La gestion des réserves de changes a fait un retour discret, mais remarqué par les spécialistes, dans le débat public à l’occasion des élections présidentielles.
C’est en apparence un paradoxe : alors que la balance des paiements n’a enregistré qu’un excédent squelettique de 130 millions de dollars en 2013, les réserves de changes sont quand même en progression de plus de 3 milliards de dollars. Tout juste 194 milliards de dollars fin 2013 contre 190,7 un an plus tôt. D’où viennent donc ces 3 milliards ? “Effet de valorisation”, annonce de façon sibylline le dernier rapport de la Banque d’Algérie. De quoi s’agit-il donc ? Explications d’un cadre de la Banque centrale : “Il y a encore une dizaine d’années la quasi-totalité des réserves en devises de l’Algérie étaient libellées en dollars. Au cours de la décennie écoulée, on a diversifié les placements qui sont maintenant à peu près à égalité en dollars et en euros (environ 45% pour chacune des 2 monnaies, le reste étant libellé en yen et en Livre sterling). Comme la valeur de l’euro a grimpé d’un peu plus de 3% sur les marchés des changes internationaux en 2013, nos réserves de changes exprimées en dollars ont augmenté de plus de 3 milliards de dollars sans pratiquement aucun flux de réserves en provenance de la balance des paiements qui n’a dégagé aucun excédent ”. Enfin une bonne nouvelle et un effet positif de la “gestion prudente” des réserves dont se prévaut régulièrement la villa Joly. Mais en grande partie aussi une illusion parce que symétriquement et pour les mêmes raisons nos réserves de changes exprimées en euros ont en réalité diminué en 2013. Au fait, faut-il les compter en dollars ou en euros ? Pour notre interlocuteur : « En tous cas nos principaux partenaires commerciaux sont en zone euro et les réserves de change se mesure aussi en mois d’importation .Suivant ce dernier critère leur valeur correspond actuellement à 3 ans et 3 mois d’importation de notre pays » .
Le retour de l’option du Fonds souverain
L’option évoquée périodiquement d’un investissement des réserves de changes nationales dans des actifs privés à travers la création d’un Fonds souverain a refait surface à l’occasion de la campagne électorale pour la présidentielle. C’est l’un des “forts en économie” de la précampagne qui le soulignait le premier. Pour Kamel Benkoussa, “au déclenchement de la crise, le placement d’une partie de nos réserves de change en bons du Trésor américain était une bonne stratégie, car très peu risquée. Mais il est profondément regrettable de ne pas avoir profité de cette crise pour industrialiser l’Algérie. Nous aurions pu récupérer un retard technologique considérable et diversifier notre économie. Nombreux sont les pays qui ont saisi cette opportunité pour prendre le contrôle d’entreprises étrangères stratégiques pour leur développement économique. D’ailleurs, entre 2007 et 2011, lors de l’effondrement des Bourses, on a constaté que le montant en dollar des actifs sous gestion des fonds souverains au niveau mondial n’a cessé d’augmenter”.
Ce point de vue est loin d’être isolé et on peut rappeler que dans un passé récent il a été défendu par de très nombreux experts nationaux. Pour Mourad Preure par exemple, “à partir du moment où la crise économique et celle des dettes souveraines perdurent, cela fait apparaître des opportunités d’acquisitions d’actifs industriels qui pourraient créer des synergies avec le développement industriel de l’Algérie”.
Le programme du candidat Benflis qui manifeste une vraie ouverture vis-à-vis de beaucoup des propositions formulées dans le débat économique interne au cours des dernières années récupère également la proposition de création d’ « Fonds Souverain International (FSI) qui sera mis en place et alimenté par une partie des recettes d’exportation de la Sonatrach. La majorité des actifs du FSI sera investie dans les marchés financiers internationaux et des obligations d’Etat, selon les normes de risques des meilleurs fonds souverains existants ». Une partie sera également consacrée à l’acquisition d’actifs industriels internationaux dans le but d’accélérer la modernisation de l’industrie algérienne.
Elles permettent de « tenir 5 ans » selon Ouyahia
Pour beaucoup de spécialistes, la situation des réserves de change nationales risque de façon croissante de s’inscrire, au cours des prochaines années, dans un contexte de réduction des marges de manœuvre financières de l’État algérien. Quelle serait la réaction des autorités algériennes dans l’hypothèse, évoquée aujourd’hui dans de nombreux cercles économiques (la dernière en date à évoquer cette problématique, après beaucoup d’autres, est l’analyse de la Commission européenne rendue publique la semaine dernière), d’une chute importante des cours pétroliers au cours des prochaines années ? Face à des recettes d’hydrocarbures qui pourraient courir le risque d’être divisées par 2, si on en croit les pronostics formulés ici et là, les autorités algériennes se retrouvent devant différentes options. Un sévère programme d’austérité basé sur une réduction drastique des importations ou une consommation accélérée des réserves de changes du pays. Plus vraisemblablement, ce sera une combinaison de ces deux options qui serait mise en œuvre. Pour se convaincre que l’on n’est pas vraiment dans la fiction, il suffit de se rappeler qu’en 2009, dans le sillage de la crise financière internationale, les cours moyens du baril de brut algérien sont tombés à 62 dollars. La Banque d’Algérie avait évoqué une “balance des paiements en état de choc” alors que le Premier ministre de l’époque, Ahmed Ouyahia affirmait aux dépurés que “les réserves de changes du pays peuvent nous permettent de tenir 5 ans”.