« Les énergies renouvelables ne peuvent pas remplacer complètement les hydrocarbures» (Mourad Louadah) - Maghreb Emergent

« Les énergies renouvelables ne peuvent pas remplacer complètement les hydrocarbures» (Mourad Louadah)

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Mourad Louadah, directeur général d’Iris JC Industrial et membre et fondateur du Cluster Energie Solaire, nous parle, dans cet entretien, de la nouvelle feuille de route du gouvernement dans le secteur des énergies renouvelables.

Maghreb Emergent : pouvez-vous nous faire un état des lieux rapide du secteur des énergies renouvelables (EnRs) en Algérie ?

Mourad Louadah : La réponse à cette question comporte trois volets. Il s’agit des volets réglementaire, institutionnel et opérationnel. L’encadrement des EnRs a commencé en 2011, avec les arrêtés du fonds national des Energies Renouvelables (FNER) et la promulgation du Décret Exécutif 13-218 fixant les tarifs d’achat garanti et ses arrêtés ainsi que le DE 15-69 relatif à la garantie d’origine renouvelable de l’électricité devant être injectée sur le réseau national. En 2017, un nouveau décret exécutif 17-98 a été promulgué et a institué la procédure des appels d’offres pour les capacités d’énergies renouvelables  encouragé par l’Etat.

À ce titre, il est nécessaire de noter que cet encadrement a connu des changements profonds. Les réalisations seront donc affectées par ces changements.

Sur le plan institutionnel, les EnRs sont gérées par deux ministères (Energie et Environnement – Energies Renouvelables) et le Commissariat aux Energies Renouvelables et de l’Efficacité Energétique. Le programme de l’efficacité énergétique pour les collectivités locales, les écoles, les mosquées et les maisons isolées, est effectué par le ministère de l’Intérieur des collectivités locales et de l’aménagement du territoire.

Sur le plan des réalisations, les capacités installées jusqu’à maintenant avoisinent les 400 MW (réparties entre solaire PV, solaire CSP et éoliens). Toutes ces capacités (raccordées au réseau électrique) ont été réalisées par Sonelgaz ou sa filiale SKTM. Sur le hors réseau, certaines capacités de l’ordre de quelques MWs ont été concrétisées par des entreprises privées dans le secteur des collectivités locales, de l’industrie et de l’agriculture.

Par ailleurs, un fonds national des énergies renouvelables a été créé en 2010 et jumelé en 2015 avec celui de l’efficacité énergétique. Il prévoit l’encouragement de la production de l’électricité renouvelable à travers des subventions publiques.

Le gouvernement Djerrad, tout fraichement installé, a intégré une stratégie ambitieuse de développement des EnRs dans son plan quinquennal. Dans le même temps, le président de la République a récemment évoqué une « nécessité » de recourir à l’exploitation des ressources dites « non conventionnelles ». Pensez-vous que ces deux visions soient conciliables ?

Le nouveau gouvernement issu des conséquences des derniers évènements qu’a connu le pays (Hirak), a intégré une ambition plus large que les EnRs : la transition énergétique, inscrite dans le programme de campagne de l’actuel président de la République. Cet ambitieux programme répond aux multiples appels des experts du domaine de l’énergie en faveur d’une transition énergétique voulue, maitrisée et efficace. Je pense que l’inscription de cet axe comme action stratégique du pays traduit une prise de conscience salutaire du gouvernement algérien, tant nous avons accusé des retards dans ce domaine.

De son côté, le président a aussi souligné la nécessité de ne pas exclure d’autres ressources non conventionnelles. À mon avis, cette position traduit un principe et non une action, en ce sens qu’il voulait démontrer que la décision d’aller vers le non conventionnel, n’est pas encore prise mais qu’en même temps leur exclusion ne devrait pas être dogmatique. C’est une approche prudente, à mon sens, sachant que nous sommes actuellement au stade de R&D.

Concernant votre question, je souligne que les énergies renouvelables ne peuvent pas remplacer en totalité le rôle joué par les hydrocarbures (notamment le gaz), car le gaz est utilisé pour approvisionner la demande nationale (production de l’électricité des ménages et de l’industrie ou dans le cadre des activités économiques en général). À cet égard, les renouvelables peuvent jouer un grand rôle mais non se substituer au gaz. Ainsi, le développement des EnRs peut libérer des quantités de gaz à l’exportation ou allonger la durée de vie des réserves nationales de gaz (qui sont appelées à s’évider inéluctablement) mais pas les remplacer, je le répète encore une fois. (Le pic de la consommation de l’électricité se situe au lever et au coucher du soleil).

Au regard de cette interaction, les deux approches, à mon sens, peuvent être engagées mais dans un cadre cohérent de visibilité à long terme : celui de la transition énergétique.

