Le projet de loi portant réconciliation économique en Tunisie, notamment pour les grosses fortunes amassées durant le régime Benali, ne semble pas passer devant l’opinion publique. Plusieurs manifestations de protestation contre ce projet de loi, déposé au parlement fin juillet, ont été organisées lundi à travers plusieurs villes du pays.
Lundi à Sidi Bouzid, d’où est parti l’étincelle de la Révolution de Jasmin qui a fait ‘’dégager’’ Benali et son régime corrompu, la police a empêché une manifestation de dénonciation de ce projet de loi, voté en conseil des ministres en juillet dernier. Selon l’agence ‘’TAP’’, ‘’les forces de sécurité ont interdit lundi l’organisation d’une manifestation contre la loi de réconciliation économique à l’avenue principale de la ville de Sidi Bouzid’’. ‘’Des composantes de la société civile et des représentants des organisations régionales se sont réunis devant le siège de l’Union régionale du travail (URT), répondant à l’appel de l’Union régionale des diplômés sans emploi, pour exprimer leur refus de la loi de réconciliation économique’’, ajoute TAP. Les manifestants ont notamment dénoncé ce projet de loi présenté par la présidence tunisienne, et appelé à plus de ‘’justice sociale’’, comme ils ont revendiqué ‘’le droit au travail’’. Appelant ‘’à la chute du gouvernement’’, les manifestants ont par ailleurs estimé que ‘’l’état d’urgence (imposé depuis la recrudescence des actes terroristes en Tunisie, NDLR), sert de prétexte pour la répression des mouvements de protestation’’. A Sfax, les forces de sécurité ‘’ont fait usage d’une violence disproportionnée les manifestants qui observaient un sit-in’’ de protestation contre ce projet de loi, ont dénoncé les partis Al Massar et l’Union Populaire Républicaine (UPR). Même mobilisation à TOzeur (sud) de partis et de la société civile, qui ont organisé lundi un sit-in contre ce projet de loi.
Tous contre l’amnistie des grosses fortunes
Au sein de la société civile tunisienne, le projet fait débat, et est rejeté en bloc car étant incompatible avec la nouvelle Constitution du pays. Le constitutionaliste Jawhar Ben Mbarek, qui estime que ‘’c’est une sorte d’amnistie spéciale pour certaines personnes’’, n’es pas loin de s’interroger sur l’efficacité de cette loi qui, selon lui, ne sera d’aucun apport financier dans la mesure où la majorité des biens appartenant aux personnes accusés de corruption sont confisqués. ‘’ Il s’agit juste d’une amnistie au profit d’un groupe de corrompus qui fera perdre à l’Etat l’occasion de les poursuivre fiscalement’’, a-t-il ajouté. Dans une contribution au site ‘’Contrepoints.org’’, Amir Mastari relève de son côté que ‘’ les auteurs de ce projet de loi (pour la réconciliation économique) semblent négliger le fait que l’on est dans un contexte post-révolution’’, relevant que ‘’c’est peut être politiquement correct, pour le parti de Nida Tounes, de tenter de préserver les intérêts des plus riches pour que ceux-ci servent le parti au moment des élections’’.
Nida Tounes mal barré
Mais, cela renvoie également un signal fort du désintérêt du parti du Président aux ‘’revendications (des Tunisiens) quant à la lutte contre l’impunité, la rente et le clientélisme’’. Et puis, ‘’cela risque de remettre en cause la transition démocratique dans le pays et exacerber les tensions radicales dans la société tunisienne’’, affirme t-il encore. Pour de nombreux activistes tunisiens, la proposition du parti Nida Tounes de BCE est anticonstitutionnelle. L’article 148 de la Constitution stipule en fait que ‘’l’État s’engage à mettre en application le système de la justice transitionnelle dans tous ses domaines et dans les délais prescrits par la législation qui s’y rapporte. Dans ce contexte, l’évocation de la non-rétroactivité des lois, de l’existence d’une amnistie ou d’une grâce antérieure, de l’autorité de la chose jugée ou de la prescription du délit ou de la peine, n’est pas recevable’’.
Algérie, Maroc, même combat
La proposition des dirigeants Tunisiens de réconciliation économique, une sorte d’amnistie, pour les grosses fortunes amassées du temps de Benali, a été déjà appliquée en Algérie et au Maroc pour légaliser les fonds non déclarés et bancarisés. La LFC2015 a introduit en Algérie la possibilité pour les détenteurs de fonds non déclarés de les bancariser complètement en payant une taxe forfaitaire de 7%. L’opération est en cours, aucun bilan n’a été donné pour le moment. Par contre, au Maroc, l’opération ‘’Contribution libératoire’’, semble connaître quelques ‘’couacs’’, les déclarants n’ayant pas, selon l’Office des changes, tout déclaré de leur patrimoine à l’étranger. L’opération clôturée le 31 janvier dernier, avait été marquée par la déclaration de 8,41 milliards de dirhams, et rapporté 315 millions de dirhams pour le Fonds de Cohésion Sociale.