L’avocat d’affaires Naseddine Lezzar revient dans un entretien à Radio M, la webradio de Maghreb Emergent, sur le l’acquisition par l’Etat algérien de 51 % de Djezzy pour 2.6 milliards de dollars. Pour lui l’Algérie a chèrement payé cette transaction. « Il aurait été plus intéressant d’acquérir tout d’abord les 51% de l’entreprise sans la licence, puis octroyer en seconde étape, la licence à une entreprise majoritairement algérienne », a-t-il estimé.
Demain, le 4 décembre 2014, l’Etat algérien est supposé prendre les 51% de la Compagnie OTA- Djezzy pour un montant de 2.643 milliards de dollars .Vous êtes l’une des personnalités du monde juridique à avoir contesté les fondements de cet accord. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
D’abord l’opportunité d’acquisition de Djezzy par l’Etat algérien n’a pas été faite jusqu’à maintenant. Cette algérianisation à 51% a été annoncée par le ministre des télécommunications comme une condition préalable à la soumission par Djezzy pour le lancement de la 3G. On se rend compte finalement qu’OTA-Djezzy a déjà obtenu l’accord pour le lancement de sa 3 G, étant toujours une société à capitaux étrangers.
Mais à partir du moment où le gouvernement algérien était certain de devenir actionnaire majoritaire dans Djezzy, suite à la signature d’un protocole d’accord avec cette entreprise, au printemps dernier, il n’y aurait pas de problème à ce qu’il donne une licence à une entreprise dont il va devenir actionnaire majoritaire ?
Au contraire, le problème est fondamentalement posé. Il aurait été plus intéressant dans le cas d’une stratégie d’affaire d’acquérir tout d’abord les 51% de l’entreprise sans la licence, puis octroyer en seconde étape, la licence à une entreprise majoritairement algérienne. Djezzy est une société qui s’est installée en Algérie avec un investissement d’équipements estimé à 381 millions de dollars, auquel on rajoute les 730 millions de dollars déboursés pour avoir la licence. Une licence qui allait expirer. Puis on a prolongé sa durée de vie, alors qu’on aurait du la retirer depuis longtemps en raison de malversations de cette entreprise, et on a laissé son cheminement normal jusqu’à 2015. Djezzy sans la licence ne vaut rien. Si on n’avait pas octroyé cette licence et on avait effectué une bonne évaluation sur la capacité des bénéfices qu’une entreprise pourrait générer, on s’apercevra qu’on aurait acquis Djezzy pour une bouchée de pain.
En 2009, Il ya eu une offre sur Djezzy par l’opérateur sud africain MTN d’une valeur de 7.8 milliards de dollars. Ce qui correspondrait au prix d’acquisition des 51%…
De 2009 à aujourd’hui, il ya six années de chiffres d’affaires. Le goodwill (écart d’acquisition) d’une entreprise qui démarre est un goodwill fondant ; c’est-à-dire il a tendance à diminuer au fur et à mesure qu’on va vers la fin. Mais là on assiste à un cas où on laisse une année d’exploitation à une entreprise qui est sur le départ. Trouvez-vous normal qu’on évalue à 6 milliards de dollars un goodwill d’une entreprise qui n’est pas encore entrée en fonction ? En accorant la licence 3G, on lui a donné un chiffre d’affaire. Au lieu d’acquérir l’entreprise avant, quand le goodwill était nul, on a octroyé une licence pour une dizaine d’années, puis on a donné à Djezzy un goodwill correspondant à un chiffre d’affaire de 10 ans. C’est-à-dire, l’Algérie a multiplié la valeur de Djezzy et a racheté le prix de la licence.
Si on considère qu’il y’avait une procédure d’arbitrage international engagée par la famille Sawiris- ancienne propriétaire de Djezzy- qui a considéré que son business en Algérie a été torpillé par les mesures du gouvernement et que l’Algérie risquait de perdre cet arbitrage international, cela ne serait pas derrière la revalorisation de Djezzy à 6 milliards de dollars?
Permettez-moi de vous faire part de mon incompréhension devant cette peur de la part de l’Algérie quand il s’agit d’un arbitrage international. Si on a perdu beaucoup d’arbitrages ces dernières années, c’est soit parce qu’on a mal géré ces arbitrages, soit parce qu’on s’y était pas préparé. Et ça c’est une autre problématique. Aussi, je ne voix pas comment Djezzy pourrait gagner une affaire contre l’Algérie alors qu’elle a fait objet d’un redressement fiscal suite à une irrégularité fiscale. L’opérateur a été condamné pour fraude fiscale et il y a eu une condamnation pénale contre son ancien directeur. Je ne voix vraiment pas comment Djezzy pourrait s’adonner à ce chantage et surtout, comment l’Algérie y a cédé en payant une entreprise dont le passé est entaché, du point de vue éthique, à 6 milliards de dollars. Vous savez que 7 milliards de dollars est le prix de l’autoroute Est-ouest, que le dernier mondial du Brésil a couté 11 milliards de dollars. Un goodwill d’une petite entreprise téléphonique vaut-il le prix d’une autoroute ?
