Qu’en est-il du gaz naturel algérien dans un marché international où d’importants changements, voire de bouleversements, sont en cours et/ou, prévisibles à court et moyen termes*?
Beaucoup rappellent que l’Algérie, riche en pétrole et gaz, contribue d’une façon substantielle à l’approvisionnement énergétique de l’Europe. Il y a plus de 50 ans, exactement en 1964, ce pays a commencé à livrer du gaz et depuis, ce flux n’a jamais été interrompu, soulignant, au passage, la fiabilité de ce fournisseur.
Reste que pour le gaz naturel, l’Algérie fait face à de nombreuses et importantes contraintes et ce, dans plusieurs domaines notamment, en matière de :
– réserves, dont le niveau pourrait être bien inférieur à celui officiellement affiché ;
– production, en baisse ces dernières années et ce, pour différentes raisons ;
– coûts de développement, en forte augmentation ;
– demande nationale, en très forte croissance ;
– politique de prix de l’énergie sur le marché national, pour le moins, inappropriée ;
– stratégie commerciale à l’international, à priori inadaptée, surtout dans un contexte qui voit d’une part, des prix en baisse vertigineuse et d’autre part, des évolutions irréversibles, en matière de demande et d’offre ainsi que de réglementation et d’organisation.
En termes de réserves gazières conventionnelles, l’Algérie occupait, à fin 2014, la dixième place mondiale, avec selon l’OPEP, 4 500 milliards de m3 (Bm3). Mais, ce chiffre officiel, revu très récemment à la baisse, est inchangé depuis 2005, et plusieurs experts estiment que les réserves de gaz conventionnel restantes seraient bien inférieures, de l’ordre de 2 000 Bm3. Ce niveau est corroboré par des études de Wood Mackenzie, qui établissent les réserves de gaz récupérables à 2 051 Bm3 au 1er Janvier 2012.
Certes, des découvertes ont été faites ces trois dernières années, correspondant, sur une base d’informations parcimonieuses, à des réserves additionnelles de 200 à 500 Bm3.
Pour ce qui est de la production commercialisée de gaz naturel, elle a été en baisse ces dernières années, affectée par des problèmes techniques et une diminution des enlèvements des clients européens.
Des projections, basées sur la capacité existante et qui ne prennent en compte que les gisements existants à fin 2012, montrent que la production potentielle n’avoisinerait en 2019 que les 100 Bm3, avant de commencer à décliner après 2020.
La production annuelle, sur toute la décennie 2012-2022, serait donc, au mieux, globalement maintenue.
L’autre contrainte, qui n’est pas des moindres mais dont on parle peu, est celle des coûts de développement. Si le coût de production du gaz sortie puits serait actuellement de 0,47 $/MMBtu en moyenne pondérée, il devrait, toujours en moyenne pondérée, presque doubler, avec 0,80 $/MMBtu à partir de 2017. Le coût de production des nouveaux gisements serait de près de 2 $/MMBtu.
Production cost almost double ?
C’est dire que pour l’Algérie, la rente gazière devrait nettement diminuer.
La demande du marché national n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Elle a atteint près de 40 Bm3 en 2014 et devrait continuer encore à croître très fortement selon la CREG (Commission de Régulation de l’Electricité et du Gaz) algérienne.
Nul doute que ces niveaux de consommation auront une conséquence directe sur les disponibilités de gaz naturel à l’exportation.
Selon l’AIE, les exportations ne dépasseraient guère les 60 Bm3 en 2022. Avec un scénario haut de la demande intérieure, elles seraient même inférieures à 50 Bm3.
C’est dire l’importance des mesures qui seraient à prendre sur le marché local pour espérer inverser rapidement la tendance de consommation.
En Algérie, les subventions des produits énergétiques sont importantes et très coûteuses. Ainsi, le prix de vente du gaz naturel au secteur électrique et au secteur domestique n’a été, en 2014, que de 0,44 $/MMBtu (l’un des plus faibles au monde). Il est de 0,91 $/MMBtu pour le secteur industriel.
On est bien loin de la valorisation à l’exportation, de 11 – 12 $/MMBtu, voire plus, enregistrée en 2013-2014 ou de 6-7 $/MMBtu actuellement.
Si l’objectif de ces subventions est d’aider les ménages les plus défavorisés, elles profitent davantage aux ménages à moyens et hauts revenus et surtout, elles poussent à la frénésie et au gaspillage.
L’argent consacré à ces subventions pourrait être investi dans le secteur à très fort potentiel des énergies renouvelables.
