La « semaine économique », la chronique hebdomadaire d’El Kadi Ihsane a trituré le classement de l’ONU sur le bonheur dans le monde. Conclusion, ce n’est pas farfelu, et la vie des Algériens est à considérer autrement.
L’Algérie est au 38 e rang du classement sur le bonheur dans le monde publié par l’ONU. La première réaction devant une telle nouvelle est bien sur la défiance. Erreur. Il s’agit d’une étude infiniment plus sérieuse que celle qui mettait, quelques jours plus tôt, Alger parmi les pires villes du monde.
Le World Happiness Record, WHR, en est à sa quatrième édition. Le classement est établi par « un groupe d’experts indépendants agissant dans leur capacités personnelles », mandaté par Ban Ki-Moon, l’ancien secrétaire général l’Organisation des nations unies (ONU).
Elle a eu le temps d’affiner ses données. Celles-ci croisent des indicateurs objectifs comme le PIB par personne, l’espérance de vie en bonne santé, le système des transferts sociaux, le régime des libertés, avec d’autres comme la perception de la corruption ou encore le sentiment de confiance.
WHR s’appuie sur les sondages globaux de l’institut américain Gallup, leader de la mesure des opinions publiques dans le monde, avec lequel collabore, entre autres, le britannique Angus Deaton, prix Nobel d’économie en 2015.
Ce classement est bien sur controversé. Ceux qui le critiquent sont aussi nombreux que ceux qui, d’édition en édition, commencent à le considérer comme une référence avec laquelle les tropismes de recherche universitaire et les politiques publiques doivent désormais compter.
Cette chronique est parfois jugée dans les commentaires électroniques comme exagérément négative vis à vis des décideurs algériens, jusqu’à y être qualifiée « d’anti-algérienne » par quelques lecteurs en dette avec le sens de la nuance.
Le classement de l’Algérie au 38e rang, ou de manière plus souple (un volant d’écart est prévu par WHR) dans les 50 pays les plus heureux du monde, est tout à fait soutenable. Il est appuyé par un élément académique sérieux : le progrès reconnu des instruments de mesure du bien être ces dernières années.
Un courant d’économistes a construit des équipes multidisciplinaires, comme celles qui ont travaillé dans l’étude de WHR, pour apprendre à évaluer la perception du bonheur selon une large variété de modèles de pondération.
Une corrélation forte a été établie entre le niveau de vie et la santé. De même que les inégalités et leur perception jouent un rôle crucial dans les perceptions de sa propre vie. Les enquêtes de Gallup ont même intégré des biais selon que le sondage a lieu un jour de semaine ou le week-end.
Le prix Nobel Angus Deaton est un des animateurs de ce courant académique dont l’objet de recherche dépasse le domaine de la stricte quantification de la valeur pour évaluer le bien être des peuples.
Les pays les plus pauvres sont ceux où « les gens sont les plus malheureux » montre le classement WHR. Le Burundi, enlisé dans un conflit politique et ethnique ferme la marche sur les 157 pays évalué. Dans le wagon de fin la Syrie, le Togo, l’Afghanistan ou encore le Bénin, confortent le lien entre éléments objectifs (revenus et infrastructures sociales) et perception subjective (Guerre et instabilité).
Mais au-delà d’un certain seuil de revenu, qui garantit la satisfaction des besoins fondamentaux de l’homme, un surcroit de revenu influe de moins en moins sur la perception du bonheur. Il continue de le faire mais à la marge. Il n’en reste pas moins que dans le top dix de ce classement conduit par le Danemark, il n’y a que des pays riches ou pas loin de l’être : la Suisse, l’Islande, la Norvège, la Finlande, le Canada. Il s’agit surtout de pays stables, avec des systèmes de sécurité sociale solides.
Les avancées nourrissent le sentiment de bien-être
L’Algérie est un pays plutôt doué pour le bonheur selon donc ce classement WHR, dont on vient d’observer le caractère fouillé et ambitieux. Evidemment le classement propose une moyenne par pays. Il explique bien que l’on peut trouver dans un même pays des catégories de population dont le bien-être perçu est extrêmement divergent.
C’est le cas notamment dans les pays fortement inégalitaire. Ainsi le classement d’Israël à la 11e place peut surprendre compte tenu de l’existence d’une forte minorité arabe qui ne peut pas rejoindre les standard du bien être –y compris et surtout strictement subjectif – de la population juive majoritaire.
Dans le cas algérien, il peut s’illustrer par le phénomène de la harga et du départ de près de deux millions de citoyens pour l’étranger durant une période pourtant de résilience économique et sociale. Perception différenciée du bien-être.
Le classement de l’Algérie se défend surtout par la forte trajectoire de croissance des 15 dernières années sur un repère où le point de départ est une fin de guerre civile qui a failli emporter le pays. Tous les indicateurs sociaux ont fait un bond en avant et ont fini, en se consolidant, par diffuser un sentiment de confiance que le sondage Gallup a transformé en points de plus dans l’enquête WHR.
A l’inverse, la crise en Grèce (99e au classement) a sapé la confiance depuis 2008 et dilapidé le sentiment de bien-être en même temps que le chômage et la pauvreté s’y sont propagés.
Les avancées de la mesure du bien être permet d’affirmer aujourd’hui que « les émotions positives impactent plus le sentiment de bonheur que l’absence d’émotions négatives « . En d’autres termes un pays qui stagne, même s’il est plus riche et plus stable, pourrait diffuser moins de sentiment de bien être qu’un pays qui a fait des progrès.
Dans le cas de l’Algérie ce sentiment est très fort car le pays repart de très bas. Il y a vingt ans, cet été qui arrive, les Algériens vivaient Rais et Bentalha et le monde avait symboliquement quitté Alger. Alors oui en 2017, l’Algérie fait partie des 50 pays les plus heureux du monde.
Dire le temps d’après
Il reste quelques lignes pour expliquer pourquoi alors existe-t-il un stress si pressant chez les élites intellectuelles en dissonance complète avec ce classement de WH : parce que le propre de la connaissance sociale et politique est d’être dans le temps suivant.
Au temps de Bentalha, il s’agissait de rester objectivement optimiste sur la capacité de l’Algérie à se redresser et à redevenir un acteur stable et prospère. Les indicateurs économiques, le démarrage du second âge pétrolier à Hassi Berkine (pétrole) et à In Salah (gaz) permettaient de l’être. Aujourd’hui nous sommes peut-être dans la séquence Grecque du gouvernement Karamanlis.
Athènes reçoit les jeux olympiques en 2004 et le pays, qui a reçu des capitaux européens, est plutôt heureux. Mais la trajectoire cachée, elle, stressait les élites indépendantes. Bien sûr, le bonheur fugace est aussi un bonheur. Celui qui dure vaut la peine de vivre plus longtemps. Cette chronique essaye de l’expliquer depuis douze ans.