Plus de deux mois après sa nomination à la tête du ministère de l’Industrie et des Mines, Mahdjoub Bedda, qui a rapidement réussi à diaboliser la politique industrielle de Bouchouareb, peine toujours à présenter la sienne.
« Nous ne parvenons à faire des réformes qu’en faisant semblant de faire la révolution», disait Chaban-Delmas. C’est, semble-t-il, à cet exercice que semble s’adonner Mahdjoub Bedda. Depuis son arrivée à la tête du ministère de l’Industrie en effet, il n’arrête pas de renverser les tables sur l’essentiel des décisions prises par son prédécesseur, Abdesslam Bouchouareb. Dans le secteur automobile, il dit que « les objectifs tracés n’ont pas été atteints » en accusant les constructeurs concernés de faire de « l’importation déguisée ». Ce faisant, il a même menacé de fermer les usines de montage automobile. Dans la gestion du foncier industriel, un des chantiers phares de Bouchouareb, Bedda se distingue aussi en bloquant le projet. « Nous avons bloqué le projet en attendant de revoir les choses. On va étudier le dossier, zone par zone. Voir où sont réellement les opportunités d’investissement et où l’on peut créer de la richesse et de l’emploi », a-t-il déclaré le 3 juillet dernier. Que reproche précisément Bedda à la stratégie industrielle de Bouchoureeb ? Officiellement rien. « Je ne conteste pas la stratégie. Je l’avais approuvée en tant que député et je la soutiens toujours aujourd’hui en ma qualité de ministre, » assure-t-il, en soulignant que la stratégie en question est d’abord celle du Président Bouteflika. Pourquoi donc revoir de fond en comble une politique qui a déjà fait du chemin et que le Gouvernement, près de deux années durant, a fait des pieds et des mains pour la vendre à ses partenaires étrangers ? « Tous les ministres qui se sont succédés à l’Industrie, depuis Temmar, en passant par Rahmani, Benyounes et Bouchouareb, ont inscrit leur démarche dans la continuité tout en opérant, au besoin, quelques ajustements sans grandes incidence sur les lignes directrices, » nous a confié un cadre du secteur à la retraite. Pourquoi de telles remises en cause maintenant ? Bedda est-il « un homme de rupture », un réformiste convaincu comme il en donne l’air ? Rien n’est moins sûr.
La passion des coups de gueule
Quand Mahdjoub Bedda a été nommé ministre de l’Industrie et des mines, la surprise a été générale. Dans les milieux d’affaires algériens, il était considéré comme étant un arabisant sans grande épaisseur aussi bien en politique qu’en matière d’analyse économique. « Inconnu au bataillon », « illustre inconnu », « économiste de la vingt-cinquième heure », il ne représente que sa petite personne » sont autant d’expression utilisées pour le qualifier, y compris, parfois, par certains de ses collègues du FLN. Pourtant, son passage à l’Assemblée Nationale n’a pas été sans relief. Il lui est arrivé de se distinguer grandement, notamment durant son deuxième mandat au cours du quel il a occupé le poste de Président de la Commission Finance de l’APN, par des coups de gueule qui n’ont pas manqué de provoquer des vagues sur la scène politique nationale. C’est lui qui est derrière le limogeage du Président du Conseil de l’ARPT, M’hamed Tewfik Bessai. Celui-ci a été débarqué à peine quelques semaines après que Bedda ait attaqué violement le gendarme des Télécoms en l’accusant d’être derrière le blocage du secteur et de bouffer indûment l’argent de l’Etat. C’est lui aussi qui est derrière les remous qui ont agité la Banque d’Algérie ces deux dernières années en tirant à boulets rouges sur cette institution. « Le problème ce n’est pas la loi de finances 2016, mais la Banque d’Algérie et l’ARPT. La première est l’institution du blocage et la seconde celle de l’inertie. Il est temps de faire une vraie révolution dans ces secteurs. On doit changer les gens qui les gèrent. Ils n’ont pas pu développer notre économie avec un baril à 120 dollars, ils ne pourront sûrement pas le faire avec un baril à moins de 40 dollars. Il faut réformer ces institutions comme l’ARPTt et les personnes qui contribuent au blocage », a-t-il déclaré lors du vote de la loi de finance 2016 à l’APN. Ce coup de gueule, inattendu de tous, a surpris plus d’un, y compris les députés de son parti et les membres de l’Exécutif. Désigné ministre de l’Industrie et des mines dans le Gouvernement Tebboune, il n’a pas dérogé à la règle. C’est en renversant la table sur Sellal et Bouchouareb qu’il a étrenné son costume de ministre. C’est dire qu’il a la passion des coups de gueule. Stratégie de com nouvelle génération ? Tout porte à le croire dans ce monde où un tweet de quatre mots vaut plus qu’un édito signé par un ténor sur les pages de la plus grande gazette du pays et où la vérité ne semble advenir que par le scandale. Tout compte fait, à travers ces attaques très « politiques », Bedda a réussi a donner de lui l’image de quelqu’un qui a compris le fond du problème et qui sait par où commencer pour réussir une réforme fiable et viable de l’économie. L’opération de charme a réussi. Il est ministre. Mais on ne sait toujours pas ce qu’il compte faire. Ira-t-il jusqu’au bout dans sa « rupture » avec le système Bouchouareb ?
Des études « pas brillantes » et une expérience « timide » dans la presse
Mahdjoub Bedda n’a pas un grand parcours. Après l’obtention de son bac au Lycée Technique de Ksar el Boukhari en 1990, option Comptabilité, il s’inscrit à l’école supérieure du Commerce pour faire des études en Sciences Commerciales et Financières. Après 8 ans, d’études, alors que la licence dure officiellement 4 ans, il fait un mémoire sur « La mise en place de la Bourse des valeurs mobilières » et obtient sa licence en 1998. Mahdjoub Bedda s’est par la suite inscrit en magistère, optionMonnaie et Finances, à Université d’Alger, et fait un travail de recherche sur « Les Zones Franches » en 2001. En 2008, il fait un Doctorat, toujours à l’université d’Alger, sur « La Grande Zone de Libre Echange Arabe GZALE ». Ce parcours, pour normal qu’il paraisse, s’est néanmoins fait d’une façon plate. « Mahdjoub n’était pas un chercheur passionné. Son magistère et son doctorat sont davantage des titres administratifs que scientifiques. Il n’y a rien de particulièrement original dans ses travaux de recherche, » nous confie un enseignant à l’université d’Alger. En 2010, il lance une maison d’édition, Dar Al Abhath, avant de publier un magazine économique mensuel en deux versions, arabophone et francophone, intitulée « Enquêtes économique » qu’édite cette même boite. Ce magazine, bien qu’il bénéficie d’une manne publicitaire appréciable, ne fait pas parler de lui, y compris au sein de son public cible principal, à savoir les milieux d’affaires, les centres de décisions politiques, et les universités et fait un tirage mensuel d’à peine 5000 exemplaires dans les deux langues. De plus, « les enquêtes » que son intitulé promet à ses lecteurs potentiels n’ont, depuis sa naissance à ce jour, jamais été réalisées. Pire, le magazine est introuvable sur les étals des buralistes.