La chronique de la semaine économique d’El Kadi Ihsane a essayé de comprendre pourquoi les inventeurs de la mondialisation sont ceux qui se rebellent contre elle. A moins que ce ne soit pas les mêmes.
La séquence qui s’est jouée cette semaine dans l’élection américaine est tectonique. Ajoutée à celle du Brexit en juin dernier, elle change le mouvement des plaques. Le cœur nucléaire de la mondialisation capitaliste est en train de s’effondrer sur lui-même. C’est sérieux. Un récit univoque, celui de l’expansion du capital dans le monde s’arrête. Pour se chercher une suite.
Pendant trois décennies, en gros depuis la victoire des économistes de l’offre au milieu des années 80 avec Reagan et Teacher, et l’ouverture de l’ancien bloc de l’est au marché mondial, le carburant proposé à la croissance planétaire est le même : libre mouvement des marchandises, libre mouvement des capitaux, accessoirement mouvement des élites porteuses de connaissance. C’est ce récit qui vient de tomber brutalement en panne en 2016.
Le packaging de la mondialisation vendue à ceux qui n’en profitent pas dans les grands centres traditionnels du capitalisme ne convainc plus. Rappelons-le. La circulation des marchandises crée de l’emploi qualifié dans le centre pour vendre dans la périphérie. La circulation du capital enrichit la périphérie pour qu’elle puisse consommer les exportations à haute valeur ajoutée du centre.
Le dynamisme exportateur de la périphérie profite au centre qui importe à bas prix tous les produits de masse qui démocratisent la consommation. La circulation des cerveaux profite au centre qui peut délocaliser la nuisance des usines chères et polluantes pour garder l’activité noble de la recherche développement sans laquelle aucun progrès n’est possible.
« Laisser nous aller dans le monde, vous en profiterez autant que nous ». Ce deal tacite entre le capitalisme globalisé et les classes populaires des grands pays industriels est entré lentement en crise depuis dix ans. Il collapse aujourd’hui entre Brexit et Donald Trump.
A la City de Londres, à Wall Street, les élites capitalistes mondialisées sont stoppées en flagrant délit de mensonge répété. Le pacte est truqué. Les vrais emplois vont ailleurs. Les produits chinois bon marché ne compensent pas les pertes de revenus salariaux à Détroit ou à Liverpool. Et, depuis les subprimes, le crédit ne remplit plus sa fonction illusoire de richesse.
Le mensonge est d’autant plus insoutenable que la seule valeur qui s’est totalement reconstituée aux Etats Unis après la chute de Lehmann Brothers, est celle du marché des actions.
La finance a fabriqué des bulles criminelles. Les contribuables ont recollé les morceaux post explosion. Ils espéraient qu’une rupture de type gauche américaine avec Barack Obama, leur rendrait justice. Le système n’a rien voulu lâcher. Il a préféré l’impunité à court terme à l’exemplarité, même factice, qui lui reconstitue un crédit dans la durée. Il est cette fois puni sur son flanc ultra droitier populiste. Et c’est très sérieux.
La mondialisation rejetée au Centre, donc bonne pour nous ?
Donald Trump est la caricature ultime d’une donnée d’histoire. Tous les candidats fascisants durant le 20e siècle ont construit leur discours populaire contre l’oligarchie d’affaires dominante. Le banquier juif en Allemagne des années 20, le board mondialisé, où peut se nicher du fonds souverain qatari ou chinois, en 21e siècle.
Ils sont tous exclusifs : les nationaux d’abord. Partout. En économie à fortiori. Donald Trump le président est contraint de faire une partie du programme de Trump le candidat. Il a juré de contraindre Apple à rapatrier ses 20 sites de production dans le monde. Il échouera bien sûr, mais il essayera quelque chose. Et produira une tension sur la filière.
Il va dresser des barrières non tarifaires, à défaut de murs physiques, aux produits qui concurrencent l’industrie américaine. Et entrera en conflit ouvert avec les grands exportateurs vers les Etats Unis. Il va relancer le tout carbone car il ne croit pas au réchauffement climatique. Et il mettra en difficulté la transition énergétique mondiale en participant à faire baisser les prix du pétrole et des autres sources d’énergie fossile.
Donald Trump sera obligé de camper, un temps, le personnage qui l’a conduit à la Maison Blanche. Surtout, il va, politiquement, donner des ailes à tous les perdants de la mondialisation dans les autres grands centres traditionnels du capitalisme qui ne voient pas, comme en Espagne avec Podemos ou en Grèce avec Syriza, de recours à gauche.
La grande débâcle de la mondialisation dans son Centre historique inspire une question essentielle. Si l’expansion du capital dans le monde désespère à ce point des centaines de millions d’américains et de britanniques, en attendant demain les français, est ce que cette expansion n’est pas finalement une opportunité heureuse pour la périphérie ? Il faut l’espace d’une autre chronique pour y répondre.
Une chose est certaine. Les BRICS ne se sont jamais vraiment plaint de la globalisation depuis qu’ils ont réussi à s’y connecter en mode haut débit. Bien sur le bilan est toujours plus contrasté. Mais il dit déjà que se tenir en marge de la globalisation lorsqu’on n’est pas loin, comme l’Algérie, de disposer des codes pour en tirer profit, est une attitude paresseuse. Elle ressemble intellectuellement à la gouvernance algérienne de ces dernières années. Une consolation ? Trump ne viendra pas avec ses bottes reprendre des emplois américains volés par l’attractivité algérienne.
Le retour de l’Algérie à l’endettement extérieur mode d’emploi
L’Algérie a renoué avec l’endettement extérieur. 900 millions d’euros de la Banque africaine de développement, la BAD, en appui à l’amélioration de l’efficacité dans le secteur de l’énergie. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle.
L’Algérie part d’un niveau d’endettement très bas. Moins de 4 milliards de dollars de dette commerciale à fin 2015. Le premier réflexe à l’annonce de ce premier crédit attendu depuis quelques mois, aura été de vérifier la solvabilité des projets qu’il va financer. Le communiqué d’Abidjan reste vague sur le sujet.
Une piste se dessine : l’amorçage du plan de production d’électricité verte avec en priorité la tranche de 4 Gigawatts que le ministre de l’énergie souhaite lancer avant la fin de l’année. De ce point de vue, le retour de la BAD en Algérie peut même être interprété comme un progrès. Tant a été désastreux le choix politique du non recours des gouvernements Bouteflika – Ouyahia et Bouteflika – Belkhadem aux prêts multilatéraux pour le cofinancement des grands projets d’infrastructures des années 2005-2012.
Un choix supposé protéger le pays du surendettement qu’il a connu dans son histoire économique à la fin des années 70. Mais qui aura surtout privé la conduite des projets de l’expertise des bailleurs de fonds, même marginaux, qui partout ailleurs dans le monde apportent de la rigueur aux projets financés.
Les experts sont unanimes : une tranche de deux ou trois cents millions de dollars de la banque mondiale en appui au mégaprojet de l’autoroute est-ouest aurait été une bonne prévention contre les dérives du chantier non encore livré dix années après son lancement.
La contrainte d’un financement extérieur est connue. Elle oblige à plus de transparence dans l’affectation de la ressource. A la chasse aux gaspillages. La crise de 2007-2009 a finalement amené Donald Trump à la tête des Etats Unis. Celle de 2014-2016, prix du pétrole, accouche pour l’Algérie de son premier effet à l’international. Il est bénin à ce stade. Mais il faut bien garder Trump en tête. Sa déclinaison locale est dans les cartons.