Sur le marché international, parmi tous les changements qui s’opèrent et qui ne sont, ou ne seront pas sans impact sur la commercialisation du gaz algérien, nous mentionnerons :
– (i) En Europe, une consommation gazière pour le moins stagnante et des prix plutôt orientés à la baisse à cause de la situation économique, une forte concurrence des autres fournisseurs (Russie et Norvège) qui développent des positions commerciales agressives et qui s’adaptent aux nouvelles conditions et à la restructuration du marché et enfin, un fort développement des références spot, notamment des “hubs“ NBP (RU) et TTF (Pays-Bas) ;
– (ii) En Asie, où l’approvisionnement est assuré essentiellement en GNL, une chute libre des prix indexés sur ceux du pétrole et un fort accroissement attendu de l’offre notamment d’Australe, de Russie, voire des USA ;
– (iii) Aux Etats-Unis justement, où la production de gaz de schistes est très abondante, les exportations de GNL, qui devraient démarrer à la fin 2015 – début 2016 avec des répercussions certaines en matière de disponibilités et de prix sur le marché international, notamment en Europe.
C’est dire que la Sonatrach devra faire face à de très fortes pressions, notamment pour ce qui est de la commercialisation de son GNL puisque, les deux nouvelles unités de liquéfaction (Skikda et Arzew) d’une capacité totale de plus de 13 Bm3/an, conçues au moment où les prix étaient très élevés, ont été réalisées sur fonds propres et sans être “adossées“ à des contrats “take or pay“ de long terme.
L’opportunité de vendre en Asie, sur une base de court terme, à 16-17 $/MMBtu n’est plus d’actualité puisque les prix spot sur ce marché sont maintenant de l’ordre de 7 $/MMBtu, en ligne avec le prix NBP en Europe !
Mais toutes ces contraintes ne sont tout de même pas, loin s’en faut, insurmontables.
En effet, les potentialités sont énormes. Elles devraient permettre à l’Algérie, moyennant des efforts conséquents, de continuer à jouer un rôle important sur la scène énergétique internationale, notamment dans ses relations avec l’Europe.
Parmi ces potentialités, nous mentionnerons entre autres :
– l’importance de son domaine minier et son potentiel de réserves de gaz conventionnel,
– les importantes infrastructures, tant de production que de transport, déjà existantes et qui pourraient être augmentées à moindre coût,
– les immenses réserves annoncées de gaz de schiste,
– la proximité des marchés européens,
– l’énorme réservoir d’énergie solaire,
– le partenariat, surtout s’il venait à être plus équilibré, etc.
L’Algérie dispose d’un très important domaine minier, insuffisamment exploré, avec à peine quatorze forages pour 10 000 km2. D’importants investissements sont déjà consentis d’une part, pour intensifier les efforts d’exploration tant en propre qu’en association, afin de renouveler les réserves, et d’autre part, pour accroitre la production des gisements existants, en développant les capacités de récupération (secondaire et tertiaire) d’hydrocarbures.
L’Algérie a décidé également de se lancer dans l’exploration du non conventionnel dont le très fort potentiel serait, selon de nombreux experts, de 4 à 10 fois le niveau actuel de réserves de gaz conventionnel. Fin septembre 2015, l’EIA américaine estimait que les réserves algériennes de gaz de schiste seraient de l’ordre de 20 000 Bm3, au 3ème rang mondial, derrière la Chine et l’Argentine et juste devant les Etats-Unis.
Cependant, la non disponibilité de ressources en eau (hors nappes phréatiques) dans le Sahara constitue une contrainte majeure pour la fracturation hydraulique, seule technique éprouvée à ce jour, pour la production de gaz non conventionnel.
L’impact sur l’environnement est également un obstacle de taille, que les autorités se doivent de prendre en considération.
L’Algérie pourrait donc maintenir, pour le moins, ses niveaux actuels de production afin de pouvoir faire face à ses besoins nationaux en forte croissance, ainsi qu’à ses engagements à l’exportation.
Si la production, à partir de gisements existants, reste voisine d’une moyenne de 90 Bm3/an d’ici 2022 et n’atteindrait que 80 Bm3/an en 2035, les prévisions de l’AIE montrent une forte croissance de la production algérienne jusqu’en 2030, puis une augmentation moindre entre 2030 et 2035, pour atteindre près de 150 Bm3 par an à cet horizon (figure ci-dessus).
Ces prévisions intègrent la découverte et le développement de nouvelles ressources (récupération, gaz conventionnel et gaz de schistes) dont les premiers effets n’apparaitraient qu’à compter de 2019.
En 2022, l’AIE prévoit une production de 112 Bm3 alors que les gisements existants ne devraient produire que 91 Bm3. Au total, sur la période 2019-2035, les deux prévisions de production présentent une différence cumulée de 665 Bm3.
Cet écart est bien inférieur au potentiel en gaz conventionnel et d’amélioration de la récupération sans compter, les estimations des réserves de gaz de schistes.