Ce n’est pas la première fois que l’Etat souhaite miser sur les EnRs. En 2011, un plan adopté par le gouvernement et révisé en mai 2015, prévoyait déjà d’installer une puissance d’origine renouvelable de l’ordre de 22.000 MW à l’horizon 2030 pour le marché national, avec le maintien de l’option de l’exportation comme objectif stratégique. Pourquoi ce qui n’a pas marché hier marcherait aujourd’hui ?

Je pense qu’aujourd’hui, il y a une prise de conscience de plus en plus palpable chez les responsables concernés. L’activisme des intervenants nationaux (individuellement ou en groupe) a permis des échanges plus profonds et l’émergence d’une compréhension plus efficace. Enfin, le secteur des EnRs vient de profiter de la montée ou de l’arrivée de nouveaux responsables plus engagés en faveur des renouvelables.

D’autre part, l’évolution des marchés et des technologies a permis de répondre favorablement aux inquiétudes et aux préoccupations des différents intervenants nationaux qui avançaient sans certitudes auparavant.

Ce plan prévoyait d’intégrer une part de 37 % d’électricité d’origine renouvelable dans le mix énergétique à l’horizon 2030. Où en sommes-nous par rapport à cet objectif ? D’après vous, était-il réaliste ?

Au-delà de ces chiffres, ce qui était nécessaire c’était d’entamer la réalisation de capacités de production et d’évaluer cette réalisation pour en tirer des enseignements pour la poursuite ou non (et à quelle vitesse) du programme. Rappelez-vous, nous avions commencé avec les ‘Feed-in Tarrifs’ et nous avons basculé vers les appels d’offres. Ceci est à mon sens une adaptation de la démarche à certains changements opérés sur la scène internationale. Cependant, en règle générale, tous les pays font des évaluations de leurs programmes et révisent leur consistance et leurs objectifs en fonction de la pratique sur le terrain.

Par rapport à cet objectif, le gouvernement actuel est en train de revoir la consistance du programme et des horizons de sa réalisation. Et ceci a été intégré dans le plan d’action du gouvernement (15.000 MW à horizon 2035 dont 4000 MW pour 2024).

Aussi, à mon avis, quels que soient les objectifs et les chiffres globaux du nouveau programme, il faut insister sur l’accélération des réalisations prévues, et ce, dans le cadre d’une approche bien étudiée : des réglementations et des normes au standards internationaux des EnRS, ainsi qu’une préparation absolument nécessaire des cahiers des charges par des personnes compétentes,  pour le lancement des tenders (appels d’offres). 

Certains spécialistes pointent du doigt des des barrières à l’entrée aux investissements dans le segment des EnRs, tels que les subventions à l’électricité ou l’absence d’écosystème (PME) dédié au développement de ces ressources, réglementation inadéquate, etc. En tant qu’expert en la matière, soutenez-vous cette thèse ?

Les préoccupations soulevées par les spécialistes sont justes, mais à mon sens, il ne faut pas les exagérer. Les barrières mentionnées existent ici comme ailleurs. Maintenant, pour être efficace, il faut les reconnaître et les prendre en charge dans une démarche stratégique cohérente. 

Certaines de ces préoccupations, que je partage, sont liées au climat général des investissements et non pas seulement à celui des EnRs. Il faut donc agir sur l’amélioration du climat général des affaires ‘Doing business’, ce qui impactera positivement l’investissement dans le domaine des EnRs.

Par rapport à la règlementation et à sa supposée inadéquation, je pense que le fait de la changer en intégrant uniquement ce qui marche ailleurs, sans tenir compte des spécificités du domaine national, constitue le problème des réglementations nationales ; la règlementation des EnRs n’échappe pas à ce problème. Celle-ci est affectée par la règlementation nationale  d’investissement mais aussi, par les politiques sociales, économiques et énergétiques. Ainsi, si nous voulons agir à ce niveau, il faut travailler sur la cohérence globale et non pas d’une manière isolée.

Le Maroc a pensé un plan des EnRs qui s’est fixé l’objectif de fournir 42 % du courant électrique à partir de sources renouvelables (dont 2 GW de sources solaires) en 2020. Un pari presque réussi en partie via les stations solaires Noor l et Noor ll de Ourzazate (projet financé par le fonds saoudien ACWA). Selon vous, est-ce un modèle réplicable en    Algérie ?

Aucun modèle n’est réplicable ni en Algérie ni ailleurs, tant les spécificités des pays sont disparates. À titre d’exemple, tiré de votre question, ACWA power réalise beaucoup de projets dans plusieurs pays arabes. Combien a-t-elle investi en Arabie Saoudite? La réponse est éloquente. Donc, si un modèle a fonctionné dans un pays, cela ne veut pas dire qu’il va fonctionner dans d’autres. La meilleure solution à mon avis est de ne pas cibler uniquement les capacités comme objectifs, bien que ce soit un indicateur, mais de favoriser les concertations entre tous les intervenants et les parties prévenantes. Le domaine des IPP en renouvelables reste nouveau pour la majorité des acteurs. Il faut donc assurer un maximum de concertations et de collaborations, car l’échec, tout comme la réussite, va impacter tout le monde.

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