Les paradis fiscaux ont mauvaise réputation, mais ils restent très utiles. Le futur chef de la diplomatie américaine, Rex Tillerson, peut en témoigner : il a géré une entreprise domiciliée dans un paradis fiscal pendant huit ans.
Quel est le rapport entre Abdessalam Bouchouareb, Christiano Ronaldo, Issaad Rebrab et Lionel Messi ? Ils sont tous passés par des paradis fiscaux pour gérer leur fortune, à un moment ou un autre de leur carrière hors normes. La démarche des uns et des autres avait un objectif commun : échapper à un système d’impôts classique qu’ils jugeaient trop contraignants dans leurs pays respectifs, ou dans les pays où ils exerçaient leurs activités.
En 1992, Issaad Rebrab a eu recours au fameux cabinet d’avocats Mossack Fonseca, basé à Panama, qui avait donné le nom de « Panama Papers ». Le patron de Cevital avait alors créé une société offshore, Dicoma Entreprises Ltd, domiciliée aux îles Vierges britanniques. A travers un jeu d’écritures dont ce monde est familier, la société est ensuite rachetée par une autre, puis par une troisième, jusqu’à ce que les traces se perdent.
M. Bouchouareb était quant à lui propriétaire de «Royal Arrival Corp », une entreprise également basée à Panama. Il la gérait à travers une société basée au Luxembourg, baptisée « Compagnie d’Etude et de Conseil (CEC) ». Elle était supposée se spécialiser dans la représentation commerciale et la négociation, les contrats commerciaux, les travaux publics et le transport maritime et ferroviaire, avec un champ d’activités comprenant l’Algérie, la Turquie et la Grande-Bretagne.
Le football éclaboussé
Christiano Ronaldo et Lionel Messi, qui gagnent plus avec leurs pieds que Cevital avec son huile, ont utilisé le même procédé, pour dérober une partie de leurs revenus au fisc argentin, portugais et espagnol. Les révélations les plus récentes montrent que Ronaldo aurait ainsi caché au fisc 150 millions d’euros de revenus, ce qui lui aurait permis d’économiser 30 à 40 millions d’euros, selon des estimations admises.
Messi, condamné par la justice argentine pour avoir déjà maquillé ses comptes, n’aurait pas résisté lui non plus à recourir à ces mêmes procédés, même si, dans son cas, une affaire antérieure aux footleaks a déjà révélé qu’il a soustrait au fisc argentin près de quatre millions d’euros, avec la complicité de son père. Il a été condamné pour cela à une peine de prison ferme, qu’il n’effectuera pas, grâce à des arrangements parfaitement légaux.
Toutes ces affaires ont servi à alimenter la chronique quotidienne dans le monde entier, mettant en scène des hommes politiques, des milliardaires, des sportifs de haut niveau, et des célébrités ayant plus l’habitude de figurer dans la rubrique mondanités que dans les faits divers.
Tous ces personnages devaient être cloués au pilori, particulièrement après une vaste campagne menée eu Europe contre les paradis fiscaux, supposés servir de centres financiers au terrorisme et à la drogue. C’est du moins l’argument qui a justifié l’opération visant à les démanteler.
Complications
Mais voilà qu’en ce mois de décembre 2016, des complications inattendues surgissent. A moins d’un retournement spectaculaire, Rex Tillerson, PDG d’Exxon Mobil, sera désigné par le président élu Donald Trump au poste prestigieux de secrétaire d’Etat américain.
Cet homme qui aura la charge de la diplomatie de la plus grande puissance du monde, qui décidera s’il faut appuyer la paix ou la guerre en Libye, s’il faut négocier avec Bachar El-Assad ou le bombarder, s’il faut maintenir le traité sur le nucléaire avec l’Iran ou le suspendre, voilà qu’on apprend que cet homme a dirigé pendant de longues années une société basée dans un paradis fiscal.
Rex Tillerson a dirigé Exxon Neftegas, filière russe d’Exxon Mobil domiciliée aux Bahamas, pendant huit ans. Il en a été nommé directeur, puis président, en 1998. Il n’a quitté ce poste que lorsqu’il est devenu PDG d’Exxon Mobil, en 2006. Les documents rendus publics dans l’enquête « Bahama Leaks » précisent qu’Exxon a domicilié au moins 67 entreprises dans ce paradis fiscal.
Rex Tillerson ne risque pas d’être poursuivi. Avec le climat imposé par Donald Trump, cette affaire ne fait même plus scandale. Par contre, elle montre que tout le battage fait autour de paradis fiscaux n’était qu’une grande mise en scène.
Ces territoires existaient, y compris au cœur de l’Europe et des Etats-Unis, comme dans l’Etat du Delaware. Mais jusque-là, ils étaient utilisés par les seuls pays occidentaux, aussi bien dans les opérations commerciales que celles, moins avouables, de financements de coups tordus.
Concurrence
Lorsque d’autres acteurs ont commencé à les utiliser, les Occidentaux se sont inquiétés. Les paradis fiscaux ne risquent-ils d’être utilisés par des entreprises concurrentes plus souples, plus performantes, venues du sud ? Et surtout, n’y a-t-il pas un risque qu’ils servent de places pour le financement d’opérations terroristes ?
Pour les Occidentaux, il était inadmissible que des places financières parfaitement légales puissent se transformer en menace. Le système financier occidental, qui s’en accommodait parfaitement jusque-là, a tenté d’imposer de nouvelles règles. En commençant d’abord par les discréditer. Ce qui constitue un autre paradoxe : comment la finance internationale peut-elle parler éthique, en remettant en cause l’existence de ces paradis qui permettent d’échapper au fisc ?
Les scandales se sont succédé, mais il faudra encore attendre longtemps pour que ces territoires soient déclarés illégaux. Car il faudra entretemps trouver des alternatives, de nouvelles formules pour financer discrètement des opérations contre l’Iran, la Libye et d’autres pays considérés hostiles. Comment organiser tous les coups tordus sans passer par les paradis fiscaux ?
Dans l’intervalle, le chef de la diplomatie de la première puissance au monde peut continuer à travailler dans les paradis fiscaux, car il y trouve « simplicité » et « efficacité », selon la formule d’Exxon Mobil. Les plus puissants choisissent donc la simplicité, et laissent la morale aux autres. Aux pauvres et aux faibles.