La chronique hebdomadaire de El Kadi Ihsane sur El Watan a traité la semaine dernière de la polémique sur la responsabilité de l’emballement du recours à la planche à billet pour le financement des déficits publics.
La banque d’Algérie a pris ses distances, dans une note du début du mois d’avril, avec la politique de financement non conventionnel engagée au dernier trimestre de 2017.
Le procédé peut paraître curieux à priori. L’ex-gouverneur de la banque d’Algérie Mohamed Loukal a choisit le dernier jour de son mandat à la tête de l’institut d’émission pour sortir une note ou il règle ses comptes avec la politique de la planche à billet qu’il a lui même conduite durant six trimestres consécutifs atteignant le montant de 6 5556,2 milliards de dinars d’avances hors plafonnement au trésor public. L’arrivée de Mohamed Loukal à la tète de la banque d’Algérie en juin 2017 et son départ surprise de son poste moins de deux ans plus tard restera dans l’histoire de cette institution comme l’épisode du financement non conventionnel. C’est sans doute conscient du stigmate lancinant de ce marqueur indélébile, que le nouveau ministre des finances a tenté de réécrire, dans l’urgence du départ, sa séquence pour la postérité. La question est pourtant bien simple. Pourquoi Mohamed Loukal, ancien PDG de la banque extérieur d’Algérie- BEA – a t’il accepté la lourde charge du gouverneur de la banque d’Algérie sachant que son prédécesseur Mohamed Laksaci en était débarqué parce qu’il refusait les accommodements d’une politique débridée de financement des déficits de budget de l’Etat ? La réponse est tout aussi simple. Si Mohamed Loukal, véritable grand argentier du clan dominant des années Bouteflika par sa position à la tête de la BEA , a accepté une fonction pour laquelle il n’avait aucune des qualifications académiques ou opérationnelles, c’était pour exécuter les injonctions de l’exécutif qui l’y avait nommé. Sans autre ambition qui lui soit connu. Le maillon banque d’Algérie était, dès le printemps 2017, essentiel dans le projet de réélection de Abdelaziz Bouteflika. Il n’était pas question de conduire une politique de réduction importante des déficits publics, forcément impopulaire sur le court terme électoral, même combinée à une réforme de l’économie bénéfique sur un temps non électoral.
Mohamed Loukal a bien ouvert l’imprimerie à billets au gouvernement Ouyahia. Il ne peut pas se cacher derrière des pressions venant de la présidence sous couverts de la note de la Task Force recommandant le recours au financement non conventionnel. Des pressions qui venaient d’ailleurs directement du directeur de cabinet à la présidence, un certain Ahmed Ouyahia, qui sera des l’automne 2017 à la manœuvre, à nouveau à la tète du gouvernement, pour hériter des clés de l’imprimerie à billets. Il ne peut même pas s’abriter derrière le déplafonnement légal des avances de la banque d’Algérie au trésor opéré par le parlement pour rendre possible le recours à la planche à billet. Que cela ne soit plus illégal ne signifie pas qu’il faut le faire. Le gouverneur de la banque d’Algérie est le poste le plus doté en pouvoirs en économie après ceux du président de la République et du premier ministre. Il est d’abord conduit dans sa gestion de la monnaie par les objectifs statutaires de la banque d’Algérie et non par les options de politique économique des gouvernements successifs.
Le recours, en particulier à cette échelle astronomique, à la planche à billet, n’a jamais été une obligation pour lui. C’est juste la servitude d’un fonctionnaire de la banque commercial sans consistance, qui n’aurait jamais du être à cet endroit à ce moment de l’Histoire.
L’alternative aurait mobilisé 2500 milliards de dinars
Une autre politique de financement des déficits publiques était elle possible en 2017 ? Selon la note de la banque d’Algérie qui équivaut au message d’adieu de son gouverneur, la réponse est oui. Il s’agirait notamment du placement en co-latéral (garanties) auprès du trésor public, des dividendes de la banque d’Algérie des trois derniers exercices pour permettre de l’émission de papier souverain adossé donc à la caution de la banque d’Algérie. L’ordre de grandeur des levées de fonds envisageables ainsi pour l’Etat aurait été – 2500 Milliards de dinars- en gros équivalent à environ 30% de ce qui a été imprimé en fait depuis octobre 2017. Insuffisant pour les plans de dépenses du duo Bouteflika-Ouyahia. La formulation de ce financement alternatif n’a évidemment pas été faite du temps de Mohamed Loukal. C’est la préconisation de Mohamed Leksaci gouverneur de la banque d’Algérie jusqu’au 31 mai 2017.
L’arbitrage entre les solutions a été purement politique. Il s’est fait à la présidence de la République, pendant que le premier ministre épique de l’été 2017, Abdelmadjid Tebboune, engageait une bataille mal-préparée contre les oligarques. Il a vite penché pour le recours classique à la planche à billet, sachant que les clefs de l’imprimerie étaient disponible désormais avec la nomination de Mohamed Loukal à la tête de l’institut d’émission. Il reste maintenant à savoir – question amenée dans la polémique par la note de la banque d’Algérie – qu’elle est la part de « responsabilité » des membres de la Task Force qui ont préconisé le recours- sous condition – au financement non conventionnel. Cette part est en vérité dérisoire. La Task Force a préconisé un plan triennal de lissage des dépenses budgétaires qui n’a pas été appliqué, de même qu’une feuille de route pour un nouveau modèle de croissance abandonné aussitôt remis au gouvernement Sellal, qui en été le demandeur.
Le pouvoir aurait recouru à la planche à billet
Précision supplémentaire, la note d’avril 2017 qui préconise le financement non-conventionnel a été produite par un seul membre de la Task Force, le professeur Raouf Boucekkine, avec une autre ressource, le Professeur Nour Meddahi. Elle reposait sur les indicateurs fondamentaux qui en règle générale permettent de développer du « quantitative easing », notamment dans le cas de l’Algérie un niveau d’endettement domestique suffisamment bas pour le justifier. Le professeur Boucekkine fait avancer la recherche interdisciplinaire en sciences sociales et économiques à la tête de l’IMéra à Marseille. Son implication, tout autant que celle du professeur Nour Meddahi qui travaille au Toulouse School’s of Economics (TSE) aux côtés du Nobel d’économie Jean Tirole, dans la réflexion sur les politiques publiques en Algérie, est de celle qui peuvent faire gagner du temps aux gouvernances pour le développement. Une erreur d’appréciation toutefois. Elle est essentielle. Les préconisations faites sur le financement non conventionnel, pour fondées en théorie, étaient risquées politiquement. Sous-estimation du cynisme d’un pouvoir qui a effacé tout contre-pouvoirs dans le pays. Le clan Bouteflika, aidé par l’ambitieux Ahmed Ouyahia, connaissait la planche à billet. Il avait juste besoin d’un avis médical alibi pour la déployer à cette échelle aujourd’hui problématique. Le vis à vis sérieux et consciencieux à la tête de la banque d’Algérie qu’était Mohamed Leksaci a été remercié quelques semaines après la note signé du professeur Boucekkine-Meddahi. Ouyahia n’a utilisé que cette note dans toute la production de la task force. C’est dire combien cela a été naïf de croire que sous le quatrième mandat de Bouteflika – et même sous la pression d’un contre-choc pétrolier sévère ; il y a pouvait y avoir un virage vertueux de la gouvernance clanique et clientéliste, vers l’Etat visionnaire et réformateur. Tout ce qui s’est déroulé ensuite jusqu’au 22 février est venu confirmer l’abîme entre l’agenda sincère et patriotique des experts et celui cynique et finalement délinquant des gouvernants.