La mère et le père de Ramzi Yettou reçoivent des Algériens qui viennent des quatre coins du pays et, y compris de l’étranger, leur dire qu’ils les soutiennent dans le terrible drame qui a frappé leur famille. La mère, Houria Yettou, aime beaucoup ces visites, dit-elle, « ça me fait du bien de voir tous ces gens qui ont la gentillesse de venir nous voir, ça me fait du bien de leur parler de Ramzi ».
Pendant un long moment, elle est restée assise, les mains posées sur les jambes, dans le salon familial, écoutant son mari décrire une à une toutes les étapes que le couple a passées pour aboutir à une enquête judiciaire, tous les rendez-vous chez la police, au tribunal et maintenant l’attente. Patiente, elle ne dit rien, elle écoute seulement et elle acquiesce.
Lorsqu’elle se décide à parler, voici ce qu’elle dit : « J’aurais aimé que le policier qui a tué Ramzi vienne, lui aussi, nous voir, qu’il vienne dire qu’il regrette ce qui est arrivé, qu’il dise peut-être que lorsqu’il a frappé Ramzi, il ne pensait pas le tuer. »
Dans sa douleur, Houria Yettou pense aussi à celui qui a donné la mort à son fils, elle ne peut croire que quelqu’un ait voulu intentionnellement assassiner son fils, « même à ce policier, ça lui ferait du bien de venir me parler de ce qui est arrivé », souffle-t-elle.
Qui aurait bien pu vouloir donner la mort à Ramzi Yettou ? Un jeune homme qui « avait tout le temps le sourire », qui « aimait rire et se mêler de tout » ? Né le 18 juin 1996 à Blida, Ramzi a quitté l’école à 12 ans, puis a fait une formation en menuiserie avant de rejoindre, à l’âge de 19 ans, l’armée pour son service national. Une fois le service militaire accompli dans la région de Laghouat, Ramzi rentre à Laabaziz, petit village agricole à une trentaine de km au sud d’Alger, où habite toute sa famille, et travaille dans une pizzeria avec l’un de ses frères aînés.
Ramzi Yettou avait 23 ans lorsqu’il est mort à l’hôpital Mustapha à Alger, le 19 avril 2019, une semaine après avoir reçu des coups mortels à la tête le vendredi 12 avril à Alger, à la fin de la manifestation à laquelle il avait participé.
Son père, Abdelkader Yettou, 67 ans, retraité de la municipalité de Larbaa dans la wilaya de Blida, dormait le soir du vendredi 12 avril 2019, lorsque les amis de Ramzi l’ont appelé pour lui dire : « la police a frappé Ramzi, il est à l’hôpital ». Trois des frères Yettou, Ayoub 26 ans, chômeur, Sofiane 40 ans vendeur de fruits et légumes et Fethi, 42 ans, ont quitté Laabaziz pour se rendre à l’hôpital Mustapha à Alger : « Aucun d’entre nous n’imaginait trouver Ramzi dans cet état, on était très choqués, lorsque ses amis nous ont appelé, on pensait qu’il avait reçu un coup de matraque c’est tout… mais lorsqu’on est arrivés à l’hôpital, d’abord on nous a empêchés d’entrer, ensuite Ramzi était en train d’être opéré, ils n’est sorti de la salle d’opérations qu’à minuit, il était dans le coma, il ne s’est plus jamais réveillé, aucun d’entre nous n’a pu lui parler », se souvient le plus jeune des frères, Ayoub.
Le père et la mère Abdelkader et Houria Yettou sont allés voir leur fils le lendemain. « Ramzi a passé une semaine à l’hôpital Mustapha avant de mourir, on allait lui rendre visite 3 à 4 fois par jour, il y avait tout le temps des hommes qu’on ne connaissait pas qui étaient là, qui venaient constamment se renseigner sur son état. Après sa mort, je suis allé au commissariat et je les ai trouvés, c’étaient des policiers », affirme Abdelkader Yettou.
Le père de la victime tient aussi à rapporter les détails de la journée du décès, le vendredi 19 avril. Il dit que les frères de Ramzi sont arrivés tôt le matin du 19 avril à l’hôpital Mustapha et ont trouvé leur frère décédé. Il y a eu des cris, des pleurs, beaucoup de bruit, toute l’aile de l’hôpital où se trouvait Ramzi était secouée par la nouvelle, c’est à ce moment-là que son fils Sofiane « a reçu un appel téléphonique du procureur du tribunal de Sidi Mhamed qui lui a intimé l’ordre de venir sur-le-champ lui remette en main propre le document attestant du décès signé par les médecins ». Le magistrat, selon le père de la victime, a fini par ordonner qu’une escorte policière en motos accompagne le frère de la victime jusqu’à lui au tribunal de Sidi Mhamed, « parce que ce jour-là était un vendredi, il y avait des manifestations dans tout le centre-ville et le procureur qui se trouvait au tribunal rue Abane Ramdane, voulait absolument avoir les papiers au plus vite ».
