Le gouvernement Sellal a laissé un bel héritage : le SKD, le nouveau modèle économique et la fameuse « task force ». Abdelmadjid Tebboune saura-t-il les retrouver et les piloter ?
En quittant le gouvernement, Abdelmalek Sellal et Abdessalam Bouchouareb n’ont pas eu beaucoup de difficultés à faire leurs bagages. L’ancien premier ministre et son ministre de l’industrie avaient peu de choses à emporter. Le premier avait juste à emmener son fameux « nouveau modèle économique », pendant que le second fourrait dans son cartable son plan de relance industrielle. Autant dire rien. Le vide.
Aujourd’hui qu’ils sont partis, il est facile de se gausser sur l’inconsistance des deux hommes. Il est même de bon ton de critiquer leur gestion, leur relation opaque au monde des affaires, ainsi que tous les privilèges et passe-droits dont ils ont fait bénéficier leurs amis. Le nouveau premier ministre Abdelmadjid Tebboune a ouvert la voie, en annonçant notamment sa décision de suspendre des concessions s’étendant sur des milliers d’hectares à des hommes d’affaires « amis » de M. Sellal.
Ce qu’a fait M. Bouchouareb est également étalé sur la place publique par son successeur, M. Mahdjoub Bedda. En déclarant que « l’importation déguisée, c’est terminé en Algérie », M. Bedda a révélé ce que faisait son prédécesseur : du bricolage doublé de favoritisme, pour permettre à des amis importateurs de mettre en place un vulgaire système d’importations détournées, en se basant sur un cahier de charges ridicule.
Soulagement
Le départ de MM. Sellal et Bouchouareb a été un soulagement pour beaucoup, même s’ils n’attendaient pas grand-chose de la nouvelle équipe. La présence des deux hommes à des postes aussi prééminents au sein de l’exécutif donnait le sentiment que le pays était devenu accro à l’incompétence, au ridicule, à la mauvaise gestion ; en un mot, accro à tous les maux qui mènent un pays vers sa perdition.
Leur départ étant acté, il ne suffit pas de tourner la page. Il ne s’agit même pas de crier vengeance ou de réclamer des procès ; encore que… Il s’agit surtout de comprendre comment le pays a pu faire de tels choix ; comment le gouvernement de M. Sellal a pu durer cinq longues années, en trouvant les appuis nécessaires dans les institutions de l’Etat, au parlement, dans les partis et au sein de ce qu’il faut bien, par convenance, appeler l’élite.
Soyons clairs : certains lobbies organisés étaient dans leur rôle. Ils étaient plus proches du détournement que de l’activité économique, et ils ont profité de la conjoncture pour service. Ils ont organisé d’immenses transferts d’argent public à leur profit. Ali Haddad, le plus visible, a bénéficié de marchés qu’il ne pouvait visiblement honorer. Il a fallu qu’il tombe en disgrâce pour que soient évoquées publiquement ses défaillances.
Des prédateurs dans leur rôle
De puissants importateurs ont agi de manière encore plus destructrice. Ils ont défendu un dinar surévalué, pour inonder le marché et transférer vers l’étranger, de manière illicite, des sommes colossales en devises par le biais de surfacturations.
Tous ces gens étaient dans leurs rôles. Mais qu’en est-il des autres ? Des institutions, supposées gérer ou protéger le pays, se sont révélées totalement inopérantes. Les services de sécurité n’ont-ils rien vu venir ? L’ex-DRS et ses démembrements, avec tout le pouvoir qu’on leur attribuait, pouvaient-ils ignorer l’inconsistance du gouvernement Sellal ? Et comment cette administration, pourtant omniprésente, a-t-elle pu passer à côté ?
Les partis de gouvernement ont accompagné cette immense opération de prédation. Ils sont supposés représenter la majorité du peuple algérien. Comment ont-ils pu fermer les yeux, se faisant complices, alors que nombre de leurs dirigeants admettaient, en privé, la déchéance de la gestion gouvernementale ?
« Task force » et nouveau modèle
Le meilleur est pour la fin : comment des personnalités apparemment brillantes, des experts reconnus, des spécialistes qui passent leur temps à pérorer dans les conférences, comment ont-ils pu se laisser approcher, et finir par collaborer avec ce gouvernement du 4ème mandat et faire la promotion de ses « réformes »? Le gouvernement de M. Sellal a créé, faut-il le rappeler, une sorte de « task force » pour l’aider à piloter son nouveau modèle économique. Des « experts » qui y ont été associés ont contribué à donner un peu de crédit à une vulgaire supercherie, en ont assuré la com, alors que tout le monde savait que c’était une coquille vide.
Aujourd’hui, tout le monde se lave les mains de la gabegie Sellal-Bouchouareb. De nouveaux « experts » sont déjà apparus pour saluer les initiatives Tebboune, et engager une nouvelle aventure. Et si cette aventure se révèle inévitable, le gouvernement Tebboune devrait faire un effort, juste un petit effort, pour expliquer aux Algériens où en sont le SKD, le nouveau modèle économique et la « task force ».