Deux semaines après son triomphe au prix Goncourt, la plus prestigieuse distinction littéraire dans l’espace francophone, l’écrivain franco-algérien, Kamel Daoud, continue de susciter la polémique en Algérie.
Loin de s’estomper, la polémique a repris de plus belle après la sortie d’une femme, invitée par une télévision privée, accusant l’auteur de « Houris » d’avoir dévoilé sa propre histoire. Selon cette femme, la trame du roman est en fait son histoire à elle et qu’elle n’a rien de fictionnel, comme le prétend l’auteur.
D’après ses témoignages, l’épouse de Kamel Daoud, psychologue de formation, chargée du suivi de cette victime, a violé le secret médical en racontant son drame à son époux, lequel l’a consigné dans son roman. Il s’agit donc de faits réels que la femme a tus de longues années durant. Mais il ne fallait pas plus pour que les internautes se déchainent pour contester à Kamel Daoud son prix et dénoncer une « imposture ».
« Houris, ce Goncourt de KD et ce qu’il cache de l’imposture… Regardez et jugez par vous-même, notamment de la considération qu’il peut avoir pour la femme… A en pleurer plutôt qu’à en rire », a écrit un internaute.
« Violer l’intimité d’une personne est condamnable, mais lorsqu’il s’agit d’une jeune victime du terrorisme (6 ans à l’époque) cela devient immoral et impardonnable. Honte à Kamel Daoud et à sa femme psychiatre qui viole le secret médical à des fins lucratives ! » soutient un autre.
Certains sont allés jusqu’à réclamer à la maison d’édition Gallimard, interdite du Sila, faut-il le rappeler, de lui retirer le prix. « C’est une dérive et hécatombe littéraire, éthique professionnelle et humaine de Kamel Daoud et sa femme. Si c’est vrai, Goncourt lui doit être retiré, sa femme doit être poursuivie et radiée de sa profession » ; a écrit le journaliste, Khellaf Benhada.
Déjà au lendemain de sa consécration, Kamel Daoud a eu droit à une avalanche de critiques de la part de nombreux algériens, allant jusqu’à le traiter de « traitre ». Beaucoup, et souvent sans avoir lu son œuvre, lui reprochent ses positions contre la Palestine, l’islamisme, le Hirak ou encore l’immigration. Des positions proches, pour certains, des mouvements de l’extrême droite.
Très peu de l’avis de nombreux observateurs se sont livrés à la critique littéraire ou à l’engagement d’un débat serein. La violence des propos et parfois de la haine questionnent sur le tort d’un écrivain dont les positions n’engagent pourtant que lui-même, qui a choisi la nationalité française depuis quelques années et dont la production littéraire ne touche qu’un segment de la société de plus en plus réduit en raison du recul et de la dégradation de la langue française.
Des questions en suspens
Que cache alors cette levée de boucliers ? La sortie de la femme dont personne n’a entendu parler jusque-là est-elle innocente ? Cherche-ton à discréditer l’œuvre de peur de devoir regarder la décennie noire qu’on a voulu taire à jamais à travers la charte pour la réconciliation nationale ? Beaucoup de questions en suspens sans réponse faute d’espaces de liberté et de débat.
D’ailleurs, beaucoup, y compris par ceux qui ne partagent pas ses opinions, se sont étonnés de la violence des propos qui a ciblé Kamel Daoud. « J’ai pu faire part de désaccords avec Kamel Daoud. Je l’ai écrit, je l’assume et le réitère. Mais je suis profondément dégoutté par la haine délirante et la mauvaise joie de meute qui se déverse contre lui », a écrit le professeur Ali Bensaad. « Ce n’est pas cela le débat que je veux dans mon pays. La haine est un combustible dont la déflagration finit par emporter tout le monde. Je condamne sans réserve » a-t-il ajouté.
De son côté, le journaliste Arezki Ait Larbi, a écrit sur son compte Facebook que « comme tout roman, celui de Kamel Daoud est discutable et doit être discuté dans la sérénité. Encore faut-il le lire avant de le juger ». « Comme pour tout personnage public, les positions politiques de l’écrivain relèvent du débat contradictoire, avec des arguments et non des crachats et des appels au meurtre. Le lynchage en cours de l’écrivain (tout comme celui qui avait ciblé Amira Bouraoui l’année dernière) sent l’opération commanditée. Le patriotisme tarifé a encore de nombreux adeptes parmi »l’élite » » a ajouté le journaliste et propriétaire de la maison d’édition KOUKOU.
Confinée en Algérie, la polémique ne semble pas susciter d’intérêt outre méditerrané. Et l’auteur lui-même se confine dans le silence, refusant visiblement de prêter le flanc à ce qui s’apparente à une polémique algéro-algérienne qui finira un jour par s’estomper pour laisser place à une autre à venir. Sans que la littérature, ni la démocratie ne gagnent en espaces.