Lila Chabane est chercheuse en économie des transports et responsable d’une équipe de recherche sur les dynamiques urbaines au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement –CREAD- de Bouzaréah à Alger. Elle a effectué plusieurs enquêtes de terrain ayant pour objectif de mieux connaitre l’organisation d’un service de transport public de voyageurs par bus et le fonctionnement actuel des opérateurs privés du transport urbain de voyageurs. Elle nous en parle dans cet entretien.
Que pensez-vous de la fusion entre les deux ministères du transport et des travaux publics dans la perspective d’amélioration des prestations du transport ?
La fusion des deux départements ministériels est une bonne chose dans la mesure où il y aura une coordination et une cohérence des politiques publiques en matière de satisfaction des besoins en déplacement des personnes et des marchandises et de construction d’infrastructures de base dans une optique de faciliter l’accessibilité physique, la fluidité de la circulation et de réaliser des gains énergétiques et économiques, mais cette fusion au niveau central restera insuffisante si elle n’est pas répertoriée au niveau institutionnel local et au niveau des collectivités locales.
Quelles sont les conclusions de votre étude à propos de la satisfaction de la clientèle ?
Nos enquêtes de terrain avaient pour objectifs de mieux connaitre l’organisation d’un service de transport public de voyageurs par bus et le fonctionnement actuel des opérateurs privés du transport urbain de voyageurs exerçant dans la ville d’Alger. La dérèglementation de l’activité en 1988 a eu des conséquences positives en matière de prise en charge d’une demande importante en déplacement, mais aussi des conséquences négatives s’agissant d’une offre en transport de moindre qualité, de la dégradation de la qualité du service, de l’absence de professionnalisme et de la non-conformité du type de véhicule exploité aux normes et enfin aux mauvaises conditions de sécurité. Entre 1988 à 2001 le parc véhicule en exploitation dans le service de transport collectif de voyageurs par bus a été atomisé (1véhicule/opérateur), de 2001 à 2008 ce parc véhicule a connu une évolution très importante mais conjuguée avec une qualité de service médiocre et une anarchie dans l’organisation de l’activité sur le terrain. Aussi, l’organisation du secteur étant caractérisée par le morcellement des compétences entre plusieurs ministères et institutions locales conduisant à des chevauchements de compétences, de prérogatives et de disparités dans les objectifs à atteindre pour le développement du secteur.
Le non respect des cahiers des charges par les transporteurs cause énormément de désagréments, Quelles sont vos propositions pour mettre fin à l’anarchie?
La loi 01-13 du 7 août 2001 portant orientation et organisation des transports terrestres a été prise dans l’objectif d’encadrer l’activité, de définir les conditions de capacité professionnelle de l’exploitant, de la capacité du véhicule. Malheureusement les textes d’application de cette loi ne sont toujours pas promulgués pour concrétiser les réformes structurelles du secteur. Aussi, malgré l’instauration du contrôle technique automobile le problème de vétusté du parc véhicule des opérateurs privés n’a pas été réglé, il n’y a qu’à voir les véhicules qui circulent sur la route pour le constater. Le manque de la qualité des services offerts par les véhicules de transport collectifs de voyageurs ou par les infrastructures d’accueil (gares urbaines) est imputé au manque d’opérations régulières de contrôle et d’inspection basées sur la sensibilisation puis sur la répression, notamment en ce qui concerne le respect d’horaires, le respect d’itinéraires, l’hygiène, la sécurité des personnes etc.
Globalement, que préconisez vous pour améliorer l’action des pouvoirs publics en matière de transport ?
Actuellement, l’administration locale et les collectivités locales n’ont pas le pouvoir de définir les politiques de transport et de disposer des budgets (une fiscalité locale). Nous proposons comme solution primordiale de revoir le mode de gouvernance du secteur des transports en vigueur. L’approche sectorielle a montré ses limites, nous avons besoin de faire appel à des approches globales transversales qui prennent en considération l’ensemble des services publics locaux. La mise en pratique réelle de cette disposition nécessite une décentralisation des prérogatives et des responsabilités dans un cadre légal et réglementaire défini au niveau national. S’agissant de la tarification des transports collectifs, il y a une absence d’harmonisation au niveau des tarifs des différents modes de transport urbain et suburbain de voyageurs à travers des mécanismes appropriés. Cette défaillance rend les transports publics moins attractifs. Il y a lieu aussi de mettre en pratique, par un texte réglementaire d’application, l’exigence au préalable de l’exploitation d’un service de transport collectif de voyageurs d’une qualification de l’exploitant et du chauffeur qu’il fait travailler en assurant une offre de formation qualifiante pour les candidats à l’exploitation de ce service pour palier au problème de manque de professionnalisme. Enfin, à notre avis il faut imposer le regroupement des opérateurs privés en association professionnelle ou en entreprise de taille suffisante capable de répondre aux missions de service public, surtout en matière de transport public.