Les minorités sont les chairs à canon modernes des défaillances qui sévissent dans toute démocratie. C’est pour cela qu’il faudrait faire de leur protection un combat perpétuel afin de ne plus baigner dans le bagne qu’est la liberté dans laquelle nous vivons*.
»La liberté est un bagne aussi longtemps qu’un seul homme est asservi sur terre ». Cette phrase est signée d’Albert Camus. Elle nous rappelle ô combien la soif de la liberté que ressent l’être humain ne sera étanchée que lorsque l’intégralité des membres que comportent chacune des communautés en jouira.
Le projet de la liberté, formulé en ces termes, s’articule manifestement autour d’un projet collectif et inclusif. Nous sommes ou bien toutes et tous libres ou bien toutes et tous esclaves. La concession et le consentement, au même titre que le silence, deviennent irréfutablement synonymes de complicité ; chaque fois qu’une injustice a comme seul rempart le silence, nous devenons au moins complices et tout au plus, coupables. La ligne entre les deux est mince, voire frivole.
Puisque l’on parle de liberté au sein d’une communauté inclusive, pourquoi ne pas cibler davantage ceux qui sont mis à l’écart de cette même communauté ? Je parle des communautés que l’on a volontairement minorisées, pour ne pas dire qu’elles sont minoritaires en soi.
La notion de l’individualité, prise en termes de liberté, ne saurait être mieux mesurée que sous l’angle de minorités individualisées au sein d’un même groupe considéré d’emblée comme minoritaire. Celles-ci sont en effet considérées comme désavantagées et moins privilégiées que les autres groupes, et, a fortiori, plus exposées à subir le racisme systémique – notamment à l’embauche – au sein d’une même dynamique communautaire et sociétale.
À ce titre, la notion de pays civilisé ne saurait être mieux abordée et appliquée qu’à travers l’analyse élaborée de la manière dont cette même civilisation traite untel groupe minoritaire ou un autre en son propre sein, puisque ce groupe minoritaire est, de manière analytique, désavantagé.
Les conclusions sont effarantes. »La liberté, c’est l’enfer, quand elle tombe sur un cœur prisonnier », disait Renaud.
Cas pratique.
Ce qui s’est produit il y a quelques semaines, au moment où ces lignes ont été écrites, la mort en Égypte d’au moins 24 chrétiens coptes, lâchement assassinés par des assaillants armés, tandis qu’ils se rendaient en bus vers un monastère.
Tout un chacun sait que les chrétiens coptes sont une minorité en Égypte – environ 10% de la population. Encore une fois, le lourd tribut est payé par une autre minorité qui ne commettait en rien un quelconque affront, à part, semble-t-il, celui d’exister.
Bien entendu, il ne s’agit pas de condamner quiconque sur ce qui s’est passé en Égypte. Il s’agit, ici, seulement de révéler que ceux et celles qui payent un tribut pour la décadence ou même la défaillance de tout pays dit démocratique, seront toujours les minorités.
Celles-ci, que l’on minorise davantage par la manière dont elles sont traitées, occupent en réalité une place centrale dans le baromètre qui distingue les nations civilisées de celles qui ne le sont pas. Réprimer et minoriser une minorité au même titre que l’ostraciser, c’est tuer la démocratie dans ses racines. Regardez comment sont traitées les minorités et vous saurez à quel type de nation vous avez à faire.
Être une minorité, est-ce donc plus dangereux qu’avoir le cancer ? Dans certains pays, aujourd’hui, cela est passible de mort. Dans d’autres pays – notamment les pays occidentaux – il y a bien entendu ce qu’on nomme grossièrement »des acquis » : au Canada par exemple, le Premier ministre Justin Trudeau a participé à la dernière Gay Pride qui a eu lieu à Montréal. Aucun mort à déplorer, encore moins de blessé. Seulement un message : au Canada, un membre de la communauté LGBT est avant tout un être humain.
Par ailleurs, il reste que ces minorités sexuelles sont toujours sujettes aux agressions et aux lynchages. Ceci est assez représentatif du statut qu’a toute minorité dans tout pays dans le monde : ces minorités sont en dangers perpétuels. C’est pour cela que le terme »acquis » est si désuet. Il désigne en effet quelque chose dont nous n’avons plus à nous soucier. Or, comme nous l’avons vu, nous ne sommes jamais à l’abri de voir une minorité être réprimée au point de douter de l’humanisme de certains pays. Surtout lorsque l’on sait qu’elles sont toujours dans les premières tranchées.
Il suffit que l’intégrité d’un seul être, au nom de son orientation atypique – atypique dans le sens où elle ne concorde pas avec celle de la majorité, et ce dans n’importe quelle sphère touchant la spécificité de l’individu dans la collectivité et dont le cadre est imposé par cette même majorité – soit bafouée au nom de ce même cadre pour que toute démocratie s’amalgame avec une tyrannie totalitaire.
On parle ici d’un diktat, de tyrannie de la majorité, qui fixe aussi bien les lignes morales que les lignes juridiques d’une même nation. Ce même diktat peut se décliner sous de multiples aversions. Il peut aussi bien toucher la sexualité et le rôle social que le choix politique, comme nous l’avons vu.
L’avantage de mettre l’emphase sur la spécificité et l’individualité des individus lorsqu’il s’agit de déterminer le degré du progrès atteint ou qui reste à atteindre dans toute nation, c’est que les premières lettres en majuscules qui ornent les grands idéaux qu’on juxtapose à ces mêmes nations, disparaissent : ils deviennent ainsi de simples idoles dont les pieds, en argile, se fragmentent et se fractionnent devant les individus entassés dans les oubliettes des sociétés, c’est-à-dire dans l’ombre de ces mêmes idoles, désormais déchus.
Les minorités sont les chairs à canon modernes des défaillances qui sévissent dans toute démocratie. C’est pour cela qu’il faudrait faire de leur protection un combat perpétuel afin de ne plus baigner dans le bagne qu’est la liberté dans laquelle nous vivons.
(*) Cet article a été publié initialement sur le blog de l’auteur sur le Huffington Post Algérie. Son auteur est un Algérien établi au Canada.
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