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Des e-entrepreneurs algériens à l’assaut du marché de l’amour

Par Saïd Djaafer
mai 11, 2017
Des e-entrepreneurs algériens à l’assaut du marché de l’amour

 

 Les marieuses d’antan n’existent presque plus, les lieux de rencontre conviviaux peu nombreux. Les réseaux sociaux comblent le vide. Et des jeunes e-entrepreneurs algériens partent à l’assaut du marché naissant de l’amour via le net.

 

 

 Vous êtes au restaurant, mais votre esprit est plus concentré sur la jeune fille qui vous fait face que la nourriture qui caresse votre palais. Vous êtes célibataire depuis plusieurs années, cette jeune femme vous regarde aussi mais impossible d’aller lui parler. « 3ib, ça ne se fait pas, elle est en famille, on risque de vous balancer au visage la bouteille d’eau achetée dix fois plus chère que dans une alimentation générale normale. » Des codes de la société plus vieux que votre célibat vous freinent et vous êtes figé à votre place. Vous laissez partir votre Zoulikha potentielle et plus jamais, vos chemins ne se recroiseront. Vous rentrez chez vous, vous vous connectez mais votre téléphone est aussi vide de notifications que votre cœur.

 Mais s’il existait un monde parallèle qui vous permettrait de retrouver cette jeune femme et vous exprimer librement ? Un monde où vous pourriez discuter et entendre sa voix pendant des nuits entières. Un espace où Zoulikha ne serait pas obligée de rentrer avant el-Maghreb, où vous ne dépenseriez pas un seul dinar pour des restaurants bondés. Un espace où vous pourriez la bloquer et faire disparaître son existence en un seul clic ?

Et si nous étions en 2017 et que des entrepreneurs de l’amour en ligne avaient trouvé des solutions à votre situation ?

Avec plus de 29,85 millions de connectés à Internet et des millions de célibataires en Algérie, l’espace numérique a fini par devenir propice aux rencontres amoureuses. Au fil des années, les technologies de l’information et de la communication ont changé notre perception des choses. Il y a une quinzaine d’années, qui aurait cru qu’il était possible de passer des appels vidéo aux deux bouts du globe terrestre ? A travers leur évolution, les TIC sont allées jusqu’à se répercuter sur les sphères les plus privées de nos existences.

Pouvons-nous parler d’un marché de l’amour en Algérie ? Dans une société où la séduction flirte dangereusement avec le harcèlement, comment pouvons-nous expliquer un tel engouement pour l’amour en ligne ? Quels sont les risques de ces pratiques ? Qu’offre réellement l’amour en ligne ?

 

The clic et le déclic

 

La réponse semble pourtant claire pour les jeunes Algériens. Lorsque l’on leur demande s’il est plus facile de rencontrer l’amour sur les réseaux sociaux, la réponse est presque unanime. Sur cent personnes interrogées, 89 avouent avoir déjà rencontré un partenaire potentiel sur Internet.

 Parmi elles, Sofia, étudiante de 21 ans dont la sœur s’est marié grâce à « Internet » : « Elle est enseignante et son fiancé travaillait au Sahara. Elle a aimé son commentaire il y a deux ans et ça a été le coup de foudre. (clic de foudre ? ) Sans Facebook, jamais ils ne se seraient rencontrés. Aujourd’hui, elle vit avec lui à Tamanrasset et ils sont très heureux. » Un sourire radieux, Sofia nous montre une photo de son neveu, photo qui ne lui serait jamais parvenue sans la magie d’Internet.

 

Mais alors que certains attendent « THE clic » qui changera leur vie, d’autres créent le déclic. En effet, l’espace numérique a été peuplé de sites et de pages Facebook servant directement la cause de l’amour en ligne.

Nadir Allam fait partie de ces entrepreneurs de la recherche de l’âme sœur sur Internet. Âgé de 24 ans, il a créé la page Diridarek, avec pour objectif « d’aider les célibataires à fonder leur foyer. » Interpellé par un rapport qui annonçait plus de 11 millions de femmes célibataires, il a eu l’idée de créer un site au concept original et insolite en Algérie.

