Les émeutes du logement ont repris à Alger, où des milliers de personnes s’entassent encore dans les terrasses et les caves d’immeubles. Témoignages de naufragés, qui ont perdu patience.
L’opération de relogement, entamée fin juin par la wilaya d’Alger, a été le détonateur d’un mouvement de colère qui s’est emparé des quartiers populaires algérois, dont les habitants ont évincés de cette opération. Vendredi dernier, les habitants de Diar El Mahçoul, une cité de 5.000 habitants, sont eux aussi sortis dans la rue pour revendiquer leur relogement. Las d’attendre, ils ont tenu à se faire entendre, et surtout à rappeler, selon les rapports de presse, « aux autorités les promesses non encore tenues de les reloger » dans des habitations décentes.
La cité de Diar El Mahçoul, dans la commune d’El Madania (ex-Clos Salembier), mitoyenne du monument du Martyr (Maqam Echahid) et de l’esplanade de Ryadh El Feth, avec ses magasins de luxe et ses salles de cinéma branché, a été construite en pleine guerre de libération nationale, c’est à dire dans la hâte, et sans les grandes installations de servitudes. Cela donne des logements empilés les uns sur les autres, des logis de petite dimension, sans aération, et, surtout, réalisés dans le plus pur style des logements «HBM» (habitat à bon marché) du début de l’industrialisation en France par l’architecte Pouillon. Ce type de logement, remplacé plus tard en France par le style « HLM » (habitat à loyer modéré), avec plus de commodités et d’espace, a malheureusement fleuri en Algérie à la fin des années 1950.
A Alger, outre Diar El Mahçoul, il y a d’autres sites similaires, portant de jolis noms, sans rapport avec le réel : Diar Echems (maison du soleil), Diar Essaada (maison du bonheur), dans la même commune d’El Madania, « Climat de France » et « Diar El Kef » (maison du ravin) dans la commune de Oued Koriche, la « cité Legembre » (Diar El Karmoud) toujours dans la même commune, la cité « Armaf » de la commune de Bab El Oued, près du cimetière d’Alger.
Colère des oubliés du relogement
Quelques jours avant les habitants de Diar El Mahçoul, leurs voisins de Diar Echems étaient sortis manifester leur ras le bol et revendiquer un logement décent. Une opération de relogement des habitants de cette cité a été effectuée en 2010, mais tous les occupants de ces immeubles, dont certains ne sont pas pourvus de WC et de douches, n’ont pas été relogés, selon le planning de la wilaya.
A Bab el Oued et à la Casbah d’Alger, c’est également la même revendication, le relogement, d’autant que le séisme du 1er août a encore fragilisé leurs habitations, selon des études techniques du CTC. Et puis, « il y a ce sentiment d’injustice », résume pour M.E un natif de la Casbah, fils et petit fils de Casbadjis. « Comment ne pas être indigné quand on voit que la wilaya d’Alger reloge les occupants de bidonvilles qui se sont installés avec la complicité passive des autorités, alors que nous, ici dans la vieille médina, nous sommes complètement ignorés, même si nos toits menacent à tout moment de s’écrouler sur nous ». Même sentiment d’injustice à Bab El-Oued, un quartier construit au début du siècle dernier, dont la plupart des immeubles menacent ruine, alors que d’autres sont très affectés par les différents séismes qui ont ébranlé la capitale ces dix dernières années.
Le peuple des caves et des terrasses
Hakim, retraité, est sans « voix ». « J’habite cet appartement moisi et décrépi par l’humidité à Bologhine, au-dessus des flots, avec ma femme et mes enfants. Faute d’espace, mes enfants dorment sous mon lit », raconte-t-il. Dans les quartiers humides de Bab El-Oued, que les inondations de novembre 2001 avaient en partie détruit, comme à la rue Rachid Kouache (ex-Léon Roche), la situation est pire. « Souvent, les appartements de deux à trois pièces sont occupés par au moins deux familles avec un minimum de 6-8 personnes », explique Hamid, qui a abandonné à jamais l’idée d’être relogé ailleurs, là « où il y a de l’espace, l’odeur du neuf».
A Bab El-Oued, Bologhine, la Casbah, Climat de France, La Beaucheraye, la Côte Rouge d’Hussein Dey, à El Madania et tant d’autres quartiers d’Alger dont Belouizdad, El Hamma ou Kouba, des dizaines de milliers de familles s’entassent en souffrant dans des immeubles insalubres, étroits, dépourvus de l’essentiel. Et puis, il y a « le peuple qui habite les caves, les terrasses d’immeubles, et même certaines cages d’escaliers», rappelle Hamid, qui a vu «les années passer à Bab El-Oued avec le charme des années d’insouciance, des soirées cinéma et des virées le week-end au stade de Bologhine pour les matchs épiques opposant le Mouloudia d’Alger à l’USMA». «Ce peuple des cages d’escaliers et des caves humides des immeubles d’Alger, même à la rue Didouche Mourad, ne peut pas attendre indéfiniment une solution à une grave crise urbaine mal gérée par les autorités, qui relogent de gens venus d’ailleurs», dit-il. «Jusqu’à quand cela va t-il durer? »
«Le Président m’a dit»
Interpellé par des journalistes lors d’une opération de relogement des habitants d’un bidonville d’El Hamiz, transférés à Larba, dans la wilaya de Blida, le wali d’Alger, M. Abdelkader Zoukh, a répondu: «le président Bouteflika m’a dit de reloger les habitants de bidonvilles, je les loge».
La wilaya d’Alger compte distribuer d’ici fin 2014 quelque 25.000 logements sociaux. Elle compte un programme de 84.000 logements qu’elle doit affecter à la lutte contre l’habitat précaire. 11.000 logements sociaux doivent être réceptionnés avant la fin 2014. «Toute la différence, pour nous, habitants des vieux quartiers d’Alger, c’est la véritable signification du mot précaire pour les responsables de la wilaya. Parle-t-on de bidonville ou de logement menaçant ruine?», s’interroge Zinedine, natif de la vieille Médina d’Alger, qui compterait un peu plus de 3,5 millions d’habitants. Dans la seule commune d’Alger centre, il y a au moins 1.800 immeubles en état de vétusté avancée. «La grogne urbaine, la crise du logement à Alger ne fait que commencer avec une politique de relogement aléatoire, par à-coups», résume un sociologue pour M.E.