Pour la première fois, la Loi de finances 2017 a été établie sur un cours réaliste, sur celui du marché ; à savoir 50 dollars le baril.
1. Comment situer la loi de finances de l’Algérie – 2017
Pour la première fois, la Loi de finances 2017 a été établie sur un cours réaliste, sur celui du marché ; à savoir 50 dollars le baril, alors que par le passé la base de calcul était 19 dollars, puis 37 dollars lorsque le baril a fluctué entre 100 et 115 dollars. Le ministre des Finances algérien a rappelé que le gouvernement compte sur une augmentation des recettes hors hydrocarbures de 11% suite à la hausse de la base fiscale et à l’amélioration du recouvrement, Mais n’oublions pas que le dérapage du dinar pour ne pas dire dévaluation tant par rapport au dollar qui gonfle la fiscalité pétrolière (vente en dollars) et par rapport à l’euro la fiscalité ordinaire, les taxes à la douane s’appliquant à un dinar dévalué. Avec un cours de 75 dinars un dollar, et 85 dinars un euro, le déficit serait plus important que l’officiel basé sur 108 dinars un dollar. Aussi faut-il interpréter cette loi des finances avec toutes les précautions pour éviter des surprises. La loi de finances 2017 n’est qu’un document comptable relevant de la finance publique, retraçant les dépenses et les recettes. Le projet de loi de finances fait une projection sur les trois prochaines années sur la base d’un prix de référence du baril à 50 dollars en 2017, 55 en 2018 et 60 dollars le baril en 2019 avec un cours de la devise nationale de 108 dinars le dollar et une inflation moyenne de 4%. Le taux de croissance serait de 3,9% en 2017, de 3,6% en 2018 et de 4,3% en 2019. Dans son rapport du 11 janvier 2017 de la banque mondiale (BM) , les prévisions de croissance pour l’Algérie sont en baisse, passant de 3,6% en 2016 à 2,9% en 2017 , 2,6% en 2018 et 2,8% en 2019, en raison du recul des dépenses dans les infrastructures, principal moteur de la croissance et du climat des affaires.
Aussi, sans réformes structurelles profondes, supposant un minimum de consensus politique et social et une visibilité et cohérence dans la démarche des réformes, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Plus on diffère les réformes, plus on épuisera les réserves de changes avec le risque du retour au FMI 2019/2020. Pourtant soyons réaliste. Tout ce qui a été réalisé entre 2000/2016 n’est pas totalement négatif. Beaucoup de réalisations après une décennie sanglante mais beaucoup d‘erreurs qu’il s’agit de corriger impérativement. J’avais dirigé avec plus de 20 experts pour le gouvernement, fin 2013 toujours à titre d’expert indépendant, un important dossier, suivi de bon nombre de recommandations entre 2014/2020 en insistant sur l’urgence de revoir l’actuelle politique socio-économique., favoriser l’économie de la connaissance pilier du développement, tenir compte des nouvelles mutations mondiales, loin de la vision matérielle des années 1970.
2. L’Algérie mettra-elle fin aux subventions ?
Je tiens à souligner au préalable que dans une étude réalisée fin 2013 pour l’Institut Français des Relations Internationales IFRI sur la sphère informelle au Maghreb, concernant justement les prix, existent des prix administrés et des prix libres répondant à la loi de l’offre et de la demande. Pour les prix libres, et cela n’est pas propre à l’Algérie mais à l’ensemble du Maghreb et de l’Afrique dont la superficie économique est dominée à plus de 50% par la sphère informelle ,contrôlant les circuits de distribution, les commerçants s’alignent pour écouler leurs marchandises sur la valeur du taux de change du marché parallèle d’où des amplifications de prix qui pénalisent les couches les plus modestes. Cela rejoint des aspects économiques et politiques de régulation d’ensemble qui ont un impact sur le niveau de production et de productivité. Pour le cas Algérie, malgré les contraintes financières pour 2017, 1.630,8 mds DA seront alloués aux transferts sociaux (23,7% du budget de l’année 2017) répartis ainsi. 413,5 mds DA au soutien aux familles, essentiellement à travers la subvention des prix des produits de base (céréales, lait, sucre et huiles alimentaires), 330,2 mds DA au soutien à la santé et 305 mds DA aux programmes nationaux de logement.
3. L’Algérie ne risque-elle pas des tensions sociales avec cette loi de finances ?
Non, contrairement à certaines affirmations, les tensions existent comme dans tous les pays du monde. Mais il s ‘agit de gérer ces situations, par un langage de vérité grâce à une nouvelle stratégie sociale et de nouveaux réseaux. Aussi il n y aura pas d’implosion sociale à court terme, devant penser pour les éviter horizon 2018/2020 à de profondes réformes structurelles douloureuses impliquant une profonde cohésion sociale et ce pour quatre raisons.