 

DIRI DAREK

 

« Diri Darek » permet aux inscrits de publier une annonce, se décrivant et décrivant ce qu’ils recherchent chez leur futur partenaire. Une fois l’annonce en ligne sur la page Facebook, les intéressé(e)s laissent une « réaction » ou un commentaire. L’annonceur aura ensuite l’opportunité de choisir parmi les profils de ses « candidats » celui qui a le plus de chances de lui plaire. Véritable bachelor en ligne, le compte ou le commentaire le plus original sera contacté par l’annonceur.

Les publications se font dans plusieurs langues, en arabe, français, arabe, tamazight et parfois même en anglais. Les TIC ont cette particularité d’offrir une « universalité » nouvelle et de faire abstraction des frontières. Chacun peut offrir ce qu’il veut et s’exprimer dans la langue de son choix.

Jusqu’à ce jour, l’équipe Diridarek a publié 12.104 demandes de messages et compte plus de 84. 000 abonnés. En croissance exponentielle, la page a accueilli 10.000 nouveaux adhérents pendant le mois d’avril 2017. Les publications atteignent un nombre de clics pouvant aller jusqu’à 24 000 lors des week-ends.

Victime de son succès, l’équipe Diridarek compte aujourd’hui six personnes qui travaillent à la bonne gestion de la page. Pour répondre à la demande de plus en plus grande, Nadir Allam a pour projet de lancer le concept de Diridarek sous forme d’application : « Nous sommes en négociation avec Google, pour permettre de télécharger l’application sur le PlayStore. Elle sera d’abord disponible pour les utilisateurs d’Android. Pour le moment, les visites sur le site Internet ne génèrent pas de fonds. ».

 Parti d’un simple site Internet, Diridarek se développe et devient une entreprise avec pour ambition première d’aider les couples qui ont du mal à faire croiser leurs chemins numériques.  Mais une fois le partenaire trouvé, les relations débutées sur Internet peuvent-elles réussir IRL?  » Oui, mais il faut vite passer du virtuel au réel. » conseille Leila O., psychologue. Beaucoup ont tendance à bâtir des relations en ligne, en oubliant la vie réelle. Beaucoup finissent déçus, se basant sur ce qu’ils imaginent à travers un écran. »

 La plate-forme de Diri Darek est loin d’être la seule à offrir des opportunités de rencontres, puisque d’autres facettes de l’amour en ligne sont aussi très prisées. En effet, le concept de Spotted est devenu un véritable phénomène sur le web Algérien, amassant plus d’un million de fans à travers plusieurs pages.

 Mais cette fois, il ne s’agit pas de décrire le partenaire idéal, mais plutôt de le retrouver. Le terme Spotted signifie initialement « trouvé » en anglais. Vous avez croisé une personne qui vous a plu dans la rue, au centre commercial ou même dans le tramway ? Alors que cela semblait impossible il y a quelques années, il vous suffit d’aller sur la page Facebook Spotted destinée à la région dans laquelle vous vivez et d’envoyer un message à l’administrateur. En donnant l’heure, le lieu exact et la description de la personne cherchée, le message sera publié. Si la personne se reconnaît, elle vous recontactera ou une de ses connaissances vous laissera son compte Facebook.

 Ce concept s’est propagé dans notre pays : Spotted métro d’alger, bibliothèque de l’université de médecine, centre commercial Ardis, etc. La page de l’USTHB a atteint 103. 317 fans. Mais le concept a aussi séduit les autres wilayas avec des pages destinées à El Taref, Tiaret, Souk Ahras, etc. Annaba est en tête de toutes les pages Spotted algériennes avec une page qui atteint les 108.000 abonnés. Toutes les raisons et tous les liens sont bons pour trouver l’amour.

