour leur permettre de pouvoir prêter aux entreprises.
Le secteur privé ne pourra attendre l’évaluation de l’impact post Covid19
L’expert commence par rappeler le contexte bancaire algérien depuis plus d’une année, marqué par une campagne « mains propres » qui a été lancée contre les crédits accordés au secteur privé. Plusieurs responsables de banques publiques ont été interpellés et certains emprisonnés pour avoir accordé des crédits faramineux à des entrepreneurs privés, eux même en détention.
Disposer de plus de liquidités ne va donc pas inciter les banques publiques à accorder plus de crédits. Ce qui les empêchait de le faire, avant même la crise sanitaire, c’est la peur. Leurs gestionnaires traumatisés ont été incapables de renouveler de simples crédits d’exploitation à des entreprises qui n’ont jamais eu de problème avec la justice.
Tour à tour, le Premier ministre et le Président de la république ont parlé d’une évaluation de l’impact du confinement sur les activités des entreprises et promis de les assister le moment venu. Selon notre expert, le monde économique, en tout cas le secteur privé, ne fonctionne pas de cette manière. Une entreprise qui n’a plus d’activité – et donc n’a plus de chiffre d’affaire – ne pourra pas continuer à payer ses salaires. Elle ne peut attendre que les pouvoirs publics évaluent, à la fin de la crise sanitaire, ses pertes pour envisager de l’indemniser. Elle est condamnée à disparaître, à déposer son bilan. Il n’y aura personne pour faire cette évaluation du manque à gagner.
Selon ce spécialiste, nos administratifs ont surtout pour référence l’entreprise publique quand ils parlent du monde économique : une entreprise publique qui perd de l’argent, est déficitaire mais continue à exister grâce au concours du trésor. Les entreprises privées ne sont pas dans cette configuration. Pour ne pas disparaître, et garder leurs emplois, elles doivent être soutenues immédiatement.
Partout dans le monde, aussi bien développé qu’en voie de développement, l’Etat s’est engagé à travers une garantie des crédits ou à travers la mise à la disposition de fonds pour les entreprises impactées. Aux USA, ce sont des chèques qui ont été remis aux entreprises. L’urgence est de maintenir ces entreprises vivantes et préserver leurs emplois. Il sera fait appel, entre autres, au chômage technique où l’Etat assure la prise en charge immédiate de plus de 80% des salaires.
Le contrôle se fera à posteriori. Sans oublier les artisans, les commerçants et autres employés de l’informel qui se retrouvent sans aucun revenu et qui ont besoin d’être indemnisés maintenant. L’expert pense que les dernières mesures prises par la Banque d’Algérie sont surtout, pour ne pas dire exclusivement, destinées au secteur public.
En autorisant aussi bien les administrations que les entreprises du secteur public à libérer 50% de leur personnel, tout en continuant de leur assurer leurs salaires, les autorités se devaient d’accroître les liquidités des banques pour pouvoir financer les salaires de ces entités à l’arrêt. Il estime ces salaires versés pendant trois mois aux fonctionnaires à près de 250 milliards de dinars. Sans compter les salariés du secteur économique public. Air Algérie et l’hôtel Aurassi, pour ne citer que ces deux exemples, seraient les seules entreprises au monde, sans aucune activité, à pouvoir garder la totalité de leurs employés en leur assurant leurs salaires.
La Banque d’Algérie dans son instruction n° 06 se contente de laisser à la discrétion des banques la possibilité d’accorder de nouveaux crédits aux entreprises privées, sans que ces nouveaux prêts ne soient adossés à une garantie de l’Etat, comme cela s’est fait dans tous les pays touchés par la pandémie et ses conséquences.Si l’Etat devait prendre en charge le financement de l’impact de la crise sanitaire, la facture sera lourde.
L’argent de l’informel ? Un gros problème de confiance
Le financement des effets de la crise sanitaire, selon l’expert, viendra s’ajouter au problème du financement du déficit budgétaire auquel les pouvoirs publics sont déjà confrontés et ce bien avant la crise sanitaire et l’effondrement des cours du pétrole. Ce financement, affirment les autorités, ne se fera ni grâce à la planche à billets, ni au recours à l’endettement international, ce dernier, étant réservé au financement ciblé de projets d’investissement rentable.
L’expert financier ne croit pas à la solution avancée par le gouvernement et qui consiste à compter sur l’endettement interne. Pour mobiliser les milliards de dinars disponibles en dehors du secteur bancaire, il faudrait que leurs détenteurs aient confiance.Pour lui la case confiance est indispensable à ce genre d’opération, qui a déjà été tentée auparavant et qui n’a pas du tout produit les résultats escomptés. Rien n’a changé pour qu’une nouvelle opération d’emprunt obligataire soit couronnée de succès.
Sans compter que la double crise actuelle montre que même une réussite de ce type d’opérations, avec des taux d’intérêt vraiment attractifs, ne sera pas en mesure de combler un déficit qui se creuse de plus en plus, avec une fiscalité pétrolière en baisse, dans les scénarios les plus optimistes, d’au moins 50% par rapport à 2019.
La division du budget de fonctionnement par deux, sans toucher aux salaires, qui représentent à eux seuls près de 50% des dépenses, alors que l’activité économique est pratiquement gelée, ne sera non plus pas en mesure d’apporter une réponse à cette insoluble équation. Comme ne le pourront pas l’augmentation des liquidités dans le circuit bancaire.