Le rejet par le Sénat mauritanien de la révision constitutionnelle, déjà votée par l’Assemblée nationale, a plongé le pays dans une nouvelle impasse politique, selon les observateurs.
Sur 56 sénateurs, dont 40 issus de la majorité présidentielle, 33 se sont prononcés jeudi contre ce projet qui prévoit notamment la suppression du Sénat et le changement du drapeau et de l’hymne du pays. Pour les observateurs, la crise politique est d’autant plus sérieuse que c’est la majorité qui a remis en cause sa propre ligne en mettant en difficulté le régime.
Face à cette situation, il reste au gouvernement le recours à la voie référendaire ou à revisiter les points qui n’ont pas obtenu le consensus, à défaut de procéder à la dissolution du parlement en engageant des élections législatives anticipées, a estimé un spécialiste, Me Bilal Ould Dickj.
L’exécutif, qui a déjà renoncé à la voie du référendum populaire qu’il a jugée « coûteuse sur le plan logistique et financier », n’a pas encore réagi à ce rejet. En revanche, cette situation de blocage constitutionnel a suscité de nombreuses réactions au sein de la classe politique et dans la rue mauritanienne.
Des mouvements de jeunes contre la réforme de la constitution ont manifesté, vendredi soir et samedi devant le siège du Sénat pour « saluer le vote des sénateurs contre ces réformes sans enjeu réel ».
Du côté des partis politiques, le Rassemblement de forces démocratique (RFD) de l’opposant historique Ahmed Ould Daddah, s’est réjoui du rejet des modifications constitutionnelles proposées par le régime.
« Tripatouillage »
Le RFD a souligné que le Sénat a ainsi exprimé son « refus de voir piétiner les références et symboles auxquels est attaché le peuple mauritanien ainsi que le tripatouillage de la constitution à un moment où la scène politique est profondément divisée ».
Le parti a appelé les Mauritaniens à « resserrer davantage les rangs afin de mettre en échec, par tous les moyens disponibles, l’aventure aux conséquences incalculables vers laquelle le régime mène le pays ».
De son côté, le Forum national de la démocratie et de l’unité (FNDU), composé d’une dizaine de parti de l’opposition radicale, a souligné dans un communiqué que les « amendements constitutionnels futiles que le pouvoir cherchait à imposer sont tombés ».
C’est « la volonté du peuple mauritanien qui refuse le tripatouillage de sa constitution et la mutilation de son drapeau national », a-t-il ajouté. Le FDNDU avait, auparavant, mené plusieurs actions de contestation contre ce projet d’amendements qui, selon lui, « ne répond à aucun enjeu et vise à divertir le peuple mauritanien de son vécu marqué par une crise multidimensionnelle ». Des personnalités indépendantes ont également exprimé leurs points de vue par rapport à cette question.
« Une position nationale courageuse » – (Ely Ould Mohamed Vall)
Ainsi, l’ancien chef de l’Etat mauritanien Ely Ould Mohamed Vall (2005-2007), a accueilli « avec une grande fierté » le rejet du projet de révision qui constitue, a-t-il déclaré à la presse locale, une « position nationale courageuse », qui « a sauvé le pays des risques incalculables d’enlisement (…) auquel aurait conduit la modification non justifiée de la constitution décidée unilatéralement par le pouvoir ».
De son côté, l’ancien Premier ministre (2007-2008), Yahya Ould Ahmed el Waqf, a qualifié ce vote de « surprise pour le peuple mauritanien dans sa globalité parce qu’il n’est pas habitué malheureusement à ce que des chambres comme le Sénat refusent des projets de lois proposés par le gouvernement ».
Plusieurs autres partis et personnalités de l’opposition ont appelé à l’organisation d’un nouveau dialogue « réel et inclusif » pour sortir le pays de cette impasse et susciter une « véritable participation de l’ensemble de la classe politique à l’œuvre de construction nationale ».
Du côté du pouvoir, aucune réaction officielle n’a encore été connue, même si des personnalités de la mouvance présidentielle ont déploré « le manque de respect des engagements dont ont fait preuve les sénateurs ». Du côté de la majorité, des personnalités proches du pouvoir, comme le député Khalil Ould Teyeb ont estimé que ce vote contre les reformes constituent, en soi, un témoin du respect des principes de la démocratie en Mauritanie.
« Certains ont pensé que le parlement est une chambre d’enregistrement, alors que le contraire vient d’être prouvé », a fait ressortir le député dans une déclaration à la presse. Les sénateurs qui sont pour la révision, et qui ont exprimé récemment, au cours d’un dîner offert en leur honneur par le chef de l’Etat mauritanien, leur engagement à voter en faveur des reformes, ont « failli à leur engagement ».