 Cependant, malgré les chiffres impressionnants atteints sur les réseaux sociaux, certains n’adhèrent pas au concept de l’Amour.dz. Un de ses inconvénients est mis en avant par Sarah 32 ans : » Je ne pense pas que Facebook soit un bon endroit pour trouver son âme sœur. Y a que du virtuel, rien n’est jamais véridique, les défauts et les qualités sont atténués ici. »

 En effet, la liberté offerte par les réseaux sociaux peut parfois être utilisée à mauvais escient. Les relations humaines pixelisées, sont enjolivées et les défauts lissés sur des pages virtuelles. Derrière un écran, Internet offre une couverture qui rend les mensonges difficilement détectables.

Ce manque de transparence peut aussi aller plus loin. L’affaire du faux chauffeur de taxi qui utilisait les réseaux sociaux pour prendre contact avec des jeunes femmes en est un exemple. Il en aurait violé dizaines avant d’être arrêté.

 De plus, les faux profils présents sur les réseaux sociaux peuvent également présenter un danger. En effet, selon Movistar telefonica, il y a plus de 150 millions de faux comptes Facebook actifs. Il existe des malfaiteurs de l’amour en ligne et les jeunes femmes qui cherchent leur Prince Charmant derrière leur PC, n’ont pas conscience du danger qui peut se cacher derrière une présence virtuelle.

 Mais malgré les risques que comporte l’amour en ligne, les sites fleurissent et sont de plus en plus nombreux à meubler la sphère numérique. Des pages comme « Dz de Luxe » proposent aujourd’hui de déposer des CV en ligne, non pas pour trouver un emploi mais plutôt l’amour. Les publications atteignent plus de 1000 j’aime pour les profils « les plus intéressants ».

 

Des possibilités inexistantes sans Internet

 Comment pouvons-nous expliquer un tel engouement pour l’amour en ligne chez les jeunes Algériens?  Pour Imane, 23 ans la réponse est catégorique. Internet lui offre des possibilités qu’elle n’a pas dans la vie. « Si un jeune homme venait me parler dans la rue, il peut devenir violent si je ne lui réponds. Alors que sur Facebook, je peux bloquer et HOP, je suis libérée. C’est une simple question de sécurité », sourit Imane.

 Aujourd’hui, un simple hello (nouvelle fonctionnalité de Facebook qui permet d’envoyer un signe à une personne avec laquelle vous ne vous êtes pas amis ) peut mener à une rencontre. Cette nouvelle option témoigne de la volonté de Facebook de remplacer des gestes de la vie quotidienne par des « i-gestes ». Symbolisé par un signe de la main, les gestes virtuels s’immiscent peu à peu dans notre paysage quotidien.

 Alors que deux personnes ont été arrêtées au mois de mars pour une bise dans le centre-ville d’Alger, les réseaux sociaux semblent offrir une liberté d’expression virtuelle, sans limite ni surveillance. Un monde « virtuel’ s’est créé, déjouant les règles de la société algérienne actuelle en inventant de nouveaux codes sociaux en ligne.

 Le nombre croissant de visites sur les sites dédiés à l’amour témoigne du besoin de cet espace numérique, présent chez les 20 millions de célibataires en Algérie. Les TIC comblent un vide, remplaçant les lieux de rencontres jugés insuffisants. Dans des villes de l’intérieur du pays où la mixité est difficile, les réseaux sociaux remplacent les lieux de rencontres potentiels.

Les nouvelles technologies ont offert un renouveau, un nouvel espace numérique et physique appartenant à tous. L’Algérie 2.0 est devenue un espace public virtuel où les connexions sont instantanées et illimitées.

Cet espace promet d’être investi par de jeunes e-entrepreneurs, dont les initiatives sont déjà nombreuses. De jour en jour, les pages meublent l’espace numérique algérien. Une véritable économique numérique s’est mise en place, mobilisant la vente du corps, du cœur, des idéaux et des espoirs. Des personnes qui « vendent du rêve » à défaut de payer un restaurant à leur bien-aimé. Dans une société où les gens se cachent pour s’aimer, l’amour virtuel n’est-il pas devenu plus facile à pratiquer

 

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