Mais un tel niveau de production ne peut être atteint que si un véritable partenariat est développé avec les sociétés étrangères. Les résultats du dernier appel d’offres E&P ont fait plutôt montre d’une très faible attractivité de la nouvelle loi sur les hydrocarbures.
En sus de ce potentiel de production, l’Algérie dispose d’importantes capacités de traitement et de transport de gaz naturel, tant pour le marché national qu’à l’exportation.
Pour ce qui est du GNL, la capacité d’exportation dépasse actuellement les 35 Bm3/an, mais à partir de 2020, elle devrait commencer à baisser progressivement avec la fermeture des unités de liquéfaction, rénovées au début des années 90.
Les gazoducs quant à eux constituent la principale voie d’exportation de gaz algérien avec, une capacité existante qui avoisine les 54 Bm3/an. Cette capacité pourrait être accrue à moindre coût, notamment pour les deux gazoducs qui rejoignent l’Espagne, avec + 4 Bm3/an sur le Maghreb Europe pipeline et + 8 Bm3/an sur le Medgaz.
Le potentiel d’exportation vers l’Europe par ces liens fixes, à l’ouest comme à l’est, est ainsi de 66 Bm3/an, auquel s’ajouterait la capacité de liquéfaction, soit un total de 100 Bm3/an environ.
On peut donc penser que l’Algérie peut jouer un rôle plus important sur le marché international, en particulier européen. L’Europe, qui s’estime trop dépendante du fournisseur russe, est à la recherche d’une plus grande sécurité. En outre, avec une production locale déclinante, ce marché accroîtra inéluctablement ses importations, à partir de 2020.
Autre potentialité, l’Algérie est dotée d’une des plus fortes concentrations d’énergie solaire au monde.
Il est nécessaire et même vital pour ce pays d’investir massivement dans les énergies renouvelables et dans le capital humain afin d’anticiper “l’après gaz“.
La mise en place d’une telle industrie à forte valeur ajoutée pourrait être un important vecteur de croissance, permettant de créer de l’emploi, de sortir progressivement du modèle de rente et de sous-traitance, et de promouvoir les échanges intra régionaux sur la base de complémentarités.
En résumé, les contraintes sont nombreuses et pas des moindres. Le contexte national est loin d’être simple et la situation énergétique internationale est marquée par de grands changements, qui s’accompagnent de nombreuses incertitudes.
Les revenus du pétrole et du gaz continuent à représenter plus de 95 % du total des recettes d’exportation. Cette économie rentière entraîne une très forte vulnérabilité aux fluctuations du prix du pétrole.
Il n’en reste pas moins que de très fortes potentialités existent avec de grands défis.
En conclusion, pour l’Algérie les objectifs devraient être, entre autres :
– optimiser rapidement l’exploitation de ses gisements existants, afin d’atteindre et de maintenir, sur une période d’au moins dix ans, le niveau de 110-120 Bm3 de production commercialisée ;
– augmenter fortement ses réserves de gaz pour pouvoir répondre, à moyen (2025) et long (2035) termes, à ses besoins, tant nationaux qu’à l’exportation ;
– infléchir sans tarder et d’une façon progressive et conséquente sa politique énergétique nationale notamment, en matière de subventions aux prix, réalisme économique oblige, et d’économie d’énergie, afin d’enrayer le gaspillage actuel ;
– profiter des revenus issus des hydrocarbures pour développer, d’ici cinq à dix ans, un véritable savoir-faire pour passer du stade de l’exploitation à celui de la conception et de la réalisation de projets et ainsi, sortir définitivement du modèle rentier et de la sous-traitance ;
– évoluer en matière de politique commerciale pour tenir compte des changements qui s’opèrent sur le marché international.
En effet, au lieu de continuer à s’arcbouter sur un modèle de commercialisation, qui n’est plus adapté, il serait peut être important de développer des positions commerciales agressives ainsi que de nouveaux modèles de commercialisation.
Le fait de réviser une formule de prix et/ou d’offrir de la flexibilité et ce, en ligne avec les conditions du marché, sera, dans le cadre d’une stratégie à long terme, bien plus profitable que la perte de parts de marché, qui sont toujours difficiles à récupérer ;
– développer fortement, dans le cadre d’un plan spécial, l’énergie solaire pour la production nationale d’électricité, afin de réduire, autant que faire se peut, la consommation de gaz naturel ;
– considérer et mettre en œuvre une approche axée sur des partenariats à intérêts croisés, dans le cadre d’une vision globale et de long terme sans oublier, les opportunités d’avenir de la région méditerranéenne ;
– établir un cadre réglementaire stable et de long terme pour bien asseoir l’ensemble du développement du secteur de l’énergie.
(*) Mustapha K. Faid est consultant. Il est l’ancien directeur général de l’OME et l’ancien directeur général-adjoint de Sonatrach.