Ensuite, le soir, à la maison familiale à Laabaziz, affirme encore Abdelkader Yettou, de nombreux hauts officiers de tous les corps des services de sécurité sont allés, un à un, présenter leurs condoléances :
« Le soir de la mort de Ramzi, c’était le défilé des qiyadate, de la gendarmerie, de la police, venus me présenter leurs condoléances, il y avait aussi beaucoup d’hommes des services de sécurité en civil le jour où on a enterré Ramzi, ils étaient partout, ils avaient peur que l’on fasse du remous, ils avaient peut-être peur que l’on prenne le cercueil de Ramzi et qu’on aille le montrer aux manifestants… mais nous ne sommes pas des gens qui voulons du mal à l’Algérie, nous sommes des gens sages, nous aimons notre pays, nous ne voulons pas que ça flambe de nouveau… »
Ensuite a commencé le long cheminement judiciaire, à la recherche de la vérité, pour Abdelkader et Houria Yettou. « Au commissariat de la rue du Dr Saadane, les policiers ont été très professionnels, très attentifs avec nous », a tenu à souligner le père de la victime mais une fois l’enquête de police terminée, « lorsque le dossier a été transmis au juge d’instruction, ça s’est compliqué, j’allais pour entrer au tribunal et parler au procureur, lui demander des nouvelles du dossier de mon fils et, à chaque fois, les agents de sécurité qui savaient qui j’étais ne me laissaient même passer la porte du tribunal », dit Abdelkader Yettou.
« J’ai été empêché de voir les juges au tribunal de Sidi Mhamed pendant toute la période allant du 9 juin au 18 août, à chaque fois que j’y allais, on me disait de revenir, j’ai dû écrire une lettre de protestation au ministre de la Justice, après cela, quelqu’un m’a reçu au ministère et ensuite on m’a laissé entrer et voir le magistrat au tribunal à Abane Ramdane», explique le père de Ramzi Yettou qui garde une copie de la lettre envoyée au ministre de la Justice.
Lorsqu’il a fini par obtenir d’être reçu par un juge au tribunal de Sidi Mhamed, Abdelkader Yettou affirme que le magistrat lui a déclaré que « le dossier d’enquête sur la mort de Ramzi est solide » et qu’il est entre les mains d’une juge d’instruction. Cette dernière a reçu les parents de Ramzi Yettou et les témoins en octobre 2019 ; elle a, selon les parents, déclaré qu’il ne lui manquait plus que le rapport d’expertise sur le contenu des caméras de vidéo-surveillance pour boucler l’enquête.
Une enquête donc « pour homicide contre X » est en cours au tribunal de Sidi Mhamed à Alger et selon le père de la victime, qui a été écouté, le juge d’instruction aurait entre les mains « les témoignages de huit personnes qui affirment que Ramzi a été battu par des policiers ».
Selon les parents de la victime, les témoins qui ont parlé à la police et à la juge d’instruction sont des amis de Ramzi Yettou qui se trouvaient avec lui et « qui ont été eux-mêmes frappés par les policiers au même moment que Ramzi ».
Parmi les témoins qui ont apporté leur description des faits à la police et à la juge d’instruction, se trouve aussi un secouriste bénévole, résident à Alger, qui n’a jamais connu auparavant Ramzi Yettou. Ce secouriste, Mohamed Lamine Ait Ahmed, a affirmé, dans un reportage vidéo à Radio M, le 19 mai 2019, être la dernière personne à avoir parlé à la victime avant qu’il ne perde totalement connaissance : « Après lui avoir donné les premiers soins, j’ai demandé à Ramzi Yettou ce qui lui est arrivé, il m’a répondu : les policiers m’ont battu. C’étaient ses derniers mots », dit Mohamed Lamine dans le reportage.
Le secouriste affirme aussi n’avoir pas vu ce qui s’est passé, il a trouvé Ramzi Yettou gisant sur les marches d’une passerelle piétonne à Tafourah, gravement blessé à la tête et il est resté avec lui jusqu’au moment où l’ambulance est arrivée.
La famille de Ramzi Yettou, elle, reprend les témoignages des amis du fils qui étaient avec lui au moment des faits : « ils étaient à l’arrière d’une camionnette, ils rentraient à Laabaziz après la manifestation. Le véhicule roulait lorsque des policiers anti-émeute leur ont fait signe de s’arrêter et puis se sont mis à les frapper avec leurs gourdins. Le chauffeur a reçu, lui aussi, un coup et s’est enfui, les jeunes à l’arrière ont été sommés de descendre sous une pluie de coups de matraques », rapporte le grand frère de Ramzi Yettou, Sofiane.
Les parents Yettou attendent aujourd’hui, au bord de l’inquiétude, les conclusions de l’enquête, « on ne comprend pas pourquoi ça met aussi longtemps », se demande Abdelkader Yettou, « s’ils ne savaient pas que c’étaient leurs éléments qui ont fait ça à Ramzi, pourquoi seraient-ils tous venus, ces hauts officiers, me présenter leurs condoléances le soir du décès de Ramzi ? », ajoute-t-il.
Pour lui, il est clair que « la police sait très bien qui a tué Ramzi, puisqu’ils savent exactement quelle équipe était à quel endroit à quel moment ».
Les craintes du père de la victime que les autorités fassent délibérément « tarder la conclusion de ce dossier parce qu’ils croient qu’ils vont nous faire oublier » ne sont pas partagées par l’avocat de la famille, Me Messaoudene, pour qui le « rythme lent est tout à fait ordinaire ».
Pour l’avocat, le temps que prend l’enquête n’a pas autant d’importance que la conclusion : « Le plus important c’est d’identifier la ou les personnes qui ont fait ça. Le juge d’instruction au tribunal de Sidi Mhamed a ouvert une enquête pour homicide contre X dans l’affaire du décès de Ramzi Yettou, si les personnes qui ont frappé Ramzi sont identifiées, il y aura procès en criminel pour homicide volontaire sinon le dossier sera classé », explique-t-il.
Les tentatives de joindre le procureur général de la cour d’Alger, Sid Ahmed Merrad, afin d’apporter plus d’informations sur cette affaire ont été infructueuses.
Par: Daikha Dridi