Elle est la femme par qui la rue s’est remise en marche sur le thème de Tamazight. Nadia Chouitem, députée du Parti des Travailleurs (PT), se livre dans ce portrait au terme d’une année dont elle a marquée l’actualité.
C’est un samedi de vacances d’hiver. Beau soleil. Il y’a foule à Chéraga (banlieue Ouest d’Alger). Au calme, à l’intérieur d’un fast-food populaire Nadia Chouitem est là, discrète, tout sourire attablée côté vitre. Une bague sur la main gauche, petits talons, petite sacoche, cape noire bordée de fourrure au col, boucles d’oreilles assorties au pull gris, légèrement maquillée, la députée est d’une élégance, toute simple et toute belle.
La discussion n’a pas besoin de préliminaires. La militante de 44 ans s’affiche d’entrée. « Avec tamazight j’ai une relation intime, c’est ma langue maternelle », confie-t-elle, les yeux qui brillent. Députée discrète, qui vit dans le calme ou presque, elle est propulsée en quelque jours au tout premier plan de la scène politique algérienne. Dimanche 26 novembre dernier, Nadia Chouitem âgée de 44 ans, représentant les Algériens à l’Assemblée Populaire Nationale a proposé un amendement pour la promotion de la langue amazighe.
L’amendement a été refusé et des manifestations ont été enclenchées dans plusieurs wilayas de l’Algérie. Son émotion n’a pas de retenue lorsqu’elle évoque la fierté que lui procure « le niveau de conscience politique de ces jeunes qui ont manifesté contre la loi de finances 2018 et pour la revendication de tamazight ». Pour elle, ces jeunes ont démontré que le peuple algérien peut s’organiser et revendiquer ces droits. Cette nationaliste affiche crânement son anti-séparatisme, son orgueil d’appartenir à trois patries à la fois, la Kabylie, l’Algérie, l’Afrique. Elle trouve que les jeunes manifestants qui se sont adressés directement au pouvoir ont enterré les mouvements séparatistes.
Le choc de la langue cachée
C’est à l’âge de 5 ans, que la petite Nadia a découvert qu’une autre langue que sa langue maternelle existait en Algérie. « Le jour où j’ai entendu l’arabe à l’école j’étais choquée », a-t-elle dit. Elle ne comprenait pas un mot, et pendant les premières semaines elle se contentait de l’observation de son professeur. C’est sa maman qui va lui apprendre cette nouvelle langue. « Si ce n’était pas ma mère, je serais une femme non instruite aujourd’hui », se souvient-elle. Elle avait des parents suffisamment instruits. Une maman au foyer et un papa qui était dans l’administration. Elle évoque avec émotion son défunt père. Elle a appris l’arabe petit à petit.
« Heureusement que l’enseignement était obligatoire, et que nos parents n’avaient pas le choix. Sinon je n’aurais pas fait d’études. Et, c’est pour ça d’ailleurs que je revendique un enseignement obligatoire de tamazight. Je ne comprends pas les gens qui parlent du choix et de l’enseignement facultatif », s’exclame-t-elle. Cette authentique kabyle née dans l’un des lieux haut perchés, Laravaa Nath Irathen (ex Fort national), dans la wilaya de Tizi Ouzou, a fait toutes ses classes de la vie sur place. Elle a vécu les plus forts moments de la région et du combat pour tamazight, pour la démocratie et pour la justice sociale. D’avril 1980, elle se souvient vaguement. « J’étais au primaire, et c’est là que je me suis rendu compte que ma langue n’était pas reconnue. D’ailleurs on m’interdisait de parler kabyle à l’école. C’est avec le mouvement de 80 que j’ai su qu’il y a des gens qui militaient pour cette cause. Mais c’était enfantin et naïf. Je ne comprenais pas bien les choses mais j’ai compris qu’il y a un problème » ajoute-t-elle.
Il n’y avait donc pas que Tamazight
La prise de conscience politique surviendra lorsqu’elle a rejoint la faculté de médecine à Tizi Ouzou, après les manifestations de 1988. D’après elle, ce sont les évènements de 88 qui lui ont fait découvrir la réalité du pays et le sens du combat pour la démocratie. Nadia Chouitem rejoint vite le comité des étudiants à la faculté de Hasnaoua (Tizi Ouzou). Pour elle, c’est le passage à l’action. Avec ses camarades elle milite, elle organise des marches, des grèves et des conférences- débats.
Elle évoque avec fierté cette période des débuts de sa vie militante : « Je me suis battue pour les droits des étudiants mais aussi pour la démocratie et la liberté d’expression ». C’est pendant cette période qu’elle côtoie les différents dirigeants et militants des partis politiques. Notamment ceux du PT. Elle a découvert les partis et leurs positions. Et elle était fascinée par le discours de Louiza Hanoune sur la télévision. « Mes idées commençaient à être organisées, ma conscience se développait. Pour moi ce n’était plus tamazight uniquement, mais la justice sociale et la lutte dans son sens le plus vaste. En 1997 et après la fraude électorale j’ai décidé d’adhérer à un parti politique. C’était donc le PT car c’est le parti qui convient le plus à mes idées », explique la députée Chouitem.
Le printemps noir de 2001, un déchirement
Les émeutes de 2001 sont un drame pour elle. « L’assassinat de Guermah Massinissa est tombé sur nous comme un séisme » regrette-t-elle. Yeux embués, visage marqué, elle lâche ; « une provocation a eu lieu de la part d’un centre ou d’un autre au pouvoir. C’était douloureux, y avait de la répression, du sang a été versé et il y a eu de la barbarie !» Moment de silence. Pour elle, décréter yennayer fête nationale est un acquis. Mieux encore, c’est le fruit d’un combat de longues années. Même si pour elle ce combat à trouvé un répondant auprès du président de la République, puisque Bouteflika « est celui qui a répondu le plus aux revendications de tous les présidents de l’Algérie indépendante ». Nadia Chouitem est convaincue, pour autant, que le système qui gouverne l’Algérie actuellement est à changer « il est devenu un danger pour l’avenir de l’Algérie. Et son départ est un défi pour le peuple algérien », a-t-elle expliqué.
Résistance et Espoir
Ce qui se dégage de chez Nadia Chouitem, c’est la volonté, l’absolue envie de poursuivre son engagement, son combat pour ses idées. Même si l’exercice de la médecine lui manque. Et le choix de la politique l’a privé de réaliser ses rêves tel que de continuer ses études. Mariée et maman de deux garçons de 5 et 7 ans, Nadia Chouitem est très soutenue par son mari qu’elle a suivi à Alger juste après leur mariage en 2003. Militant au PT, son prince charmant n’était pas étranger à sa rencontre avec le parti dirigée par Louiza Hannoune. Nadia Chouitem propose « résistance et espoir » pour décrire la nouvelle année de 2018.