La DGSN et le Gouvernement affirment n’avoir pas donné d’ordre pour réprimer les manifestations. D’où pourrait venir un tel ordre ? Selon Tewfik Hamel, expert en questions militaires et en relations internationales, l’ancien patron du DRS et ses réseaux jouent sans nul doute un rôle clef dans la situation actuelle.
« Le Général Caid Salah a publiquement désigné l’ex-chef du DRS, Toufik Mediene et Said Bouteflika, entre autres. Il est difficile de nier la responsabilité des individus désignés. Il ne faut pas sous-estimer l’importance des réseaux parallèles dans le contexte algérien. L’Etat algérien n’a jamais été en mesure d’imposer réellement ce que Max Weber appelle le monopole de la « violence légitime ». Il y a une sorte de diffusion du pouvoir entrainant une sorte de « dé-spatialisation » ou « dé-territorialisation » du centre du pouvoir. Le résultat est que les Algériens sont en face de « bureaucraties sans visage ».
Des décisions sont prises, mais par qui ? « Difficile d’y répondre précisément », indique-t-il en précisant que « la longue expérience de Mediene permet d’établir des réseaux clientélistes (à travers la cooptation, la coercition, l’incitation, la menace) incluant des bureaucrates, hommes d’affaires, officiers supérieurs, etc, qui peuvent être réactivés ». En effet, selon M. Hamel, « le système n’est pas ceux qui applaudissaient un cadre mais souvent, ses réseaux trouvent des appuis à l’étranger ». « Prenez l’exemple de Farid Bejaoui, Alexandre Djouhri, etc. Il s’agit de faire face à une nouvelle bourgeoisie-affairiste transnationale, connectée au capitalisme mondial qui a besoin des structures institutionnelles étatiques pour prospérer. Son projet politique est soutenu et encadré par une stratégie visant à restructurer les relations politiques, économiques, sociales et sécuritaires », relève-t-il.
Le sous-sol du système
Tewfik Hamel considère que le système algérien a une morphologie assez singulière qui fait que l’essentiel de ce qui s’y passe échappe à tout contrôle. Le sous-sol du système abrite l’essentiel de son activités et des ses réseaux. « Au centre de toute analyse de ce que les Algériens appellent le « système » est la proposition qu’il est caractérisé par une morphologie qui affiche des composantes fondamentales (ou de base), adjacentes et périphériques. Les composantes fondamentales sont les structures et les réseaux parallèles qui maintiennent les relations de pouvoir inégales, de domination et d’exclusion. Ces structures déterminent, sélectionnent, privilégient ou rétrécissent les significations sociales liées à l’exercice du pouvoir dans la société.
Les composantes adjacentes et périphériques se ramènent à des personnes influentes ou les gardiens du temple comme Mediene, Larbi Belkheir, etc. Je crois qu’il faut suivre l’argent pour saisir le centre du pouvoir économique et politique en Algérie.
Deux secteurs semblent plus importants : Sonatrach et l’import-export. Instaurer la transparence et le contrôle dans ces deux domaines dévoilera la composante adjacente du système. A ce titre, Abdelkader Kara Bouhadba semble plutôt faire partie de la composante périphérique», explique-t-il. Il est éjectable. C’est pourquoi, recommande-t-il, « il est indispensable de préserver le caractère pacifique », la seule façon d’aller au bout de ce moment historique démocratique.
« Le pacifisme des manifestants est très rassurant pour l’armée algérienne »
Gaid Salah a déclaré que l’Armée allait protéger les manifestants. Protéger les manifestants de qui ? Pour Tewfik Hamel, il suffit de suivre la trajectoire souterraine de l’argent pour comprendre qui est visé. « Protéger de qui ? Suivre l’argent. Qui a bénéficié du système Bouteflika ? Un tel discours d’un chef d’Etat-major signifie que la situation est vraiment grave», indique-t-il. Selon M. Hamel, pour des raisons objectives liées au contexte international et régional, « l’armée reste fondamentalement orientée vers l’ennemi extérieur et préfère ne pas trop s’impliquer dans la vie politique intérieure ».
Selon lui, « l’insécurité aux frontières, les interventions occidentales en Libye, Syrie et en Irak, les manœuvres marocaines, etc., sont sérieusement prises en compte par l’armée algérienne ». En effet, assure-t-il, malgré le discours récurent sur le terrorisme, les systèmes d’armements obtenus ces dernières années sont clairement destinés à faire face à une menace conventionnelle et à une guerre régulière.
« La stratégie militaire algérienne est enveloppée dans la dissuasion « du faible au fort », qui consiste à faire subir des pertes insoutenables à un éventuel adversaire. L’armée comprend l’importance de la stabilité et la paix intérieures dans ce moment sensible pour faire face à un environnement international d’une grande volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté. Toutefois, plus que toute autre institution, l’avenir de l’institution militaire est étroitement et intrinsèquement lié à l’Etat. Par conséquent, l’armée ne permettra jamais l’effondrement des institutions étatiques. Si un tel risque est élevé, il est certain que l’armée interviendra. Le pacifisme des manifestants est très rassurant pour l’armée algérienne», affirme Tewfik Hamel.