Premièrement, l’Algérie n’est pas dans la situation de 1986, où les réserves de change étaient presque inexistantes avec un endettement qui commençait à devenir pesant. Pour les réserves de change le premier ministre a annoncé fin 2016 114 milliards de dollars et le FMI 112 milliards de dollars inclus les 5 milliards de dollars empruntés au FMI et comme tous les pays les dépôts de 3,5 de droits de tirages spéciaux DTS d’environ 3,5 milliards de dollars sans compter les 112 tonnes d’or et une dette extérieure inférieure à 4 milliards de dollars, ces réserves de change, si elles sont bien utilisées, peuvent à la fois servir de tampon social.
Deuxièmement, vu la crise du logement, le regroupement de la cellule familiale concerne une grande fraction de la population et les charges sont payées grâce au revenu familial global. Mais il faut faire attention : résoudre la crise du logement sans relancer la machine économique prépare à terme l’explosion sociale.
Troisièmement, grâce à leur travail mais également aux subventions étatiques, les familles algériennes ont accumulé une épargne sous différentes formes. Je vous annonce qu’une réflexion est en cours, pas pour le court terme cela suppose un système d’information performant au temps réel, est mené conjointement entre le premier ministère et celui des finances pour qu’à l’avenir ces subventions soient ciblées pour les catégories les plus défavorisées et les secteurs que l’on veut encourager.
Quatrièmement, l’Etat, malgré des tensions budgétaires qui iront en s’accroissant, les dispositions de la loi de finances de 2017, continue à subventionner les principaux produits de première nécessité : il n’est pas question de toucher aux produits essentiels.
4.-Question et l’avenir ?
Quitte à me répéter, la solution réside pas seulement pour l’Algérie mais pour l’ensemble du Maghreb et du continent Afrique en des réformes structurelles, nécessitant une nouvelle gouvernance tant locale que centrale et une large cohésion sociale, si nos pays veulent rendre attractif pour les investissements productifs nationaux et étrangers. Le temps se compte et les contraintes tant internes qu’internationales sont là et l’urgence est donc de favoriser le développement interne et éviter ces exodes massifs vers l’étranger.Par ailleurs,la sécurité est un enjeu majeur dans notre région car existe un lien dialectique entre sécurité et développement. Avec le terrorisme à nos frontières, une entente régionale entre les pays du Maghreb, les riverains africains et une entente internationale est vitale pour sécuriser à la fois nos frontières et nos pays et lutter contre les trafics d’armes et de drogue qui financent en partie le terrorisme. Toute déstabilisation de l’Algérie, comme j’ai eu à le rappeler récemment le 28 décembre 2016 au quotidien American Herald Tribune, « Prof. Abderrahmane Mebtoul: Any Destabilization of Algeria would have Geo-strategic Repercussions on all the Mediterranean and African Space » aurait des répercussions régionales dont sur le Maroc, sur toute la région méditerranéenne et saharienne. D’où l’importance de l’intégration du Maghreb et d’une manière générale l’Afrique du Nord intégration à laquelle je suis particulièrement attachée depuis des décennies, objectifs stratégiques contenues depuis les mouvements de libération nationale et à l’indépendance dans toutes les constituions algériennes et de sous intégrations régionales en Afrique afin de favoriser le développement car souvent le terrorisme se nourrit de la misère.
Comme j’ai eu à le démonter dans deux ouvrages collectifs assisté de 36 experts maghrébins et européens sous ma direction celle de mon ami Camille Sari de la Sorbonne, édités à Paris Harmattan (« le Maghreb face aux enjeux géostratégiques 2014/2015 deux tomes 1080 pages) l’avenir du Maghreb, pont avec l’Europe, est en Afrique et son intégration est vitale si l’on veut éviter sa marginalisation horizon 2020/2030. Il est suicidaire tant pour l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie de faire cavalier seul. Inspirons nous des expériences réussies de la coopération économique entre l’Allemagne et la France du programme de Schuman au lendemain de la seconde guerre mondiales, la résolution des problèmes politiques suivra nécessairement. Dans ce cadre, l’Algérie, le Maghreb et l’Afrique doivent s’adapter à la 4ème révolution économique qui s’annonce imminente entre 2020/2030 fondée sur le numérique, la robotique, d’autres segments nouveaux dont les industries écologiques et dans ce cadre je salue les résolutions en espérant des solutions concrètes de la COP21 à Paris et celle de la COP22 à Marrakech , qui va révolutionner le management du politique, des administrations , des entreprises et notre comportement en tant que citoyens .
(*) Professeur des Universités, expert international (Algérie)
NB : Interview du Dr Abderrahmane MEBTOUL -Invité de la semaine de l’Eco par Medi1/Radio (Radio méditerranéenne Internationale) Samedi 14 janvier 2017