Vous voulez dire donc que l’Etat algérien a joué contre ses propres intérêts?
Absolument. Soit par incompétence, manque de visibilité ou des complicités. Personnellement, je ne peux pas admettre qu’à ce niveau des affaires on puisse se tromper à ce point. « Djezzy a été estimé à sa juste valeur parce que l’expertise a été donnée à un cabinet international », disait un des responsable pour soutenir cette valeur. C’est pathétique et pitoyable. Je pense qu’à ce niveau des affaires, on aurait dû partir avec une contre-expertise et deux ou trois autres expertises. Et des expertises nationales, je le précise. Parce qu’à ce niveau des affaires, il ne faut pas se fier au professionnalisme : tout est possible.
Sur le plan macroéconomique, cela ne peut pas être compris comme un moyen de préservation de l’écosystème des TIC et aussi pour permettre le lancement de la 3G qui a pris beaucoup de retard, en partie à cause de ce conflit. Est-ce que ce n’est pas une décision, très chère payée, pour en finir avec ce dossier ?
Si le retard a été causé par Djezzy c’est parce que l’Etat algérien l’a retardé pour permettre à Djezzy de soumissionner et de se mettre à niveau aussi bien sur le plan juridique que sur les plans économique et fiscal. Je ne voix pas pourquoi on est en train de donner toutes ces faveurs à une entreprise qui ne le mérite pas. Il est clair qu’OTA bénéficie d’une protection de la part des personnes à l’intérieur du système.
La licence a été accordée à l’entreprise algérienne qui n’a pas changé, c’est le groupe qui a changé…
Justement, conformément au cahier des charges de l’attribution de la licence 3G, un changement d’actionnaire est constitutif d’une cession de la licence. L’ARTP (Autorité de régulation des Télécoms) n’a jamais donné son accord pour une cession de la licence.
On aurait jamais du donné 2 milliards de dollars au propriétaire de Djezzy, mais qu’est ce qu’on aurait du faire concrètement ?
La première possibilité, on aurait du demander le retrait de la licence à Djezzy, de l’attaquer en arbitrage international et lui demander des dédommagements pour la violation des cahiers des charges. Il faut bien que l’Etat défende ses intérêts. Djezzy va obtenir l’autorisation de rapatriement de ses dividendes gelées, estimées à environ 4 milliards de dollars. Il semblerait que cette décision qui incombe normalement à la Banque d’Algérie ait été donnée par le gouvernement algérien. On a politisé cette affaire.
Suivant votre logique, lorsqu’on débourse une telle somme d’argent alors qu’on a pas besoin de le faire, on peut penser que cette argent rentrera par la suite par le biais d’une rétro commission, donc, il ya forcément une partie qui va en bénéficier ?
Je voudrais appeler à une enquête approfondie d’une autorité quelconque qui puisse se saisir de cette affaire pour mettre la lumière sur ces suspicions et ses incompétences. Il s’avère que Djezzy a un financement d’une banque algérienne. Je me demande comment se fait-il qu’une entreprise qui est leader dans son domaine et qui a à son actif 14 années d’exploitation dans un créneau très juteux, n’ait pas assez de capitaux pour s’autofinancer pour la 3G. Cela veut tout simplement dire que l’argent public algérien est en train de financer les multinationales.
ArcelorMittal a été financé par une banque algérienne, au moment ou sa banque a refusé de le financer. Une banque algérienne (BEA) a accepté de le financer au moment où le groupe international ArcelorMittal se trouvait dans une situation de cessation de paiement. Et la nationalisation d’une société déficitaire, qui en a suivie, signifie tout simplement que nous avons acheté plus de pertes que de bénéfices.
Et l’arbitrage avec Anadarko ?
Sonatrach va payer 6 milliards de dollars à l’américain Anadarko et je pense que l’Algérie ne devait pas céder sans se battre et aller plutôt vers l’arbitrage international au lieu de lui céder à l’amiable une telle somme. Il ne faut pas oublier qu’il y a une dizaine d’entreprises qui vont demander la jurisprudence. En matière de fiscalité, il y a eu les superprofits, qui impliqueraient le payement de plus d’impôts de la part d’Anadarko. Nous sommes là devant des questions fiscales et ces questions relève de la souveraineté.
L’émission en vidéo : http://bit.ly/1pVD6tR
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