La dissipation du risque politique en France avec l’élection d’Emmanuel Macron pourrait conduire les investisseurs à s’intéresser à nouveau aux fondamentaux de l’économie, ce qui ne serait pas nécessairement favorable à la dette souveraine de la France, estime un expert.
L’euro a franchi le seuil de 1,10 dollar pour la première fois en six mois sur les marchés asiatiques et les actifs risqués devraient poursuivre leur rallye à l’ouverture en Europe après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française, estiment économistes et gérants.
Ils soulignent toutefois qu’une bonne partie du rattrapage des actifs financiers français et européens pénalisés par la crainte d’une montée du populisme en France a été réalisée entre les deux tours du scrutin présidentiel alors que les sondages donnaient le candidat d’En Marche! largement vainqueur.
Emmanuel Macron a été élu dimanche président de la République en s’imposant avec plus de 66% des voix face à la candidate d’extrême droite Marine Le Pen, à l’issue d’un second tour marqué par une forte abstention.
L’euro a progressé d’environ 0,2% dans les premières transactions en Asie, une fois les premières estimations sur l’issue du scrutin connues pour atteindre 1,1023 dollars, au plus haut depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des Etat-Unis qui avait entraîné une appréciation de la devise américaine.
La devise européenne a gagné jusqu’à 0,5% contre le yen, qui jouit d’un statut de valeur refuge, pour inscrire un plus haut d’un an à 124,58 yens.
Les marchés respirent
« La victoire d’Emmanuel Macron permet aux marchés de respirer et de mettre temporairement de côté la politique européenne », a dit Bill Street, directeur des investissements pour la zone Europe-Moyen-Orient-Afrique de la société de gestion State Street Global Advisors. « Ce résultat, auquel s’ajoute l’accord préliminaire sur la dette grecque conclu la semaine dernière, suffira à soutenir la reprise des marchés à court terme. A plus longue échéance, on ne peut s’attendre qu’à des développements positifs, quel que soit le scénario envisagé pour la présidence Macron. »
La devise européenne avait déjà fortement progressé après le premier tour de l’élection présidentielle française qui avait vu le candidat pro-européen d’En Marche! arriver en tête devant Marine Le Pen, le 23 avril dernier. L’euro s’est apprécié de 2,50% contre le dollar entre le 21 avril et le 5 mai. Sur la même période, les actifs financiers français ont aussi bénéficié de la disparition du risque d’une sortie de la France de l’Union européenne et de l’euro lié à l’éventualité d’une victoire de Marine Le Pen.
Au fur et à mesure des sondages d’intentions de vote pour le second tour confirmant la large avance d’Emmanuel Macron, la Bourse de Paris a accru ses gains pour progresser de près de 7,4% entre les deux tours contre une progression de 6,35% de l’indice Eurostoxx 50 des valeurs de la zone euro.
L’écart entre le taux de rendement des obligations françaises et allemandes à 10 ans, mesure de la prime de risque exigée par les investisseurs pour détenir la dette publique française, a été divisé par deux, passant d’un plus haut de près de 80 points à moins de 40 points de base vendredi.
« Je ne suis pas certain qu’il y aura une réaction très importante parce que l’essentiel de la prime de risque a été résorbée après le premier tour », a dit Paul Lambert, gérant du fonds Absolute Currency chez Insight. « Je m’attends à une réaction mitigée, un petit renforcement supplémentaire de l’euro, un petit resserrement supplémentaire des écarts de rendements obligataires entre la France et l’Allemagne, mais je n’anticipe pas un mouvement très important », a-t-il ajouté.
L’ATTENTION VA SE TOURNER VERS LA BCE
Bill Street et d’autres investisseurs ont dit que l’attention des marchés allait désormais se tourner vers la Banque centrale européenne et la normalisation de sa politique monétaire, qui devrait soutenir l’euro sur la durée.
« Avec la dissipation du risque ‘existentiel’ des élections françaises et la perspective d’une Banque centrale européenne graduellement moins accommodante, la monnaie unique semble appelée à se renforcer, en particulier contre le dollar américain si la Fed doit revoir ses ambitions à la baisse en raison d’une économie américaine moins dynamique qu’attendu », estime Adrien Pichoud, économiste chez SYZ Asset Management.
Plusieurs investisseurs ont aussi souligné que les marchés resteront attentifs aux résultats des élections législatives et à la capacité d’Emmanuel Macron de se doter d’une majorité parlementaire lui permettant de mettre en œuvre son programme. « L’absence de soutien parlementaire en faveur de Macron pourrait constituer désormais son principal défi », a dit Peter Hensman, straégiste chez BNY Mellon IM.
« Après avoir lancé son propre mouvement En Marche!, il ne dispose pas à ce jour de députés à l’Assemblée qui pourraient mener son programme à bien, ce qui fait des législatives prévues les 11 et 18 juin un moment décisif pour la suite politique et pour le devenir de son projet. »Les élections législatives apparaissent toutefois comme un moindre enjeu pour les marchés.
La volatilité implicite à deux mois sur l’euro/dollar, calculée sur la base des prix des options dont l’échéance intègre les deux tours des élections législatives, est tombée à ses plus bas niveaux depuis début octobre la semaine dernière après avoir atteint un pic de neuf mois avant le premier tour de l’élection présidentielle.
LA DETTE FRANÇAISE SOUS PRESSION ?
La dissipation du risque politique pourrait aussi conduire les investisseurs à s’intéresser à nouveau aux fondamentaux de l’économie, ce qui ne serait pas nécessairement favorable à la dette souveraine de la France, a toutefois prévenu David Zahn, responsable de la gestion obligataire pour l’Europe de Franklin Templeton. « La victoire très attendue de Macron devrait être reçue positivement par les marchés, au moins à court terme », estime-t-il.
David Zahn a souligné qu’il y avait assez peu d’éléments dans le programme d’Emmanuel Macron montrant qu’il pourrait réduire significativement le déficit public de la France et maîtriser le niveau élevé de l’endettement public. « Cela n’est pas bon pour les fondamentaux à long terme de la France. A moyen terme, nous nous attendons à ce que les obligations françaises puissent à nouveau être bradées une fois que les gens auront enfin synthétisé toutes les implications de la victoire de Macron. »
Au regard de l’important déficit des comptes courants et du niveau élevé de l’endettement public français, les écarts de rendement entre les obligations françaises et allemandes pourraient augmenter, a dit David Zahn.