Pour les jeunes, l’intérêt qu’il y aurait à s’attacher à l’« identité nationale » reste à démontrer tandis que pour leurs aînés, « il n’est pas normal que l’on ne connaisse pas Massinissa » car se connaître soi-même est un rempart « contre les impérialismes ». Ce sont là deux opinions qui se sont affrontées lors d’un débat organisé par le collectif NABNI le 4 juillet dernier à Alger.
Le collectif citoyen NABNI, après avoir récemment tiré la sonnette d’alarme, avec son plan d’urgence ABDA, souhaite donner un autre son de cloche avec le projet participatif « Algérie rêvée pour 2030 ». A minuit, un sondage interactif a été lancé en ligne. Cette collecte d’idées, affirme le collectif, a pour but de « faire émerger des propositions inédites et crédibles, de nouvelles manières d’aborder le rêve algérien ».
Le sondage est accompagné d’une série de débats sur des thèmes divers. Le premier a eu lieu le 4 juillet au restaurant Havana, à Saïd Hamdine, à Alger. Portant sur la question du renouvellement du récit national, il a rassemblée quelque 150 personnes. « Que retenir de façon sélective de notre histoire afin de se projeter ? », a lancé Abdelkrim Boudra, membre de NABNI, en ouverture.
La conférence a démarré avec les exposés de Abdelnasser Djabi, enseignant-chercheur, de l’homme politique Noureddine Boukrouh et de Abderrahmane Hadj-Nacer, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie. Trois jeunes actifs de la société civile algérienne leur ont ensuite posé des questions avant l’ouverture du débat avec la salle.
Massinissa importe peu aux amateurs de Candy Crush
Ce débat a révélé une différence de points de vue entre les jeunes et les moins jeunes sur l’importance et le rôle l’histoire. Si pour Abderrahmane Hadj-Nacer, « il n’est pas normal que l’on ne connaisse pas Massinissa », pour Telal, bloggeur, « l’identité nationale et le récit national, qu’ils soient vrais ou faux, ne servent à rien ». Lui, a-t-il ajouté, fait partie d’une génération « qui regarde Games of Thrones et joue à Candy Crush ».
Telal a expliqué qu’« aujourd’hui, les jeunes ont leur histoire mais elle se fait aussi sur internet ». « Les référents avec lesquels on essaye de revenir ne fonctionnent plus », a-t-il ajouté. Pour lui, le dernier événement fédérateur a été le match Algérie-Egypte en 2010, au Soudan. « Oum Dourman, c’est la démonstration que l’opium du peuple, c’est le football », lui a rétorqué Abderrahmane Hadj-Nacer. Karima, militante féministe, a abondé dans le sens de Telal: « Ma conclusion est de ne pas s’acharner sur son identité mais de fonder ce que l’on est. »
Le thème choisi semblait épineux, à la veille du 53ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, alors que les historiographies coloniales et officielles n’ont toujours pas été complètement écartées. « Nous avons eu beaucoup d’histoires mais nous n’avons pas eu une histoire » a rappelé Noureddine Boukrouh.
« Comment faire que l’histoire ne soit plus un moyen de légitimation politique ? »
La place de la Guerre de libération nationale et son instrumentalisation politique ont également été abordées. Un intervenant s’est interrogé : « Comment faire pour que l’histoire cesse d’être une source de légitimation politique et dissocier l’écriture de l’histoire de la vie politique ? » Et de soulever la question de la transmission d’un autre récit national par les médias et l’école.
Abderrahmane Hadj-Nacer a lancé un appel à « s’aimer » et à accepter, « pour vivre ensemble », la multiplicité des identités revendiquées sur le territoire (algérienne, berbère, arabe, africaine, musulmane). « Il n’est pas normal que l’on parle des mozabites comme d’un folklore et que quand on parle des Touaregs, c’est très exotique », a-t-il déclaré. Il estime la connaissance de soi nécessaire contre les impérialismes, notamment économiques. « 40% des Algériens se définissent par rapport à leur algérianité » et « environ les deux tiers des Algériens ne se font pas confiance » a-t-on pu apprendre avec Abdelnasser Djabi. Le débat a eu pour mérite de donner la mesure chantier.